La Chronique Agora

Un cas d’école qui pourrait en dire long sur les marchés actuels

[NDLR : En manque de Philippe Béchade, peut-être, cher lecteur ? Voici un extrait du Pitbull, sa nouvelle lettre d’investissement : vous en apprendrez un peu plus sur la mentalité qui règne à Wall Street en cette période de trimestriels…]

J’aimerais vous parler du cas Best Buy, le Darty américain — qui pourrait bien être emblématique de la situation boursière actuelle.

Après avoir quasi quadruplé de valeur en 2013 dans le cadre une hausse exubérante et bullesque, Best Buy (BBY) a connu une contraction inattendue de ses ventes au quatrième trimestre, conséquence de la concurrence sauvage que lui oppose Amazon. Le n°1 de la vente sur internet sacrifie sans état d’âme ses marges pour accroître sa part de marché — à la chinoise en quelque sorte, mais comment s’en étonner puisqu’il vend des produits électroniques provenant majoritairement de l’Empire du Milieu ?

Enfin, peu importe qui a contraint BBY à mettre un genou à terre cette semaine : le cours a plongé de -30% sur la nouvelle, et a clôturé en repli de -28,6%.

Best Buy, c’était pourtant le genre de titre qui ne corrige jamais dans le contexte magique du QE3, que l’on peut accumuler indéfiniment (« pyramider » dans le jargon des traders), jusqu’à ce que le château de carte s’effondre. Best Buy est donc à mon avis un saisissant raccourci, un précurseur de ce qui attend Wall Street au cours des prochaines semaines si le moindre grain de sable venu du désert des Tartares vient gripper les rouages de la mécanique haussière confectionnée par les banques centrales.

Car tout le monde sait — surtout ceux qui surfent sur la vague de hausse actuelle — que la valeur des actions et des obligations n’est qu’un gigantesque soufflé ! Nous savons aussi que la mécanique des flux est implacable et totalement sourde aux conditions économiques réelles, et surtout à l’aphorisme « ça va rapporter moins… mais c’est plus cher ».

La répression financière orchestrée par les banques centrales engendre un consensus haussier hégémonique et fait des actions un choix forcé ; la hausse se perpétue inexorablement car la monnaie-Monopoly doit être investie.

▪ Le début des déceptions… et alors ?
Certains stratèges osent cependant envisager que le marché pourrait être saisi d’un doute en cas de déception sur les résultats trimestriels : le point d’orgue de la séance de jeudi, ce fut la publication des profits et du chiffre d’affaires d’Intel. La déception des opérateurs a été sanctionnée par un repli immédiat de 3% hors séance (à 25,75 $). Le bénéfice par titre a manqué le consensus à 51 cents alors que les salles de marché attendaient plutôt 55 cents. Les opérateurs ont occulté le chiffre d’affaires meilleur que prévu à 13,83 milliards de dollars (contre 13,72 milliards attendu), et la marge qui reste très confortable, à 62%.

Quelques heures auparavant, Goldman Sachs (-2% en clôture) avait également déçu en publiant des résultats en baisse de 21% pour son quatrième trimestre, suite aux pertes essuyées sur l’activité produits de taux.

Déception également avec les résultats de Citigroup qui dévoilait un profit de 0,82 $ au lieu de 0,96 $ attendu (le titre a chuté de -4,35%).

Vous voyez bien : déception, déception et re-déception
Pour autant… voyez-vous Wall-Street chuter ? A peine frémit-il. Le Russell 2000 a enregistré un nouveau record historique absolu en clôture jeudi. 

Comme je l’expliquais mercredi midi sur BFM Business, non seulement les marchés se fichent de la croissance (qu’elle soit réelle ou factice) ou de la baisse du chômage, mais maintenant, ils se fichent éperdument des résultats. Les mêmes crétins qui encensent l’action de la Fed et de la Banque du Japon se bousculent pour marteler que les investisseurs payent les profits futurs et non pas les déceptions du trimestre écoulé (ou des trois, quatre ou six derniers trimestres écoulés, l’argument peut resservir indéfiniment).

Amazon peut donc continuer de naviguer dans la stratosphère malgré une série ininterrompue de pertes opérationnelles et le plongeon de Best Buy ne devrait pas nous alarmer : après tout, ce n’est qu’un distributeur « à l’ancienne », une sorte de dinosaure voué à disparaître comme le Minitel avec l’avènement d’internet. Amazon, par contre, c’est internet : ça ne rapporte pas un centime de dividende mais c’est hype !

Alors… bye-bye Best Buy !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile