La Chronique Agora

Le bobo de la dette européenne va-t-il se transformer en gangrène ?

▪ « What did you expect ? » demande Nicole Kidman — à moitié nue et regard de velours — à un admirateur transi dans la dernière publicité pour un soda aux agrumes qui se marie à merveille avec le gin ou la vodka. Oui, à quoi vous attendiez-vous après une déferlante de statistiques d’activité aux Etats-Unis plus consternantes les unes que les autres depuis le mois de mai dernier ?

L’économie américaine n’a ainsi créé aucun nouvel emploi pour la première fois depuis octobre 2010. La révision à la baisse des chiffres des mois précédents confirme en outre que la dégradation du marché du travail s’accélère depuis le premier trimestre 2011.

Le marché tablait sur un score de 70 000 ; la déception est terrible. Mais pour qui en réalité ? Et cela change-t-il quelque chose au tableau outre-Atlantique ?

Comme l’ont déjà martelé tous les rédacteurs de la Chronique depuis 2009, il faudrait au minimum 250 000 à 300 000 nouveaux emplois chaque mois pour faire reculer le chômage aux Etats-Unis. Même avec un chiffre de 100 000 (la moyenne mensuelle cette année), le marché du travail serait bien loin du compte.

Les mauvais chiffres du mois d’août s’expliquent principalement par le licenciement de fonctionnaires pour cause d’économies budgétaires. Il y a également des pertes nettes d’emplois dans le secteur privé : 7 800 dans la distribution, 5 000 dans le bâtiment, 3 000 dans l’industrie.

Les entreprises américaines bénéficient d’une fiscaslité « accommodante ». Les règles en vigueur sont allègrement contournées par les génies de l’optimisation fiscale à l’échelle planétaire, et cette fraude institutionnalisée passe comme une lettre à la poste. Les sociétés ne peuvent pas se plaindre d’une législation trop protectrice pour les salariés : les licenciements s’opèrent en quelques minutes dès lors qu’une réduction d’effectifs a été jugée opportune.

Si elles décidaient d’investir, la Fed leur propose de l’argent gratuit pour encore deux ans. Le gouvernement leur offre des subventions déguisées dès que leur activité relève de la sécurité nationale ou présente un intérêt stratégique en termes de leadership technologique.

Les Etats-Unis représentent a priori la synthèse des conditions les plus favorables pour monter une activité, mais la plupart des grandes entreprises n’embauchent pas… Tout du moins pas sur le territoire qui leur a permis de prospérer.

La problématique demeure toujours la même. Qu’est-ce que va rapporter le dollar investi dans l’Ohio ou le Michigan par rapport à celui investi au Brésil ou en Ukraine ?

Ce sont-là des pays dont le taux de croissance dépasse les 6% ou 7% par an. Nous éviterons de vous asséner les exemples indiens ou chinois car l’inflation y engendre désormais des conditions monétaires restrictives. L’Afrique, quant à elle, redevient la terre de toutes les opportunités.

▪ Et quel type de (dé)croissance attend les Etats-Unis ou l’Europe à l’horizon 2020 ?

Laissons les marchés obligataires répondre : le rendement du Bund est descendu vendredi sous la barre des 2% (à 1,975%) et celui des T-Bons à 10 ans à 2,007%.

Le marché obligataire nippon véhiculait le même type d’anticipation dès 1992/1993. Cela paraissait complètement idiot (après la récession, le rebond). Toutefois, avec avec le recul, nous savons désormais que cela s’est avéré encore trop optimiste et que sans la multiplication des plans de relance keynésiens (qui se sont succédé durant 15 ans), le Japon s’exposait à une décennie de récession et de déflation.

Le paradoxe, c’est que le Japon ne s’est jamais autant équipé et modernisé que durant ces années où la croissance était déclarée en état de mort clinique par les experts occidentaux.

De l’argent a probablement été gaspillé mais celui qui a été injecté dans « l’économie réelle » se voit (comme en Chine depuis une décennie), alors qu’aux Etats-Unis, les milliards de la Fed n’ont réussi qu’à doper les cours de l’or.

▪ Certains effets de seuil sont carrément mortels. Regardez ce qui arrive à la Grèce (encore bien moins endettée que le Japon à l’heure actuelle). Quand la récession devient trop profonde (entre -4% et -5%), les créanciers estiment que le pays qui en est victime franchit le point de non-retour et la suite des événements devient un long calvaire

Observez le rendement des bons du Trésor grec à deux ans qui s’envole vers 50% tandis que le un an est monté à… 72% vendredi !

Cela en dit long sur la valeur marché de la dette grecque. Or les 350 milliards émis par Athènes ne subissent encore qu’une décote officielle limitée à -21% (soit -70 milliards).

D’après le niveau affiché par les CDS — et les rendements des « papiers courts » évoqués plus haut — la décote réelle est supérieure à 50%. Pour les détenteurs, cela correspond à une perte potentielle se situant entre 160 et 200 milliards d’euros.

Les banques européennes et la BCE peuvent-elles y survivre ? La réponse est assurément non sans la création des Euro-Bonds.

▪ Wall Street considère que c’est de là que provient le danger pour la stabilité du système économique planétaire. Un simple bobo à l’orteil s’est transformé en gangrène ; nul ne sait si le malade européen pourrait survivre en se coupant le pied grec ou même la botte italienne.

Ces angoissantes interrogations se sont ajoutées aux mauvais chiffres américains. Wall Street a terminé la semaine au plus bas, avec des replis qui s’étagent entre -2,2% et -2,55%.

Les gains engrangés lundi, mardi et mercredi ont été intégralement effacés sur le Nasdaq (score hebdomadaire égal à zéro). Idem sur le Dow Jones, qui affiche pour la semaine un score légèrement négatif de -0,6%.

La réaction des investisseurs américains a certes été négative. Beaucoup d’opérateurs ont jugé prudent d’alléger les portefeuilles à la veille d’un week-end de trois jours (les Etats-Unis sont en congé ce lundi pour cause de fête du Travail). Mais la correction apparaît une nouvelle fois beaucoup plus mesurée qu’en Europe où les indices ont dévissé de 3,5%.

Les volumes d’échanges sont heureusement demeurés modestes vendredi. Il suffirait cependant d’une méchante rumeur distillée au bon moment pour que le CAC 40, par exemple, retombe sous les 3 100 points et subisse les effets dévastateurs d’une nouvelle spirale baissière incontrôlable.

Ce 5 septembre sera-t-il aussi celui de la rentrée des vendeurs à découvert ?

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