La Chronique Agora

« Le capitalisme a échoué »

palermo soho buenos aires

Depuis peu en Argentine, Bill va dîner dans son restaurant favori de la capitale… qui a bien changé depuis son dernier passage.

Nous faisons aujourd’hui quelques observations depuis le sud du Rio de la Plata, qui nous mènent à des observations sur des choses qui se passent au nord du Rio Grande…

Une des premières leçons que l’on peut tirer d’une économie en lambeaux avec un taux d’inflation de 99% comme celle de l’Argentine est que… ce n’est pas si terrible que ça. Les gens continuent à manger, à sourire, à porter des vêtements à la mode, à écouter de la musique et à lire des livres.

Oui, bien sûr, les politiques publiques sont ineptes. La corruption est généralisée.  Et, sur les sentiers de la perdition, tout le monde s’appauvrit. Mais cela ne signifie pas qu’ils vivent un mauvais moment pour autant.

Pesos piquants

Ici, sur les routes, on peut voir des voitures crachant de la fumée, avec les tuyaux d’échappement et les pare-chocs à moitié détachés, qui n’auraient jamais le droit de circuler dans une économie en bonne santé. Les gens vivent dans des « favelas » – des bidonvilles où les maisons de fortune sont temporaires, jamais finies. Il y a des ramasseurs d’ordures, des cartoneros, qui survivent en revendant du carton et en mangeant de la nourriture qui a fini à la poubelle. Et de nombreuses choses sont incroyablement bon marché.

C’est cette dernière caractéristique qui aide à rendre la vie agréable. Il est possible de louer un bel appartement pour deux fois ou trois fois moins qu’aux Etats-Unis. Un cuisinier ou une gouvernante à temps plein ne coûte que 100 $ par mois. Un trajet à travers Buenos Aires ne coûte que 1 000 pesos, soit environ 2,50 $. Le carburant, également, ne coûte qu’une fraction du prix observé aux Etats-Unis ou en Europe. Un litre d’essence vaut environ 0,40 €.

Lundi dernier, nous sommes allés dîner dans un restaurant situé dans notre ancien quartier, Palermo Soho. Cela faisait quelques années que nous ne l’avions pas visité. Mais les choses changent vite à Buenos Aires. Les rues étaient noires de monde, remplies de gens allant dans des bars ou des restaurants, faisant des courses ou se promenant.

« Vous devez comprendre », nous a expliqué un ami, « que les gens veulent dépenser leur argent. Personne n’épargne. »

Nous avons à peine reconnu notre ancien quartier. Les boutiques avaient changé, remplacées par de nouveaux bars, restaurants, magasins de chaussures et de vêtements à tous les coins de rue. Tout était plus grand, avec plus de gens, plus de choses à faire que dans nos souvenirs.

(Quelques rues de Palermo Soho, quartier de Buenos Aires où se trouve le restaurant favori de Bill, Lo de Jesus)

Mordre la main qui vous nourrit

Tout avait l’air également plus woke, plus « gauchiste »… et plus activiste. Le socialisme est devenu une mode. Il y avait notamment un restaurant avec une enseigne lumineuse proclamant « Le capitalisme a échoué ». On pouvait voir des images de Che Guevara presque partout.

Nous avons descendu les rues pavées jusqu’au carrefour des rues Gurruchaga et José A. Cabrera. Là, nous avons trouvé notre restaurant favori, le Lo de Jesus. Mais lui aussi avait changé. C’était auparavant un petit bistrot de quartier, avec des clients locaux et un menu argentin simple. Mais il s’étend désormais sur la rue et propose des centaines de plats – aux touristes. C’est devenu l’un des restaurants les plus prisés de la ville. Un groupe d’Américains étaient attablés derrière nous. Tous âgés de la vingtaine ou trentaine, avec un air de premier de la classe. Nous supposons qu’ils travaillaient pour Google ou Facebook.

Un musicien de rue est apparu. Petit, vêtu de noir et d’un chapeau fedora blanc, il a sorti sa guitare. Nous avons craint le pire et qu’il se mette à chanter des chansons populaires pendant que nous discutions. Mais nous avons été agréablement surpris. C’était un guitariste de haut niveau qui jouait nos morceaux de tango préférés : Por una Cabeza, El Dia Que Me Quieras et un morceau merveilleux de Piazzolla, qui requiert un niveau technique remarquable.

Les autres clients ont aussi reconnu son talent. A la fin de son dernier morceau, il fut submergé de billets de 1 000 pesos.

Déçus par les changements dans le restaurant, nous avons toutefois été impressionnés par la nourriture, presque aussi bonne qu’avant. Nous avons commandé une sélection d’amuse-bouche : jambon séché, boudin, salades. Puis nous avons commandé des steaks, des légumes et deux bouteilles de Piattelli (nous étions cinq).

Un mot au sujet de Piattelli. C’est un vignoble situé dans la vallée Calchaqui qui appartient à une famille du Montana. Ils ont investi une fortune pour créer l’un des meilleurs « bodegas » (vignobles) de la vallée. Le restaurant était superbe lorsque nous y étions allés il y a quelques années. Le vin, aussi, est excellent.

Nous avons terminé de dîner et l’addition est arrivée. Oh non… il y en avait pour 100 000 pesos ! Notre réaction initiale fut le choc. Nous sommes encore en train de nous adapter au système monétaire. Puis, nous avons fait le calcul. En divisant par le taux de change du marché noir, cela représentait quelque chose comme 53 $ par personne. Dans un restaurant non touristique, le même repas pourrait valoir deux fois moins.

L’autre moitié

Mais les chiffres ne nous apprennent pas grand-chose. Ils laissent de côté les éléments les plus importants. Il y a le prix des produits alimentaires, mais également leur goût. Qui donne un prix à un baiser ? Qui calcule la valeur d’un mot doux ? Qui facture le lever de soleil ?

Il y a des moyennes, mais personne ne vit une vie moyenne. Les gens vivent dans leur propre monde, avec une qualité qui lui est propre. Et souvent, la qualité d’un endroit est ignorée par les chiffres.

Staline affirmait que « la mort d’un homme est une tragédie, celle d’un million d’hommes est une statistique ». C’est le problème avec le monde de Staline. C’était un monde de tragédies – par millions. La misère est gravée dans les mémoires et les biographies, mais pas dans les statistiques.

C’est pour cette raison que les bien-pensants, les activistes et les planificateurs centraux du monde entier sont des escrocs. Ils ont des chiffres. Ils ont des statistiques. Mais ils ne savent pas de quoi ils parlent.

A La Chronique Agora, comme le savent ceux qui supportent nos élucubrations depuis longtemps, nous ne faisons pas confiance aux chiffres. Du moins, pas à ceux qui servent à justifier les politiques publiques.

C’est la raison pour laquelle nous nous risquons rarement à faire des prévisions, des estimations ou des calculs sans y adjoindre la précision « environ ». Car les chiffres disent rarement la vérité. Plus le chiffre est précis, plus le mensonge qu’il cache est gros. Démêlez les calculs (même les nôtres) et vous trouverez des hypothèses, des ajustements et des marges de manœuvre statistiques à la pelle.

Nous ne faisons confiance à aucun chiffre ni à aucun élément factuel, y compris à ceux que nous créons nous-mêmes.

Rendez-vous demain. Nous nous intéresserons à la plus grande arnaque de l’histoire de la statistique, le PIB, et aux derniers chiffres farfelus provenant du bureau du budget du Congrès américain.

Hasta manana.

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