▪ Comme nous aimerions occuper aujourd’hui le fauteuil de Ben Bernanke ! En plus d’être considéré comme un dieu vivant par les brasseurs d’argent de Wall Street et les 5% d’Américains les plus riches du pays, nous pourrions aborder la réunion mensuelle qui débute ce mardi sans craindre de commettre le moindre impair dans notre communication.
Il nous suffirait de publier mercredi un communiqué faisant la synthèse des différentes théories concernant le message favorable que la Fed délivrera demain… lequel justifie amplement les 1,5% de hausse affichés par les indices boursiers ce lundi.
La bourse de Paris est même parvenue à s’envoler de 2% alors qu’une stabilité était attendue en préouverture, après les 0,6% à 0,7% de repli de Wall Street vendredi. Ce pronostic semblait logique au vu de l’absence totale d’actualité économique durant tout le week-end.
Le CAC 40, qui avait ouvert à 3 815 points, a très vite gagné une cinquantaine de points en moins d’une heure lundi matin alors qu’aucune nouvelle n’expliquait un tel rally. Il s’est ensuite adjugé 65 points, à 3 880. L’indice a effacé en à peine trois heures de cotation la totalité des pertes de la semaine passée.
▪ Les opérateurs se fichent du lendemain
Les jeux étaient faits bien avant la publication des premiers chiffres américains du jour. Il était commode — mais fallacieux — de les invoquer A posteriori.
Nombre de commentateurs ne s’en sont pourtant pas privés. Wall Street salue les signes évidents de redressement de l’activité dans l’industrie et l’immobilier, le renforcement du sentiment de richesse des ménages américains… Et il est tout à fait justifié d’assister à une chasse aux bonnes affaires après que le S&P 500 a reperdu 3% depuis ses récents sommets.
Tokyo, qui a rechuté de 20%, attend toujours de voir les particuliers réinvestir sur le Nikkei. Afin de leur montrer le bon exemple, les institutions financières avaient arraché Tokyo à la hausse (de 2,8%) lundi matin… sans que cela déclenche autre chose qu’une vague d’achats suiveurs émanant de fonds qui se comportent comme des day traders.
Ils n’ont comme seule motivation que d’engendrer une succession d’écarts à la hausse en se fichant totalement du lendemain ou des perspectives moyen terme. Peu leur importe que les écarts en intraday dépassent 2%, 4% ou 6% (ce qui s’est produit jeudi dernier) sans aucun lien avec la réalité économique : l’important, c’est qu’il y ait du directionnel et de la volatilité.
▪ L’Europe déjoue les pronostics
En Europe, les 2% engrangés dès la fin de la matinée ont déjoué tous les pronostics — y compris les plus optimistes.
Personne ne l’avait prévu — mais à la pause déjeuner, chacun pouvait expliquer le plus sereinement du monde que le « marché » (ou ce qui veut se faire passer pour un marché) fait le pari que la Fed dira demain très exactement ce que les opérateurs veulent entendre.
Un rêve de Bisounours : pas d’inflexion imminente de la politique monétaire, une réduction très graduelle de la taille du QE3, un timing dicté par l’évolution du marché de l’emploi (les 6,5% de taux de chômage pourraient ne pas être atteints avant… 2020).
Le marché se moque totalement de l’absence de reprise économique véritable ou d’un taux de rotation du crédit au plus bas depuis 30 ans… Tout ce qui compte, c’est que la Fed lui promette que les liquidités vont continuer de couler à flot pendant très, très longtemps.
Personne n’imagine un seul instant que la Fed puisse agir dans l’optique d’éviter une poursuite de la course au rendement qui pousse les opérateurs à prendre tous les risques — quelle que soit la catégorie d’actifs considérée (junk bonds, ETF indiciels…), en usant de leviers qui font froid dans le dos.
Aucun danger d’accident fatal à l’horizon puisque jamais les opérateurs n’avaient développé d’outils de maîtrise du risque aussi sophistiqués qu’en 2013.
▪ Dieu tient le cap
La Fed leur fait entièrement confiance. C’est à peine si Ben Bernanke évoquait du bout des lèvres le 22 mai dernier une possible surévaluation de certaines classes d’actifs, sans préciser lesquels.
Dieu sait se montrer aussi infaillible que discret sur les sujets qui fâchent… Il s’en tient à sa ligne directrice, qui consiste à ne jamais indisposer les marchés. Ne rien dire qui puisse les faire retomber du paradis artificiel dans lequel il les maintient depuis cinq ans à coups d’hectolitres de drogue monétaire.
Les leçons de décembre 1996 ont été retenues. Il ne sera plus jamais question de fustiger une exubérance irrationnelle, quel qu’en soit le motif.
Nous avons pourtant le sentiment d’être en plein dedans avec la publication de l’indice de confiance NAHB des constructeurs de maisons individuelles aux Etats-Unis. Il s’est envolé de huit points au mois de juin — de 44 vers 52, contre 45 attendus.
C’est du jamais vu depuis huit ans ! Le baromètre NAHB affiche 79% de hausse sur les 12 derniers mois écoulés. Il se retrouve ainsi à son meilleur niveau d’avril 2006, au sommet de la bulle immobilière.
Un seul minuscule détail distingue le marché immobilier version 2013 par rapport au printemps 2006… Les mises en chantier de logements neufs (et principalement de maisons individuelles) restent deux fois moins nombreuses, en rythme annuel, qu’à l’époque : 850 000 en avril 2013 contre deux millions en avril 2006… et 2,2 millions en juin 2005.
L’autre bonne surprise du jour est venue de l’indice Empire State mesurant l’évolution de l’activité manufacturière dans la région de New York. Il est ressorti à 7,8 contre -1,4 en mai, en dépit d’une détérioration de ses principales composantes — dont les commandes nouvelles, qui chutent de -1,2 à -6,7, ainsi que le sous-indice de l’emploi qui a reflué de 5,7 à zéro.
Moins de commandes, moins de salariés au travail… mais l’activité industrielle se porte beaucoup mieux. Quand il n’y aura plus ni clients ni salariés, l’économie américaine atteindra son rendement optimal !