La Chronique Agora

Bourse : le « Liberation Day » n’a jamais eu lieu !

Stock market bullish rally captured through detailed trading graph insights

Malgré les incertitudes géopolitiques, les discours redoutés de Donald Trump et les tensions commerciales annoncées, les indices sont restés étonnamment stables, voire haussiers.

Vous aimez les grands espaces et le sentiment de vivre des « choses vraies ». Alors, le 2 avril au matin, pour vous épargner les stress des annonces de Donald Trump, qui devait parler dans l’après-midi, vous avez entamé un mois de vacances et vous vous êtes envolé pour Oulan Bator, l’esprit léger.

Dès votre descente d’avion, votre guide traducteur vous a installé dans une jeep qui a roulé durant deux jours sur des pistes traversant des espaces de plus en plus infinis, pour vous faire découvrir une des contrées les plus reculées de Mongolie extérieure – où pas un écho de notre société occidentale frénétique et dystopique ne vient polluer le bruit du vent, qui fait onduler les champs de graminées printanières qui recouvrent les collines à perte de vue.

Voilà, vous avez réalisé votre rêve d’un retour aux sources, au milieu d’une peuplade de cavaliers et de fauconniers qui vivent en harmonie totale avec la nature.

Ici, le superflu n’existe pas, ni les faux semblants, ni les plans sur la comète… ni le carry trade, ni les swaps de taux.

Quel sentiment de liberté, zéro réseau (ni 3G, et encore moins de 5G) à 200 km à la ronde, pas de téléphone satellite car pas d’électricité pour le faire fonctionner, évidemment pas d’Internet mobile, même pas de radio… Et les nomades qui vous accueillent et que vous allez accompagner durant leur périple printanier de quatre semaines ignorent même qui est le 47e président des Etats-Unis.

Ou que le pape est au plus mal… d’ailleurs, c’est quoi un pape ? (Et nous avons découvert de récentes images où il ressemble étrangement à Donald Trump.)

Pour ces nomades des steppes, le Nasdaq évoque davantage une course de chevaux montés à cru (le véritable nom, c’est le Naadam) qu’un indice boursier regroupant des valeurs technologiques, dont des spécialistes de l’IA générative. Des « machines » bourrées de microprocesseurs, de quelques microns d’épaisseur, capable de produire des fausses images plus convaincantes que les vraies, comme un président des Etats-Unis qui s’amuse à se représenter dans la tenue d’apparat du pape sur son propre « réseau », paradoxalement baptisé « vérité » (le « réseau vérité » – Truth Social – publie du fake à flux tendu, essayez d’expliquer cela à vos hôtes !).

D’autres « bidouillent » des images faussement spontanées d’entraînement de boxe, en faisant tripler la taille de leurs biceps par photomontage et en faisant apparaître de faux impacts dans un sac de frappe… Maintenant essayez de les convaincre que les dirigeants occidentaux ont toute leur tête.

En fait, ce genre d’anecdotes suffit à leur faire comprendre pourquoi vous venez de mettre 10 000 km de distance entre vous et ces dingos qui gouvernent les « démocraties » occidentales, et qu’une cure de désintoxication d’un mois est un minimum vital.

Et quatre semaines d’air pur, de retour à l’essentiel, d’échanges authentiques et de dialogues souvent intérieurs, c’est vite passé. Il est maintenant temps de prendre congé des familles nomades, de votre guide, et de retourner prendre votre avion à Oulan Bator ! Une demi-journée de jeep seulement, car vous avez parcouru plus de 1 000 km sans même vous apercevoir, tellement tout s’est déroulé harmonieusement.

Voilà, vous arrivez à l’aéroport, nous sommes le 2 mai, il est 23 heures (en local, Wall Street vient de rouvrir), vous avez plus de 2 heures d’attente avant d’embarquer, alors vous rallumez en grimaçant votre smartphone, avec la boule au ventre, car vous n’étiez pas très serein en quittant Roissy, sachant que Trump allait parler pendant que vous seriez à 11 000 m d’altitude, probablement au-dessus de la Mer Noire (le survol de la Russie étant interdit depuis trois ans, il faut faire un long détour par le Sud, ça « tabasse » côté surcharge kérosène !).

Vous savez pertinemment que Trump était capable d’annoncer n’importe quoi le 2 avril… enfin, surtout n’importe quoi, et qu’il a pris la Chine pour cible (ça dure depuis son premier mandat) : il a très bien pu semer le chaos sur les marchés, et la Fed a peut-être décidé de lui savonner la planche en ne baissant délibérément pas son taux directeur… Ce serait le scénario catastrophe.

Et ça, ce serait très ennuyeux pour les ménages surendettés, qui avaient déjà le moral dans les chaussettes, et souvent du retard sur le paiement de leurs crédits, depuis le 6 mars dernier (et les premières annonces de hausse des tarifs douaniers visant le Canada et le Mexique).

Voilà, vous avez rentré vos codes, votre smartphone se rallume, il y a un réseau Wi-Fi local pas très puissant et bourré de pubs avec des typographies qui sont totalement indéchiffrables pour vous… mais ça y est, vous arrivez à vous connecter sur votre site financier préféré.

Et là, vous n’en croyez pas vos yeux : rien n’a changé, ou quasiment pas !

Le CAC 40, l’Euro-Stoxx 50, le S&P 500 n’ont pas bougé, et pour ce dernier, pas d’un iota.

En réalité, le DAX et le Nasdaq 100 ont nettement progressé, dans le sillage des « Sept fantastiques » aux US, de Rheinmetall (+20% en cinq séances, +162% depuis le 1er janvier), SAP et Siemens en Allemagne.

Rien d’original, les gérants prennent les mêmes et ils recommencent, et même un peu plus fort.

Mais après quatre semaines de déambulation quasi silencieuse à travers les steppes, vous ignorez ces détails : votre constat, c’est que les Bourses sont à des niveaux quasi identiques (ou supérieurs pour le DAX) à ceux dont vous aviez gardé le souvenir le jour de votre départ.

C’est comme si le « jour de la libération » du 2 avril n’avait jamais eu lieu !

Il ne s’est apparemment rien passé depuis le 2 avril puisque le S&P 500 affichait 5 670 points à mi-séance ce 2 mai contre 5 670 points en clôture il y a un mois (scores parfaitement identiques). Le Nasdaq, qui repasse les 20 100 points, revient sur ses niveaux du 25 mars dernier : le trou d’air de début avril et une bonne partie de la consolidation de mars est effacé.

Peut-être que Donald Trump, écoutant enfin son entourage, n’a fait aucune annonce délirante… Peut-être que ses projets de doublement ou de quintuplement des « tarifs » douaniers sont restés au fond d’un des tiroirs du bureau ovale… Peut-être que le commerce avec la Chine demeure fluide et sans entrave, et que la hache de guerre est enterrée avec le Canada… Du coup, pour la relocalisation des entreprises sur le sol US, ça attendra un peu, mais Wall Street préfère largement ça.

Mais nous qui n’avons pas quitté nos écrans des yeux depuis le 2 avril, nous venons d’assister à la plus forte et la plus rapide remontée des indices depuis le 18 mars 2020 (taux ramenés à zéro, injection monétaire no limit).

Sauf que les taux restent inchangés à 4,50%, que la Fed poursuit la réduction de son bilan (elle éponge des liquidités au lieu d’en rajouter), que les tarifs douaniers sont toujours là, et que Trump et Powell demeurent les meilleurs ennemis du monde (« Powell ne m’aime pas, c’est pour ça qu’il s’obstine à ne pas baisser les taux », a déclaré Donald ce week-end).

Tout ce qui précède devrait plonger Wall Street dans une déprime bien compréhensible, et non pas dans une extase de fumeur d’opium totalement coupé du réel.

Mais non, la fin de la semaine dernière – et en particulier la séance du 2 mai – a pris des allures d’un emballement haussier : les institutionnels qui ont été peu présents à l’achat durant les 15 premiers jours de hausse, pour des raisons « fondamentales » aisément compréhensibles (climat d’incertitude maximum) doivent maintenant « courir après le papier ».

Parce que Wall Street, porté par des achats massifs de particuliers qui n’ont jamais acheté autant de papier en trois semaines, en clamant partout « c’est les soldes », n’a pas ralenti l’allure depuis le 10 avril dernier… tant que ça gagne, on rejoue !

Donc, on se fiche de la dégradation des indicateurs économiques, d’une croissance passant de +2,4% à -0,3%, un moral des ménages au plus bas de 15 ans, etc.

Celui qui vient de rallumer son portable au bout de quatre semaines peut difficilement imaginer en constatant des scores identiques au départ, puis à son retour, que Wall Street vient d’aligner une 3e semaine de hausse consécutive, que plus aucune consolidation n’est venu émailler la trajectoire quasi verticale des indices US depuis le 17 avril.

Et s’il a lu les dernières stats publiées, vu le PIB américain passer en négatif, l’Allemagne réduire ses objectifs de croissance à zéro, il lui est impossible de croire que le S&P 500 vient d’établir la plus longue série haussière de son histoire (un seul précédent en 2004), avec une 9e séance positive d’affilée (gain cumulé de +530 points, soit +10%).

Une série de 9 séances, c’est historique également pour le DAX 40 (23 200 points) qui revient à 0,7% de son zénith historique du 18 mars (il avait fallu 9 mois en 2020 pour effectuer le même parcours… et non pas 9 jours !), mais ce qui l’est plus encore, c’est la série de 15 séances de hausse de la Bourse de Londres.

Non, non, ne cherchez pas, ce n’est jamais arrivé, sur aucun autre indice boursier d’ailleurs, en un siècle et demi… et à plus forte raison quand les échanges commerciaux se grippent et que le pays concerné est au fond du gouffre budgétaire, avec une croissance quasi nulle, comme le Royaume-Uni.

Et ce rallye, auquel n’a pas assisté le voyageur amateur de grands espaces et de sérénité, ne repose que sur le mince espoir de voir la Chine et les Etats-Unis ouvrir des négociations commerciales : Pékin a en effet affirmé « évaluer » les messages de Washington qui a récemment exprimé le souhait d’engager des discussions sur les tarifs douaniers.

Entre temps, les livraisons de conteneurs chinois dans le port de Los Angeles ont déjà chuté de 35%, et ce sera -65% à -70% avant la fin du mois. Pratiquement plus aucun porte-containers ne quitte Shanghai à destination des Etats-Unis depuis le 6 avril. Les pénuries de pièces détachées vont commencer à se faire ressentir d’ici quelques jours, ce qui va ralentir l’activité américaine dès ce mois de mai.

Mais les acheteurs s’en fichent et ils vous ressortent leur marronnier habituel : sur les 325 entreprises du S&P 500 (61,7% de la capitalisation boursière) qui ont publié leurs résultats du premier trimestre, 76,1% ont fait « mieux que prévu ».

C’est très exactement le « ratio » habituel (75/77%) depuis 15 ans : aucune surprise côté « bonnes surprises »… Mais les acheteurs vous dégainent cet argument comme si le score du précédent trimestre avait été de 47,2%.

Et le 1er trimestre n’a pas encore été impacté par les « tarifs » de Trump. Du coup, les chiffres d’affaires sont en hausse de +4,7% en glissement annuel, contre +4,3% estimé au départ ; c’est « mieux que prévu ».

Les acheteurs foncent pied au plancher, les yeux fixés sur les rétroviseurs : ça va bien se passer !

Allez, on se quitte sur deux « anecdotes »…

Warren Buffett va passer la main à Greg Abel d’ici la fin de l’année, et Berkshire Hathaway a encore augmenté son matelas de cash (3 487 Mds$) pendant que les particuliers se ruaient à l’achat. Et, pour ceux qui pensent que Donald Trump est d’humeur à revenir sur ses droits de douanes, il vient d’annoncer ce weekend une surtaxe à 100% sur tous les films étrangers diffusés aux Etats-Unis.

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