La Chronique Agora

Comment une bulle se transforme en krach avec le dénouement des carry trades

▪ Ce qui se passe depuis mai 2013 — baisses des actifs des pays émergents et de leurs devises — est la conséquence du renversement de la psychologie des marchés. Il s’agit d’un phénomène sans doute durable qui traduit l’inquiétude des investisseurs sur la poursuite de la création monétaire par les banques centrales et de l’orientation des politiques monétaires.

De la même façon que les marchés ont été euphoriques en dépit des fondamentaux et à cause de l’abondance de liquidité, ils sont maintenant victimes de mini-krachs à cause de craintes plus ou moins fondées de raréfaction des liquidités abondamment distribuées par les banques centrales.

Les bulles se sont gonflées dans les pays émergents en raison des opérations de carry trade conduites par les "zinzins", les investisseurs institutionnels qui ont accès en priorité à l’argent créé par les banques centrales.

Le carry trade consiste à emprunter une devise à très faible taux d’intérêt, à convertir l’argent emprunté dans une autre devise à haut rendement et/ou à acheter des actifs financiers libellés dans cette autre devise. J’emprunte du dollar à 2%, je le convertis en roupie et j’achète des obligations indiennes qui rapportent plus de 7% ou même quelques actions de l’indice Sensex. Cette opération très simple à comprendre est en réalité plus dangereuse que beaucoup d’opérations sur les produits dérivés jugées à tort ou à raison complexes.

▪ Il y a trois composantes pour une opération de carry trade — et donc trois risques
Le taux court de la devise empruntée. Attention aux risques de remontée des taux courts sur cette devise si vous empruntez à trois mois et que vous devez donc reconduire votre prêt chaque trimestre.
L’évolution du taux court dans la devise achetée.
– Et surtout la parité de change entre les deux devises puisque vous vendez la devise assortie des taux d’intérêt faibles et achetez la devise assortie de taux d’intérêt élevés. Il y a donc un risque de l’évolution défavorable du change à cause de la dégradation des fondamentaux de l’économie de la devise prêtée.

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▪ Voici un exemple chiffré
Un investisseur décide d’emprunter 10 millions de dollars US à trois mois à 0,25%. Il va vendre ces 10 millions contre du réal brésilien pour une parité de 1 USD = 2,10 réal (taux de change comptant d’il y a un an), soit la contrevaleur de 21 millions de réal.

Ces 21 millions vont être placés sur des actifs brésiliens : Bons du Trésor à 10 ans par exemple, achetés à 100% du nominal au taux facial de 6%.

Notre investisseur va ainsi dégager une marge positive résultant de la différence de taux entre le rendement de l’actif en devise émergente et le coût de la ressource empruntée en dollar.

– Charges d’intérêt sur les trois premiers mois en dollar US : 10 000 000×0,25% sur un trimestre, soit 6 250 $.
– Produits d’intérêt sur les trois premiers mois en réal : 21 000 000×6% sur un trimestre, soit 315 000 réal, soit 150 000 $ si la parité USD/réal reste à 2,10.
– La marge nette de l’opération est donc de 143 750 $ (150 000-6 250) sur ce premier trimestre, ce qui correspond à une marge de 5,75% (6%-0,25%) sur 10 millions de dollars pendant trois mois.

Evidemment, qui dit rendement dit risque, mais souvenons-nous de la bonne vieille règle selon laquelle le risque est proportionnel au rendement.

▪ Quels sont les risques que supporte notre investisseur ?
Tout d’abord un risque évident de change. Cela plus particulièrement dans notre exemple de hausse de la parité $/réal puisque l’investisseur est short en dollar et long en réal dans cette opération de carry trade.

Ensuite un risque de hausse des taux courts en dollar, puisque l’investisseur doit rembourser son emprunt en dollars à trois mois et réemprunter en dollars pour refinancer l’obligation brésilienne à 10 ans en réal.

Enfin, il supporte également un risque naturel de hausse des taux longs brésiliens qui générerait des moins-values s’il devait être contraint de vendre son obligation avant son terme.

▪ Intéressons-nous aux deux premiers risques pour notre exemple
Imaginons un scénario pessimiste de hausse des taux courts du dollar à 1% sur le trimestre suivant (pure fiction) et un chute du réal de à 2,50 contre le dollar (niveau actuel de 2,45). Dans ce scénario, la rentabilité de l’opération de carry trade sur le trimestre est sérieusement amoindrie.

– Charges d’intérêt sur le trimestre en dollar : 10 000 000×1% sur un trimestre, soit 25 000 $ (quatre fois plus de frais que dans le scénario de départ).
– Produits d’intérêt sur le trimestre en réal : 21 000 000×6% sur un trimestre, soit 315 000 réal, soit 126 000 $ seulement avec la chute du réal à 2,0.
– La marge nette de l’opération a donc baissé à 101 000 $ (126 000-21 000) sur cette période. Cela fait passer la marge de 5,75% à 4,04% sur 10 millions de dollars pendant trois mois.

Dès lors vous comprenez pourquoi certaines opérations de carry trade finissent en bain de sang sur les marchés. En effet, si les investisseurs anticipent des remontées significatives des taux courts sur la devise empruntée (le dollar dans notre exemple) et une chute significative de la devise prêtée (le réal dans notre exemple), ils vont alors anticiper la baisse de la rentabilité de leurs opérations.

Ils se retrouvent alors contraints de couper leurs positions : vente de l’actif émergent et donc de la devise émergente pour rembourser en catastrophe les emprunts en dollars US.

Le dollar monte, les devises émergentes baissent : c’est bien ce que vous lisez dans les journaux en ce moment.

Nous verrons la suite dès demain…

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