La Chronique Agora

Bouffées d’euphorie et accès de déprime, le marché serait-il maniaco-dépressif ?

▪ Mais pourquoi les marchés se sont-ils montés le bourrichon comme des cantinières croyant qu’un rat en maraude près du garde-manger annonçait la peste et ses ravages avant la nouvelle lune ?

La crise des dettes souveraines en Zone euro n’est guère plus redoutable qu’un bon gros gaspard des égouts venu chaparder en douce quelques reliefs alimentaires peu après la fermeture du marché dominical.

Ce n’est pas nous qui l’affirmons ; d’ailleurs nous ne sommes même pas capables de distinguer un rattus norvegicus d’un rat hooded — la nuit, tous les rats sont gris. Nous cédons volontiers la parole aux deux économistes américains lauréats du prix Nobel millésime 2011, Christopher Sims et Thomas Sargent.

▪ Les marchés se sont inquiétés pour rien car « il est facile de résoudre d’un point de vue économique, la question de la crise grecque ».

Et d’ajouter, lors de leur conférence de presse diffusée depuis la prestigieuse université de Princeton :  » il n’y a rien de nouveau — d’un point de vue théorique — en Europe qui ne puisse être résolu par davantage de fédéralisme budgétaire ».

Le seul bémol à leurs yeux (sinon leurs oreilles) c’est que « la difficulté est d’ordre politique ».

Nous avions failli passer à côté de cette évidence à force de nous focaliser sur les égoïsmes nationaux… l’incompétence de certains eurocrates… l’absence de gouvernance européenne… les petites phrases assassines… les postures à vocation électorales dignes de Clochemerle !

Nous aurions pu nous apercevoir également que le problème était seulement politique !

Vous mesurez ainsi à quel point un regard neuf ou un regard extérieur permet de démêler ce qui s’apparente, pour nous, à une inextricable chaîne de causalité et d’identifier les bonnes solutions.

Thomas Sargent rappelle comment les Etats-Unis ont résolu la crise budgétaire qui minait les treize Etats originels dans la période qui suivit l’indépendance en 1776. Les treize décidèrent d’unifier leur budget avec la Constitution de 1787.

Vous voyez, c’est tout simple et cela n’a pris que onze ans. Les Européens sont donc priés de ne pas dépasser un délai de onze semaines.

Son confrère, Christopher Sims, indique que « la Zone euro doit envisager la meilleure façon de partager les fardeaux budgétaires et que Banque centrale européenne a certainement vocation à proposer aux différents gouvernements sa compétence en la matière ».

Admirable intuition ! Nous faisons entièrement confiance à la BCE qui a si bien su anticiper la crise des subprime puis la contagion des dettes toxiques aux émissions obligataires des Etat.

Des dettes souveraines qu’elle n’a, en théorie, pas le droit de racheter, à plus forte raison lorsque Moody’s et Fitch rivalisent de zèle pour les dégrader en cascade, comme depuis mercredi dernier, alors que circulaient les premières rumeurs de possible extension des capacités du FESF en matière de recapitalisation des banques et des Etats.

Il leur faut effectivement se dépêcher de liquider leurs stocks d’abaissements de notation inemployés en 2007 et 2008 — il y a peut être une date de péremption fixée à fin 2011 puisque pour 2012, chacun sait bien que ce sera la fin du monde !

▪ Si les agences s’y étaient pris un peu plus tôt, disons au printemps 2010, l’Eurozone n’existerait peut-être déjà plus. La Grèce, quant à elle, serait au bord de l’insurrection ; certains de nos contacts — très échaudés par les exigences de la Troïka — nous affirment qu’il s’en faut de très peu pour que ce scénario se réalise !

Elles ont encore agi trop tard et semblent mener un combat d’arrière-garde. Cette stratégie de harcèlement stresse un peu les investisseurs mais elle convainc de moins en moins les marchés de l’imminence d’une désintégration de l’Eurozone.

C’est en tous cas le message que semblait vouloir faire passer Wall Street lundi soir, au lendemain du sommet de Berlin que nous avions déjà commenté à chaud dès hier matin.

▪ Nous avons assisté à un rally d’une intensité imprévue, surtout à l’issue d’une séance où la grande majorité des intervenants était théoriquement en congé pour cause de Colombus Day.

Et que dire de l’étrange profil de la première séance de la semaine où les indices américains ont été mis en stand-by à proximité des plus hauts du jour entre 17h45 et 21h ? En effet, les cours ont oscillé au sein d’un canal de 0,15% d’amplitude durant plus de cinq heures.

Le Dow Jones est resté en lévitation vers 11 375 points, le S&P à proximité des 1 190 points et le Nasdaq au-dessus des 2 555 points jusqu’à ce qu’une petite consolidation réduise les gains de 0,6% entre 21h et 21h30.

Et puis, sans crier gare, les cours se sont envolés de 0,8% à 1% supplémentaire au cours de la dernière demi-heure. Ce mouvement constitue l’exact symétrique de la baisse qui avait ramené les indices américains dans le rouge vendredi au cours des trente dernières minutes !

Au final, le Dow Jones s’envole de 3% et Standard & Poor’s 500 de 3,4% avec plus de 99% de titres en hausse. Plus spectaculaire encore, le Nasdaq Composite a pris 3,50% et le Nasdaq 100 3,45%, ce qui lui permet d’afficher à nouveau un score annuel positif de 2,75% tandis que le Dow Jones n’affiche plus que -1,25% (à 11 433 points).

L’appétit pour le risque ressurgit avec un euro qui s’envole de 2% à 1,367 $. L’indice VIX de la peur a dégringolé de 8% et le baril de pétrole a fusé de 3,6% sur le NYMEX vers 85,7 $.

Oui, étrange succession de bouffées d’euphorie ou d’accès de déprime que l’on pourrait presque croire sur commande, au gré des consensus à prendre à contrepied. Et si l’Europe résolvait toutes ses difficultés en moins de trois semaines en confiant les manettes aux deux prix Nobel fraîchement élus ce lundi ?

Et si la récession épargnait les Etats Unis grâce à une vague de commandes inespérées en provenance d’une Europe sauvée de la désintégration et qui se remet à croire en son avenir ?

Mais les marchés US cesseront peut être de rêver dès ce soir avec la publication des trimestriels d’Alcoa après la clôture. En attendant le géant de l’aluminium engrangeait hier un gain de 3,9%, sur l’espoir d’un diagnostic de ralentissement soft de l’activité et non d’une récession.

Avec le rebond des cinq dernières séances, si les profits déçoivent, les actions américaines auront pris un peu d’avance, ce qui leur évitera de menacer trop vite leurs récents supports annuels.

Et pas besoin d’être prix Nobel d’économie pour recourir à ce genre d’expédient !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile