La Chronique Agora

Bourse : le risque sans la performance

En combinant des taux directeurs de banques centrales au plancher et une inflation forte, le résultat est que les investisseurs en oublient le risque pour aller chercher la moindre miette de performance. Cependant, cette situation pourrait s’inverser.

Comme je vous l’expliquais hier, vous avez actuellement le choix entre investir dans des cours boursiers surévalués qui comportent un risque de perte de 60% ou des placements qui incluent un risque 2 à 3%. Les premiers sont préférés aux seconds.

Pour rappel, toutefois, les marchés financiers ont en ce moment assez peu à voir avec ce que l’on qualifie d’« investissement ». Du moins, pas selon Benjamin Graham, qui définit cela comme « une opération qui, après une analyse approfondie, promet la sécurité du principal et un rendement adéquat ».

Le résultat est en tout cas une dissociation entre le réel et la perception, entre le réel et les histoires que l’on raconte.

Qu’est-ce qui est vraiment risqué ?

Les placements les plus risqués – c’est-à-dire les actions les plus chères et les plus surévaluées de l’histoire – sont perçus comme sans risque, tandis que les placements les moins risqués sont perçus comme comportant un risque certain à 100%.

C’est la structure de la modernité : l’inversion !

Ce qui est authentiquement sans risque est perçu comme à risque.

Ce qui est à risque colossal et perçu comme sans risque.

En privant sans relâche les investisseurs d’un rendement sans risque, la Réserve fédérale a engendré une bulle spéculative sur tous les actifs qui, selon nous, ne fournira aux investisseurs qu’un risque sans rendement. Voilà ce qu’écrivait la semaine dernière John P. Hussman :

« Il est peut-être vrai que les taux d’intérêt zéro n’offrent ‘pas d’autre alternative’ aux investisseurs que de spéculer. Mais comme l’a souligné Graham, il existe de nombreuses façons dont la spéculation peut être inintelligente. La première consiste à spéculer lorsque vous pensez investir.

Je grince des dents quand j’entends des analystes parler comme si tout rendement de dividende supérieur à zéro était ‘meilleur’ que des taux d’intérêt nuls.

Cet argument repose entièrement sur l’exclusion de la plus petite baisse des cours et du plus petit recul par rapport aux extrêmes de valorisation actuels. Le rendement du dividende du S&P 500 n’est que de 1,3 % ici. Il n’a été plus bas que dans les trimestres qui ont entouré le pic de la bulle de 2000. La norme historique courante du dividende du S&P est d’environ 3,7 %.

[…]

Je n’ai jamais vu une telle conviction parmi les spéculateurs que la hausse ne finira jamais, ou une telle foi que la Réserve fédérale peut faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Je suis tout à fait certain qu’il s’agit d’un délire, mais je suis moins sûr de la durée pendant laquelle ce délire peut persister. »

Tout se transfère !

On a eu la performance sans le risque, à l’avenir on aura le risque sans la performance. Rien ne se perd rien ne se crée, tout se transforme. Ou plutôt, en Bourse, tout se transfère !

Les investisseurs connaissent bien l’idée d’un « compromis » entre rendement et risque, qui est généralement formulée comme une proposition selon laquelle les investisseurs doivent accepter un risque plus élevé s’ils recherchent des rendements attendus plus élevés.

Ce que les investisseurs ne comprennent généralement pas, c’est que cette proposition ne s’applique qu’aux risques « efficients ».

Par exemple, si un portefeuille est peu diversifié, on peut généralement trouver un autre portefeuille qui peut cibler un niveau de rendement attendu plus élevé pour le même niveau de risque, ou un niveau de risque inférieur pour le même rendement attendu.

De même, du point de vue de la valorisation, il n’y a pas de « compromis » entre rendement et risque.

Les valorisations déprimées ont tendance à être suivies à la fois de solides rendements à long terme et de pertes ultérieures modestes, tandis que les valorisations extrêmes élevées ont tendance à être suivies à la fois de faibles rendements à long terme et de pertes ultérieures importantes.

En termes simples, les investisseurs ne sont pas récompensés d’une manière ou d’une autre pour avoir accepté des niveaux plus élevés de ce que Benjamin Graham a décrit comme un risque « inintelligent », un risque imbécile.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile