La Chronique Agora

Les bulles, comme un poisson dans l’eau

Les banquiers centraux, incapables de reconnaître une bulle – même lorsqu’ils sont en plein dedans ? Absolument pas, bien au contraire : les bulles sont désormais un choix délibéré de gestion des marchés et des crises.

La semaine dernière, Jerome Powell a répété la sornette habituelle selon laquelle on ne peut identifier une bulle que rétrospectivement.

L’économiste John P. Hussman, qui est charitable et enclin à accorder aux gens le bénéfice du doute, nous propose un commentaire très gentil, mais hélas faux.

Les poissons ne savent pas qu’ils vivent dans l’eau, eux non plus

Il semble nous dire que si Powell ne sait pas reconnaître une bulle, c’est parce que nous baignons dedans, parce que nous sommes à l’intérieur de cette bulle et que, étant à l’intérieur elle nous est aussi naturelle que l’air que nous respirons. D’où l’image des poissons.

Cette caractérisation est valable pour la névrose de la modernité, cette névrose qui nous fait vivre dans une bulle, dans un imaginaire dans lequel nous sommes persuadés que nous avons tous les pouvoirs et que nous maitrisons tout.

Sur ce point nous sommes d’accord – nous sommes dans une bulle névrotique d’illusion de toute-puissance, une bulle de surestimation, une bulle du « sans limites ».

Bienvenue dans le « tout en bulles »

Mais si ceci est la cause de nos comportements aberrants, cela ne nous empêche en rien de faire des comparaisons historiques, de faire des analyses logiques et de mesurer des paramètres, des ratios. Non. Il y a des références extérieures qui permettent objectivement de discerner des bulles et même de les mesurer. La Fed de San Francisco a d’ailleurs fait ce travail y a quelques années.

Même les tenants des théories comportementales, c’est-à-dire subjectives, reconnaissent comme le fait Jeremy Grantham, que tous les symptômes de « tout en bulles » sont réunis.

Non, c’est trop charitable, tous les écrits, toutes les études sérieuses montrent que nous sommes dans une bulle, ou mieux, nous sommes dans le « tout en bulles ».

Cependant, le tout en bulles ne se compare pas à l’air que nous respirons ou à l’eau dans laquelle vivent les poissons – pour une raison simple : c’est que l’on peut y échapper. On peut adopter une position d’observateur extérieur.

Il y a une possibilité de sortir du tout en bulles intellectuellement : revenir à la doctrine qui permet de calculer la valeur des actifs à partir de leur essence. La valeur d’un actif financier est la somme des flux futurs que cet actif va procure.

Et cela, même si c’est incertain et difficile à calculer, c’est une réalité objective.

Un critère objectif

Mieux encore, si on actualise ce flux avec un taux de pénalité qui, lui, peut varier, la démarche n’en est pas moins objectivement mesurable.

Il suffit de rendre égal d’un côté le prix actuel de l’actif et de l’autre la somme des flux à recevoir, d’écrire l’équation très simple qui rend les deux côtés de l’équation égaux – et on obtient le taux de rentabilité interne du placement concerné.

Si ce taux est très en dessous des normes historiques, on est en bulle. Si on est dans les normes historiques, on n’est pas en bulle. Si on obtient des taux de rentabilité très supérieurs aux normes alors on est en régime inverse des bulles, on est sous-évalué.

Le critère du taux interne de rentabilité d’un investissement est objectif, et il donne les moyens de diagnostiquer les bulles.

L’inflationnisme monétaire qui prévaut comme doctrine des banques centrales depuis 40 ans a créé un système nouveau, un système de gestion/régulation par les bulles. Voilà la réalité.

Dans le système ancien on régulait par le mini-cycle du crédit de quatre ans, mais comme on a dépassé depuis longtemps les limites du grand cycle séculaire du crédit on est passé à autre chose : on force, on régule par le jeu des bulles que l’on souffle, puis stabilise, puis perce et qu’ensuite on nettoie.

La gestion par les bulles est cynique et, je n’hésite absolument pas à le dire, elle est criminelle. Tellement criminelle qu’elle provoque des transferts de patrimoines et de richesses par milliers de milliards au détriment des moins nantis vers les déjà riches. La gestion par les bulles est une escroquerie qui méritera d’être jugée par une commission du type Commission Pecora dans les années 30.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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