La Chronique Agora

Bye bye, Bâle III !

▪ Vous n’étiez peut-être pas à 100% convaincu que la priorité des priorités pour les banques centrales était de complaire aux brasseurs d’argent qui ont fait exploser le système financier deux ans auparavant. Vous raccrocherez-vous encore à l’illusion qu’une instance supérieure soucieuse de l’intérêt général a la capacité, sinon la volonté, de changer leur façon de travailler après l’enterrement des mesures les plus restrictives contenues dans le projet Bâle III ?

En langage politiquement correct, la reculade de Jean-Claude Trichet et du comité de Bâle — agissant de concert afin de mettre en oeuvre une traduction concrète des recommandations du G20 après la débâcle de l’automne 2008 — se traduit officiellement par l’adoption de quelques "aménagements de transition".

Croyez-vous que le secteur bancaire aurait littéralement explosé à la hausse (+5% en moyenne en Europe, +8% à Paris) s’il s’était agi d’une décision de routine portant sur quelques détails mineurs ?

La réaction des marchés est éclairante : il s’agit bien d’un véritable triomphe des lobbies bancaires sur les régulateurs. Un premier coin qui s’enfonce dans le bois dur de la volonté de rendre les marchés plus sûrs et les brasseurs d’argent plus circonspects.

Il ne leur reste plus qu’à agrandir méthodiquement cette lézarde initiale jusqu’à transformer en petit bois la réforme Bâle III.

▪ Faut-il s’étonner d’une telle issue après des stress tests calibrés à l’échelle d’une tempête sur le lac Léman, alors que les circonstances de l’automne 2008 s’apparentaient au coup de tabac du siècle au large du cap Horn ? Sans aller jusqu’à prendre comme référence des circonstances aussi extrêmes, une tempête d’équinoxe sur la Méditerranée (c’est de circonstance !) aurait pu faire l’affaire.

Plus de 90% des banques sont restées à flot et sept d’entre elles (ce sont exactement celles auxquelles le marché pensait) ont démâté ou ont failli chavirer. Allez vous étonner, après cela, que les heureux élus clament haut et fort que leurs fonds propres sont largement suffisants et que les nouvelles exigences de Bâle III sont inutiles, démesurées, absurdes, contre-productives, une menace pour la croissance, comme du sucre dans un réservoir d’essence et constituent une sérieuse entrave au crédit.

Sauf qu’aucune des mesures nuisibles dénoncées par les banques n’a encore été votée ni appliquée. Il n’existe même aucun calendrier concernant une mise en oeuvre concrète. Bâle III n’était encore qu’en phase exploratoire… mais la levée de bouclier était quasi unanime à l’encontre des dispositions relatives au renforcement des fonds propres des banques, tant en quantité qu’en qualité.

Les critiques étaient tout aussi virulentes au sujet des ratios de liquidités (qui restreignent les marges de manoeuvre sur les dérivés) et de l’impossibilité d’assimiler les participations dans les filiales à de quasi-fonds propres.

Magnanime, Jean-Claude Trichet et le comité de Bâle (qu’il préside) vont "mettre en place des aménagements de transition devant permettre au secteur bancaire d’être en mesure de soutenir la reprise économique".

Parce que jusqu’à présent, les centaines de milliards mis gracieusement à la disposition du système financier, les taux zéro, les rachats massifs de créances douteuses par la Fed ou la BCE ne sont vraiment pas suffisants pour permettre au secteur bancaire de prêter de l’argent dans de bonnes conditions et de donner un bon coup de pouce à la croissance ?

M. Trichet déclarait sans sourciller vendredi dernier que l’heure n’était plus aux plans de relance mais à la "rigueur", voire à des mesures d’austérité. Nous savons tous qu’il s’agit des dépenses à caractère social, des filets de sécurité pour les salariés et les chômeurs, du niveau des salaires et des retraites dans la fonction publique.

La plupart des gouvernements européens s’apprêtent à passer à tabac le pouvoir d’achat des ménages dès cet automne (pour les Etats-Unis, cela viendra après les élections de novembre). Le patron de la BCE est cependant convaincu qu’en offrant aux banques la garantie d’une totale liberté d’action — qu’elles ont seulement failli perdre si Bâle III avait vu le jour –, elles s’empresseront de prêter aux citoyens l’argent que l’Etat va lui prendre au travers des taxes locales, taxes foncières, CSG, RDS, prix du gaz et de l’électricité, moindre prise en charge des frais médicaux, déremboursement d’une longue liste de médicaments…

Autrement dit, après le krach du surendettement américain, J.-C. Trichet suggère en fait que la chute des revenus disponibles des particuliers pourrait être compensée par une plus grande générosité des banques (le prix de leur liberté ?), les taux d’endettement demeurant relativement modérés de ce côté-ci de l’Atlantique — et même de la Manche.

Mais allez suggérer à un ménage espagnol dont la maison n’est toujours pas achevée (pour cause de faillite du promoteur ou du charpentier/couvreur) de contracter un nouveau prêt !

Allez prier un comptable italien dont le poste vient d’être délocalisé de l’autre côté de l’Adriatique, en Roumanie ou en Macédoine, de s’endetter pour acheter une nouvelle voiture (fabriquée en Tchéquie, cela va de soi) !

Ce qui compte, c’est que les banques puissent continuer de dégager de la valeur pour les actionnaires en jouant leur va-tout sur les actions et les devises. A l’image d’UBS, qui vient d’annoncer des profits deux fois plus élevés que prévus, grâce notamment à des gains d’une ampleur inespérée provenant des "opérations de marché" (de la pure spéculation donc).

▪ C’est ce qui avait été à l’origine des profits record de Morgan Stanley au deuxième trimestre 2010 mais Wall Street n’a que modérément réagi à cette bonne fortune depuis dix jours. De même, l’envolée des banques européennes se traduisait par une progression somme toute modeste (environ +1%) du compartiment sur le Dow Jones ou le S&P 500.

A 90 minutes de la clôture, le Dow Jones ne grappillait que 0,2%, le Nasdaq les perdait et le S&P affichait -0,05%.

L’ouverture décevante de Wall Street a stoppé dans son élan le CAC 40 qui avait bien failli aller chercher les 3 700 points (3 698 au plus haut, soit +1,75% vers 15h15). Cependant, l’indice de confiance du consommateur américain a gâché la fête avec une chute de quatre points.

Selon le baromètre mensuel de juillet du Conference Board, la confiance ressort à 50,4 contre 54,3 en juin (réévalué d’une précédente estimation de 52,9).

La Bourse de Paris a donc reperdu la moitié de ses gains (+0,83% à 3 666, un niveau très proche du cours d’ouverture) et Amsterdam la quasi-totalité des siens (+0,08% au final).

Mais rassurez-vous : nous venons d’avoir la démonstration que si les règles en vigueur ne permettent pas aux banques d’agir au mieux de leurs intérêts sur les marchés, il ne faudra pas attendre longtemps avant qu’elles obtiennent que ces règles soient changées en leur faveur.

Cela ne changera par contre rien au taux de chômage actuel ni à la sévérité des mesures de rigueur que nous concoctent les gouvernements.

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