La Chronique Agora

Au carrefour des intérêts français, chinois et australiens

Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie va bientôt voter une troisième fois sur le sujet de son indépendance, avec une situation très différente de celle du premier scrutin en 2018, du fait de la pandémie, des prêts chinois et des contrats de sous-marins australiens, entre autres.

Nous voici à quelques jours du troisième (et peut-être pas dernier) référendum sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, prévu dans le cadre de l’accord de Nouméa (1998) et qui se tiendra le 12 décembre.

Le résultat ne semble pas comporter cette fois une once de suspense, puisque la principale formation indépendantiste kanake (FLNKS, Front de libération nationale kanak et socialiste), a annoncé qu’elle boycotterait le scrutin, garantissant la victoire du « non » à l’indépendance.

Mais ce sera une victoire à la Pyrrhus pour la métropole, puisque le vote sera dénoncé par le FLNKS auprès de l’ONU comme sans valeur, parce que biaisé dès l’origine par l’impossibilité de la tenue d’une « campagne équitable » à cause des restrictions sanitaires maintenues jusqu’au 28 novembre (à juste deux semaines du référendum). Notamment le couvre-feu en vigueur le week-end et des confinements « allégés » incluant l’interdiction des rassemblements de plus de 30 personnes.

Des mesures sévères, consécutives à de nombreux décès survenus lors de l’unique vague de contamination, l’été dernier.

La position de la France sur l’indépendance a-t-elle changé ?

Un quatrième scrutin pourrait donc se profiler, d’autant que le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, parlait début novembre de la Nouvelle-Calédonie comme « d’un territoire à décoloniser ».

La presse et les commentateurs ont interprété cette sortie comme un changement de la doctrine pro-indépendance de la France concernant ses Dom et ses Tom : aurait-il trahi le fond de sa pensée ?

Il a récidivé 10 jours plus tard au sujet de la Guadeloupe – après des jours d’émeutes – avec cette déclaration : « Le gouvernement est prêt à parler de l’autonomie de la Guadeloupe. » Ce qui fut aussitôt interprété comme une incitation à demander l’indépendance.

Or, depuis plus de 15 ans, ce que réclame l’immense majorité de la population locale, ce n’est pas l’indépendance : c’est l’indemnisation de toutes les victimes du chlordécone, c’est le droit le plus fondamental d’accès à de l’eau potable (30% de la population n’y a pas accès) et à un service fiable (multiples coupures, eau saumâtre et nauséabonde, comme j’ai pu moi-même le constater sur place il y a déjà une dizaine d’années, et la situation s’est nettement dégradée depuis !), ce sont des services de santé dignes de ce nom (aucun investissement dans les équipements hospitaliers et le personnel depuis des décennies).

Sébastien Lecornu a pu faire ces deux déclarations consécutives sans concertation apparente avec les élus locaux, ni avec le peuple français, lequel a peut-être son mot à dire compte tenu de l’attachement réciproque de la métropole aux Dom-Tom et des habitants de ces derniers à la métropole.

Des motifs de tension

Il y a aussi beaucoup à dire concernant les aspects géostratégiques, en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, à commencer par ses richesses minières (avec le nickel au premier plan) qui ont fait l’objet d’un partage progressivement plus équitable entre les Kanakes autochtones et les Caldoches, de telle sorte que les tensions se sont nettement apaisées à ce sujet.

Malheureusement, d’autres motifs de tension ont émergé récemment sur l’obligation vaccinale. Si la situation venait à se dégrader avant puis surtout après ce scrutin sur l’indépendance, avec des scènes d’émeutes rappelant celles survenues aux Antilles, Paris dégainera-t-il la même rhétorique « c’est à prendre ou à laisser, sinon allez-y, vous êtes libres : débrouillez-vous tous seuls » ?

C’est toutefois là que l’affaire prend une tournure géostratégique, car la perte du contrat de fourniture de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle aux forces australiennes (remporté par Naval Group cinq ans auparavant) a été précédée de plusieurs « signaux faibles », puis plus explicites, au vu des déclarations du Premier ministre australien en juin dernier.

L’Elysée prétend pourtant n’avoir rien vu venir, traite le Premier ministre australien de menteur, et a crié à la trahison lorsque Joe Biden a officialisé la volte-face de l’état-major australien en faveur des sous-marins anglo-américains à propulsion nucléaire (en violation des accords de non-prolifération signés avec le voisin néo-zélandais, qui a aussitôt exprimé sa désapprobation).

Washington et Londres sont facilement parvenus à infléchir la politique étrangère australienne, mettant en avant la menace chinoise qui s’est faite plus pressante à l’encontre de Taïwan.

La Chine entraîne son armée

Pékin a organisé sur son sol un exercice de simulation d’un débarquement dans l’île, en plus de viols de plus en plus fréquents de l’espace aérien taïwanais par ses avions de chasse, en particulier depuis la reprise en main autoritaire de Hong Kong par le parti communiste chinois.

Canberra et Washington s’inquiètent par ailleurs du sort de la Nouvelle-Calédonie, où la Chine tente d’étendre son influence, sachant qu’elle est déjà son premier client au travers de ses achats massifs de nickel et très présente au travers de nombreuses entreprises d’import-export… sans compter de grands projets de développement touristiques.

Le « caillou » offre en effet à des voyageurs épris de soleil et d’eau turquoise le plus grand lagon du monde, idéal pour la baignade, avec des températures de printanières à estivales 365 jours par an.

L’Australie mesure parfaitement l’étendue de son influence perdue en 20 ans au profit de la Chine sur les îles et archipels de la zone indopacifique : ne reste que la Nouvelle-Calédonie.

L’archipel voisin des Vanuatu a été inclus dans les « nouvelles routes de la soie » chinoises, ce qui implique la construction d’infrastructures routières, de ports en eaux profondes, d’installation de réseaux de télécommunication par Huawei, etc. Le tout étant entièrement financé à crédit grâce aux apparentes largesses de Pékin (comme dans huit autres États insulaires de la zone, des îles Salomon aux Samoa).

Bien entendu, la Chine a poussé les dirigeants ambitieux mais inexpérimentés de ces micro-pays au surendettement, avec des clauses de garanties confiscatoires en cas de non-remboursement.

Une stratégie assumée de « debt trap » qui rend à terme la Chine propriétaire de pratiquement toute la richesse de ses débiteurs, y compris des terres nécessaires à la survie alimentaire de ses habitants.

Les îles-nations du Pacifique sous la pression des dettes

L’exemple le plus emblématique est celui de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (vaste territoire insulaire resté longtemps sous-développé au sud-est de l’Indonésie). Satellite historique de l’Australie, elle s’est rapidement retrouvée pied et poings liés par des emprunts chinois qu’elle ne peut rembourser. Emprunts qui sont naturellement gagés sur ses importantes ressources minières.

Les Tonga – autre ex-satellite de l’Australie – se sont également laissés prendre au piège : 45% des dettes du pays sont des emprunts contractés auprès d’institutions chinoises.

Les îles Samoa viennent à leur tour d’éprouver les premières difficultés pour rembourser leurs dettes.

Le dernier pays à s’être jeté dans les griffes de Pékin, ce sont les Îles Salomon, qui viennent de concéder la location pour 75 ans de l’île de Tulagi, avec carte blanche pour la construction d’un port en eau profonde, d’une base de pêche ainsi que de terminaux gaziers et pétroliers.

La Chine ne conquiert pas les Etats du Pacifique – longtemps alliés de l’Australie – à coups de canonnières, mais à coups de lignes de crédit : ça fait moins de morts et c’est bien plus efficace.

Les dirigeants australiens observent depuis 3 ans que la France ne semble guère préoccupée de voir la Chine avancer ses pions en Océanie et qu’elle serait même prête à sacrifier sa seule tour (de guet) dans la zone indopacifique, et abandonner aux chinois des millions de tonnes de nickel.

De quoi alimenter la crainte que Paris ne joue pas la même partition géostratégique que Canberra (dont la vision est largement partagée par les Etats-Unis) et s’avère un allié peu fiable pour endiguer l’expansionnisme chinois : comment s’étonner alors de la perte du contrat Naval Group ?

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