La Chronique Agora

Capitalisme et Vietnam

** George Soros vient de publier un livre : The New Paradigm for Financial Markets ["Le nouveau paradigme pour les marchés financiers, ndlr.]. Il y explique les causes de l’effondrement actuel, qu’il fait remonter au virage à 180° pris en 1980… lorsque le président américain Reagan et le Premier ministre britannique Margaret Thatcher sont arrivés au pouvoir et que l’emprunt a grimpé en flèche.

* Hm… voilà qui nous semble une idée familière. C’est ce que nous disons nous aussi — que les gens se sont fait des idées sur le marché libre. Ils pensaient que c’était la panacée. Tant qu’on réduisait les impôts et la réglementation, croyaient-ils, on pouvait s’en tirer avec n’importe quoi… ou au moins avec de l’effet de levier.

* Pas du tout. Le capitalisme n’est pas un système qui enrichit les gens. C’est un système moral… et non pas un système financier. Comme tout système moral, il est difficile à maîtriser et ses frontières sont floues. Où s’arrête l’Atlantique et où commencent les rivages de Jersey ? Personne ne peut le dire exactement. Pas plus qu’on ne peut vous dire exactement où commencent les droits d’une personne et où s’arrêtent ceux d’une autre. Un propriétaire a-t-il vraiment le droit de profiter de l’usufruit de son bien… sachant que ses ancêtres ont volé le terrain, même dans les règles, aux autochtones ? Une compagnie aérienne a-t-elle le droit de faire atterrir ses avions dans un aéroport… sans se soucier de la pollution sonore que cela occasionne aux habitants du lieu ? Les automobilistes auraient-ils le droit de conduire des monstres consommateurs d’essence si la planète allait tout droit au désastre climatique ? Qui sait ? Tout ce qu’on y peut, c’est faire de son mieux… respecter la propriété des autres… leur liberté de faire ce qu’ils veulent… et faire en sorte que les gens respectent leurs obligations. Certaines personnes deviennent riches ; d’autres personnes deviennent pauvres. Certains gagnent ; d’autres perdent. Mais grosso modo, le marché libre donne aux gens ce qu’ils méritent.

** Même si George Soros pense que les marchés avancés de l’Occident recommenceront à baisser dans quelques mois, il est d’avis que certains marchés émergents continueront à grimper. Il a beaucoup investi en Inde, par exemple, où, selon lui, "les fondamentaux restent bons".

* En d’autres termes, le capitalisme fonctionne encore. Mais les vainqueurs, dans ce monde capitaliste, ne sont pas nécessairement ceux qui pérorent sur la liberté et les économies de marché.

* L’ancien complice de Soros — qui est aussi notre ami –, Jim Rogers, déclare qu’il ne mettrait pas un sou en Inde. Il a vendu toutes ses actions de marchés émergents, à l’exception de la Chine. L’Empire du Milieu a bien peu de liberté politique. Selon les théoriciens de l’ère Reagan/Thatcher… la Chine telle qu’elle est aujourd’hui ne pourrait même pas exister. On pensait que la liberté politique était inséparable de la liberté économique. Quant à la liberté économique, elle était considérée comme essentielle pour la croissance et la prospérité. Et pourtant — la Chine ! Que faut-il en penser ?

* Jim est si certain que la Chine sera la prochaine super-puissance mondiale, remplaçant peut-être les Etats-Unis en tant qu’hégémonie planétaire, qu’il a insisté pour que sa fille apprenne le mandarin. Dès sa naissance ou presque, la petite a eu une nourrice chinoise.

* Notre collègue Manraaj Singh, de la lettre Profit Hunter, est donc en bonne compagnie. Lui aussi fait confiance aux marchés émergents. Son marché asiatique préféré est le Vietnam, là encore un pays communiste… qui a bouté les troupes américaines hors de ses frontières il y a 40 ans, et emprisonné un des candidats à la présidentielle US, John McCain.

* La semaine dernière, cependant, Manraaj ne parlait pas du Vietnam. Il avait des choses à dire sur la visite de Henry Paulson, secrétaire au Trésor US, en Chine :

* "Durant une conférence de presse à Pékin, [Paulson] a déclaré avoir souligné pour le gouvernement chinois les avantages de marchés de capitaux plus efficaces comme moyen de s’assurer que les citoyens ordinaires reçoivent un rendement ‘adéquat’ pour leur épargne… et c’est à ce moment-là que j’ai éclaté de rire !"

* "Depuis le début de la décennie, l’indice S&P 500 a en fait chuté de 5%. En Chine, l’indice de référence, le Shanghai A-shares, a grimpé de 124% — et c’est après avoir chuté de 43% par rapport à son sommet d’octobre. Il était en hausse de 296%, à son plus haut. Je pense que les investisseurs chinois ont constaté un rendement ‘adéquat’ pour leur épargne. Les investisseurs américains, par contre, ne seraient probablement pas de cet avis… pas plus que l’investisseur britannique moyen… avec un FTSE en baisse de 11% sur la même période".

* Il est intéressant de constater que les marchés asiatiques ont été durement touchés… non parce qu’ils ont fait quelque chose de mal, mais par la crise du subprime, qui était 100% made in America. Les marchés émergents ont leurs problèmes et leurs faiblesses, concède Manraaj, mais fondamentalement, ils sont en meilleure posture que les économies occidentales, parce qu’ils ont moins de dettes et des coûts opérationnels plus bas.

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