Les marchés vont-ils monter ou baisser ? En réalité, c’est la mauvaise question à poser…
« Comment voyez-vous cette année 2023 ? »
J’ai entendu cette question très souvent ces derniers jours.
Comme mes interlocuteurs, vous allez être très déçus.
Je fais la réponse du regretté économiste Charles Rist, à qui on demandait ce qu’il pensait ce des taux d’intérêt : « Tout ce que je sais c’est qu’ils vont varier ! »
Les Bourses, les marchés, tout va varier, fluctuer, monter, descendre.
La bonne question à poser
Et c’est ainsi qu’ils, les marchés, vont accomplir leur mission / fonction, qui est organiquement de faire en sorte que les gens se désaisissent, et se séparent de leur précieux argent.
Les marchés sont faits pour séduire, enjôler, cajoler ; faire en sorte que les gens jouent et que la majorité perde.
La fonction de jeu est devenue prédominante sur tous les marchés afin de bonifier la situation des acteurs fondamentaux, structurels, les vrais utilisateurs que sont les gouvernements, les très grandes entreprises et le capital dynastique.
Si vous vous posiez la question intelligente – à savoir : « Est-il intéressant d’investir dans cette catégorie d’actifs ? » –, vous investiriez très peu ; vous feriez grève, car quasi rien n’est intéressant.
Mais si on réussit à vous faire vous poser les questions stupides du type « est-ce que cela va monter ou baisser », alors vous vous laissez faire : vous croyez que vous pouvez deviner si cela va monter ou baisser, et vous misez.
Le système a réussi cette performance exceptionnelle (avouez-le), de faire en sorte que la masse se pose les mauvaises questions ! Le jeu pour savoir si cela va monter ou baisser est sans limite, tandis que l’interrogation pour savoir si c’est intéressant d’investir ou pas, est par essence limitée. On remplace du fini par de l’infini. La finitude de la raison et de l’usage par l’infinitude de la connerie et du jeu.
Tout joueur à découvert a tendance à exagérer ses chances de gagner un jeu, et c’est valable pour n’importe quel jeu.
Toujours plus d’actifs
On a branché une loterie sur la fonction d’investissement pour profiter de la bêtise des gens qui détiennent des capitaux. Ceci permet de surévaluer structurellement tous ces actifs financiers et donc d’en réduire le coût pour les émetteurs.
La fonction objective systémique des marchés à l’époque de la financiarisation – époque où l’on produit trop de finance – est de rendre les avoirs financiers biodégradables. Sur les marchés vous vous payez les uns sur les autres, et l’émetteur, grâce à ce système, paie moins cher.
Dans le régime financiarisé, la monnaie, les dettes, et la finance sont produites en fonction des besoins de ceux qui dirigent. Non pas en fonction de la valeur des actifs sous-jacents ; on les produit pour faire tourner la machine, pour la faire tenir debout, pour empêcher qu’elle ne se grippe. Et comme la tendance structurelle est au grippage, on est obligé d’en produire beaucoup, beaucoup trop.
La fonction des marchés est donc de neutraliser toute cette production d’actifs papier afin qu’elle ne vienne pas asphyxier le système. Il faut parquer ces productions excédentaires. La fonction des marchés sur le long terme – terme qui est le seul qui vaille la réflexion – est de proportionner la masse d’actifs financiers à la masse d’actifs qui produisent des vraies richesses ; on appelle cela la découverte des vrais prix !
Tous les actifs financiers, doivent être détenus du moment qu’ils sont émis ; on appelle cela un Mistigri. Et grâce aux fluctuations, aux hausses, aux baisses, et donc grâce aux mouvements alléchants, eh bien ce Mistigri ruine les détenteurs les plus faibles.
Du temps du bon vieux crédit bancaire, vous ne pouviez pas procéder ainsi car si vous produisiez trop de dettes et que vous les détruisiez, alors les banques faisaient faillite. Mais, depuis que vous avez mis l’essentiel des actifs financiers sur les marchés, ils sont devenus spontanément biodégradables par la baisse des cours et les allers-retours/volatilité.
Bien sûr, cela implique que les banques ne fassent pas comme en 2008 c’est-à-dire qu’elles ne soient pas gourmandes au point de garder la pourriture dans leurs livres.
In fine, il y a toujours réconciliation. Voilà ce que je veux vous faire admettre. Et, même si cette réconciliation est imprévisible au niveau de son calendrier, c’est une nécessité systémique.
Non seulement je n’utilise pas de boule de cristal, mais je soutiens qu’en utiliser une ou faire croire que l’on peut en utiliser une est une escroquerie intellectuelle.
Il est évident que tous les gens compétents le savent : l’avenir est imprévisible.
C’est déjà bien assez de pouvoir comprendre le présent, et bien peu y réussissent !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]