La Chronique Agora

Bourse/conjoncture… le grand divorce ?

▪ La deuxième semaine d’octobre a été peu dense en matière de chiffres macro-économiques. Chaque indication positive a de nouveau été montée en épingle tandis que des éléments beaucoup moins encourageants étaient délibérément ignorés ; les mauvaises habitudes ont la vie dure dès qu’il s’agit de faire courir les retardataires après le papier…

Wall Street s’est focalisée sur la hausse des ventes de détail aux Etats-Unis. Il y a également eu l’embellie hebdomadaire d’une ampleur inattendue sur le front de l’emploi — le nombre de radiation des listes augmente avec l’expiration des délais d’indemnisation.

Deux chiffres qui ont opportunément éclipsé un net recul du volume de crédit distribué par les banques (-13% sur le revolving au mois d’août)… une hausse continue des sinistres sur les prêts immobiliers… une multiplication des faillites de banques… de nouveaux plans de licenciement en préparation dans la Silicon Valley (il y est d’ailleurs de plus en plus difficile de retrouver un emploi — et cela vaut pour l’ensemble de la Californie, où 143 000 personnes avaient épuisé leurs droits sociaux en septembre).

▪ Alors que les Etats-Unis se préparaient à célébrer le Colombus Day ce lundi, les investisseurs européens ont préféré jouer la prudence. Les ajustements de position l’ont emporté sur les achats d’opportunité.

Le repli n’a jamais dépassé le stade des allègements techniques. Un tout petit sursaut indiciel en fin de séance a permis au CAC 40 de terminer vendredi au contact des 3 800 points. Il réalise ainsi une performance hebdomadaire de +4,1% — ce n’était plus arrivé depuis trois mois !

Le marché parisien a bénéficié cette semaine du net rebond des valeurs du secteur chimie avec Arkema (+18%), Rhodia (+17,15%), des parapétrolières (Technip et CGG ont repris +11,2%), de certaines technologiques (Soitec +13,6%, Atos +12,5%). Il y a également eu le secteur automobile avec Peugeot et Renault (+10,6 et +10%) ainsi que leurs fournisseurs Saint-Gobain (+11%) et Arcelor-Mittal (+7,2%).

Même si cela ne saute pas aux yeux, l’évolution des indices traduit une certaine nervosité qui va grandissant depuis le 17 septembre dernier. La séance de vendredi l’a encore démontré à sa toute petite échelle : Paris avait ouvert en repli de 0,45% avant de se redresser de 0,5% à 3 822. Elle avait ensuite rechuté vers 3 780 points (même plancher que la veille) avant de rebondir à nouveau de 0,5%.

L’Eurotop 100 s’est adjugé 3% cette semaine et le S&P 500 pratiquement +4,5%. Ces performances effacent presque en totalité le terrain perdu depuis le 18 septembre. La plupart des commentateurs soulignent que le coup d’envoi de la saison des trimestriels démarre sous de bons augures avec Alcoa. N’oublions pas toutefois que le sidérurgiste américain est le principal bénéficiaire des plans de relance du début de l’année : sa bonne fortune n’est probablement pas généralisable à l’ensemble de la cote.

S’agissant des statistiques publiées vendredi, les marchés ont accueilli plutôt fraîchement la contraction surprise du déficit commercial américain. Ce dernier a reculé de 3,6% par rapport au mois précédent, pour s’établir à 30,7 milliards de dollars contre 31,9 milliards en juillet.

Les importations américaines ont reculé de 0,6% en août, à 159 milliards de dollars. Cela traduit un fléchissement inattendu de la demande intérieure américaine tandis que les exportations ont progressé de 0,2% grâce au fléchissement du billet vert.

La "reprise" connaîtrait-elle un début d’essoufflement ? De toute façon, cela fournit aux investisseurs une bonne excuse de consolidation après quatre séances de hausse consécutive sur fond de repli du dollar.

En Europe, sans parler de déflation, les prix continuent de s’inscrire dans un biais baissier (-0,5% en rythme annuel en Allemagne) alors que la demande des ménages demeure faible.

▪ Le dollar enregistrait vendredi soir un solide rebond face à l’euro. Il est remonté de 1,4755 jusque vers 1,4685/euro et reprenait 1% face au yen, à 89,70. Les mouvements du billet vert restent dictés par le pari sur un maintien de taux très bas jusqu’au second semestre 2010. Cependant, certains cambistes s’en détournent en invoquant un déficit budgétaire de 9% en 2009 et 10% en 2010 aux Etats-Unis. Si le scénario de la reprise est un "W", ils n’ont aucune chance de commencer à se résorber avant 2012… et pour le chômage, ce sera pire.

Les matières premières s’imposent plus que jamais comme placement refuge. L’or continue de flirter avec les 1 050 $ ; le pétrole rechute sur les 71 $, tandis que le billet vert tente de se ressaisir grâce aux interventions concertées de pays exportateurs d’Asie du Sud-Est.

Ben Bernanke vient de voler à leur secours vendredi. Il a affirmé que la stratégie de "retour à  une politique de taux orthodoxe" faisait partie des projets à l’étude et qu’elle impliquait un resserrement rapide des conditions du crédit. Elle comprendrait, en préliminaire, un coup d’éponge sur les sur-liquidités puis un solide tour de vis monétaire.

Mais il sait pertinemment que cela ne suffira pas à sauver le dollar. En effet, pour que l’action de la Fed soit efficace, il faut qu’elle se double d’une réduction significative des déficits (qui dépasseront 1 500 milliards de dollars l’an prochain)… et cela ne peut provenir que d’un alourdissement de la fiscalité.

La Maison Blanche, par peur d’une impopularité qui grandit, pourrait se refuser à tuer la reprise à coup de taxes et de hausse des barèmes d’imposition. Dans ce cas, elle mettrait les Etats-Unis et le dollar en grande difficulté si d’autres pays décident simultanément de faire une priorité de la réduction de leurs déficits.

L’appel d’air exercé par des devises fortes et les matières premières sera irrésistible. Il accélèrera le carry trade au détriment du billet vert.

▪ Ce qui nous impressionne le plus en cette mi-octobre, c’est la duplicité des analystes. Ils se livrent à une bataille de surenchère pour prédire une hausse des cours de Bourse digne d’une croissance économique au zénith historique… alors que les chefs d’entreprises qu’ils interrogent — et que nous interrogeons également mais sans exiger d’eux la manifestation d’un optimisme de façade — se montrent beaucoup plus mesurés sur les perspectives de reprise et le niveau réel de leurs carnets de commande.

Ces entrepreneurs savent mieux que personne quelle est la véritable tendance sur le marché de l’emploi : LA priorité reste la maîtrise des coûts salariaux. Ils mesurent aussi le danger que fait planer la rapide montée des tensions sociales… qui crée un climat peu propice à une hausse de la consommation.

Nous ne pouvons que nous interroger sur la poursuite et l’aggravation potentielles de la rupture du lien historique entre le parcours boursier des entreprises et la réalité du terrain.

De même que le négoce des dérivés de crédit avait fini par vampiriser la finance mondiale (sans parler de la corruption des esprits) parce que c’était là que se faisait le big money, certaines classes d’actifs attirent de nouveau les capitaux par le seul fait de leur envol stratosphérique.

Ceux qui s’y précipitent se moquent bien de savoir s’il y existe une justification pour de tels gains : il leur suffit de considérer que tout vaut mieux que de rester "défensif"…

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