La Chronique Agora

La boîte à outils de la BCE

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La BCE dispose de plusieurs outils pour ne pas provoquer une crise de la dette publique, et ainsi faire survivre l’euro malgré tout.

Nous arrivons à la fin de notre série d’articles sur l’avenir de l’euro. Si nous avons surtout parlé de risques jusqu’alors, il faut aussi se pencher sur les outils qui permettent de les contrer. La Banque centrale européenne a montré, crise après crise, qu’elle pouvait mettre en place des solutions pour préserver la monnaie unique.

Le « en même temps » est donc possible et concevable, via une normalisation monétaire et des dispositifs temporairement exceptionnels.

Avec la fin du QE et la remontée des taux directeurs, en parallèle d’un regain des incertitudes sur le financement de la dette publique italienne, il est par exemple légitime de repenser aux OMT (opérations monétaires sur titres), consistant pour la BCE à acheter des dettes d’Etats membres sur les marchés secondaires.

Sous conditions

Naturellement, ces opérations ne pourraient être mises en place que pour un gouvernement qui se pliera aux principes de réalité. Ces OMT ont fait l’objet d’une décision du conseil de la BCE du 6 septembre 2012. Mais cet instrument n’a jamais eu l’occasion d’être activé, puisque la spéculation contre les dettes publiques périphériques de la zone Euro avait cessé après le « whatever it takes » de juillet 2012. Puis, surtout, la mise en œuvre du QE à partir de janvier 2015 rendait obsolète ces OMT.

Mais voilà : le QE généralisé est en voie d’extinction, ce qui remet au goût du jour ces instruments. Rappelons quelques caractéristiques de ces OMT méconnues.

Déjà, contrairement aux SMP (pour Securities Market Program) de 2010-2012 (concernant Grèce, Portugal, Italie et Espagne), il ne fut pas fixé de limite quantitative à l’achat d’obligations d’Etat. Tout au plus, la maturité résiduelle maximale a été fixée à 3 ans.

Les obligations d’Etats en difficulté devaient être souscrites directement par la BCE, ce qui élimine la corrélation entre risque bancaire et risque souverain et est donc censé diminuer le risque systémique.

Une petite concession avait été faite à l’Allemagne à l’époque : la conditionnalité des OMT. En effet, les pays qui bénéficieraient de ces programmes seraient alors obligés d’adhérer à un programme dit d’ajustement complet ou à un programme dit de précaution.

De plus, afin de satisfaire également le camp monétariste orthodoxe au sein de l’institut d’émission, les opérations effectuées devaient être stérilisées. Cela veut dire qu’officiellement, la BCE devait reprendre d’une main ce qu’elle donnait de l’autre. Ainsi, toute la monnaie banque centrale émise pour acheter les dettes périphériques de la zone euro serait reprise pour que la masse monétaire ne progresse pas (ce que l’on appelle dans le jargon des économistes la stérilisation de la liquidité).

Il est vrai que ce point est devenu dérisoire entre 2015 et début 2022, au regard de l’extraordinaire création monétaire réalisée durant ces années, que ce soit par des QE « normaux » type APP (pour assets purchasing program) ou le QE « extraordinaire » de mars 2020 (appelé PEPP pour pandemic emergency purchasing program).

Cinq techniques

Le TPI (transmission protection instrument) présenté par la BCE lors de son conseil de politique monétaire du 21 juillet dernier en tant qu’outil destiné à lutter contre la fragmentation au sein de la zone euro (notamment via un écartement violent des spreads entre les taux des emprunts d’états de la zone) s’inspire largement de ces OMT.

Pour que les OMT ainsi que ce nouveau dispositif anti-fragmentation (sans doute ces deux instruments pourraient-ils n’en faire qu’un) soient efficaces dans le contexte monétaire actuel, passons en revue les outils de politique monétaire les plus adaptés pour stériliser la liquidité banque centrale : injections de liquidité pour stabiliser les dettes publiques en « crise » versus retraits de liquidité ciblés dans un objectif global de neutralité monétaire.

Nous pouvons recenser cinq techniques simples qui existent depuis « toujours » et qui peuvent permettre sans grandes perturbations de neutraliser la liquidité banque centrale.

La première est le reverse repo : la Banque centrale met en repo des actifs auprès des banques, ce qui réduit la liquidité bancaire. C’est l’inverse de la « prise en pension », lorsqu’une banque centrale se déleste de ses papiers auprès des banques commerciales qui lui renvoient de la monnaie.

Il paraît difficile d’imaginer les banques reprendre de manière significative à la BCE les types de collatéraux apportés depuis plusieurs années et renoncer ainsi à une liquidité qui restera confortable même si elle devient de plus en plus chère. Cette première technique ne devrait donc pas être trop utilisée.

La deuxième consiste en des ventes d’actifs pour récupérer de la monnaie, en particulier ceux achetés pendant certaines phases de fort stress sur les marchés et même après (par exemple les covered bonds ou obligations sécurisées ainsi que les emprunts d’Etat les plus sûrs).

Pourquoi pas ? Mais déshabiller Paul pour habiller Pierre n’a jamais été une solution en économie, et il ne servirait à rien de faciliter le financement des déficits espagnol et italien en rendant plus difficiles les conditions de refinancement de certaines banques et leur accès au marché de la dette dite sécurisée. Donc, là encore, cette technique devrait être utilisée avec parcimonie par la banque centrale.

Des taux plus hauts

La troisième est l’émissions de titres par la Banque centrale elle-même ou – ce qui revient au même –, l’offre de compte à terme ou dépôts à terme.

C’est la technique la plus simple et la moins coûteuse pour le système bancaire. Il suffit d’offrir aux banques du papier émis par la BCE à un taux un peu mieux rémunéré que le taux de dépôt, bas de fourchette des taux directeurs. On rappellera que ce taux a été remonté de -0,50% à 0% le 21 juillet dernier et qu’ainsi il a été mis un terme officiel à l’ère des taux négatifs qui avait été inaugurée en juin 2014, lorsque ce même taux alors à 0% avait entamé son long parcours en territoire négatif : de 0% à -0,50% en 5 baisses successives de 0,10%, entre juin 2014 et septembre 2019.

Cette troisième technique nous semble appropriée dans le contexte actuel, puisque cela revient implicitement à envoyer au marché monétaire un signal de poursuite de remontée des taux courts, ce que souhaite faire d’ailleurs la banque centrale. Pour autant, nous ne savons pas si la BCE aura massivement recours à cette technique.

La quatrième est une rémunération plus élevée des réserves des banques, ce qui ne réduit pas la liquidité des banques mais la maintient placée à la banque centrale. Les banques commerciales sont tenues de mettre à la BCE un minimum de 1% des dépôts (les fameuses réserves obligatoires) qu’elles collectent. Ces montants ne sont donc pas utilisés pour financer l’économie ou acheter des actifs financiers.

Si ces dépôts sont mieux rémunérés, les banques pourraient alors être tentées de constituer des réserves supplémentaires. Comme pour la technique précédente, ceci revient à confirmer la poursuite de la remontée des taux courts.

La cinquième, moins évoquée mais traditionnellement utilisé par une banque centrale en période de fonctionnement normal du marché interbancaire, est le fait de tout simplement ne pas renouveler pour le même montant les financements hebdomadaires obtenus par les banques lors des appels d’offres normaux contre mises en pensions (ce qui reviendrait à retirer de la liquidité).

En résumé, si d’aventure la BCE était amenée à activer le TPI (ou OMT) pour ne pas provoquer une crise de la dette publique dans un pays de la zone, on voit qu’elle dispose d’outils qui lui permettent de mener une politique monétaire globalement plus neutre voire légèrement restrictive.

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