La Chronique Agora

Bernanke écartèle les T-Bonds US entre le zéro et l’infini

▪ Wall Street a célébré ces dernières semaines Ben Bernanke comme le « héros » de la crise des dérivés de crédit. En fait, il a surtout réussi à rendre les opérateurs dépendants à l’héroïne de l’assouplissement quantitatif (c’est-à-dire à la planche à billets).

Chaque shoot de liquidités met Wall Street en extase mais les effets se dissipent de plus en plus rapidement. Il faut donc rapprocher les injections et augmenter les doses — sinon le phénomène de manque revient de plus en plus vite, via les marchés obligataires principalement.

La bulle obligataire gonfle démesurément. Le seul espoir des détenteurs de bons du Trésor US de préserver leur capital, c’est donc de voir la valeur algébrique des T-Bonds progresser plus rapidement que le dollar ne chute du fait de l’accroissement sans limite de la quantité de monnaie en circulation.

Pour cela, il faut que le rendement des bons du Trésor US continue de tendre vers zéro tandis que le montant des liquidités déversées dans le système tend vers l’infini.

Mais « Helicopter Ben » défend avec aplomb cette folle mécanique — qui devient totalement suicidaire puisqu’il la juge parallèlement sans risque : « il faudra des années avant que l’inflation ne redevienne une menace ».

▪ Le seul exemple récent d’une telle fuite en avant dans la création monétaire a déjà été largement commenté par Bill Bonner qui nourrit une affection particulière pour le billet de 100 000 milliards de dollars zimbabwéens (cent mille milliards), un pays où l’inflation atteignit 250 000 000% (250 millions de pourcent) l’an dernier.

Ce phénomène eut un précédent malheureux en Europe dans les années 30. Il continue de hanter la mémoire des Allemands et de leurs actuels dirigeants ; ces derniers ne veulent pas entendre parler du projet de création d’un fonds de secours alimenté par le biais d’un euro-emprunt souscrit par l’ensemble des pays de l’Eurozone, en fonction de leur poids économique relatif, ce qui ferait de l’Allemagne le premier contributeur.

Les tensions entre le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, et Angela Merkel sont montées d’un cran mardi puis mercredi à ce sujet. Cependant, le veto allemand ne suffit plus à rassurer les détenteurs de Bunds qui voient poindre une menace inflationniste à l’horizon.

La production industrielle a fait un bond de 2,9% en Allemagne au mois d’octobre, tandis que le prix des matières premières commençait à se renchérir de façon alarmante (métaux de base et énergie). La santé florissante de l’économie outre-Rhin ainsi que celle de la Chine ont propulsé les prix du pétrole jusque vers 90 $ début décembre.

▪ Difficile de fermer les yeux ou de feindre de n’avoir rien vu ces dernières semaines. Il y a un moment où les marchés finissent par se télescoper avec la réalité ; cela s’est traduit ce mercredi par l’échec surprise d’une adjudication de cinq milliards d’euros de « Schatz » en Allemagne.

L’émission de Bunds à deux ans a été boudée par les investisseurs. Ils n’ont souscrit qu’à hauteur de quatre milliards d’euros sur les cinq milliards proposés. Cela trahit la désaffection des opérateurs pour des produits n’offrant que de faibles rendements à court terme mais qui restent menacés de forte dépréciation à moyen terme.

▪ En matière de perte en capital potentiel pour leurs détenteurs, les emprunts grecs semblent sans rivaux en Europe… mais le pire est probablement à venir aux Etats-Unis. Moody’s a en effet maintenu la note « AAA » des T-Bonds américains, mais les a clairement placés sous surveillance avec implication négative, du fait du creusement des déficits.

La Fed veut stimuler la croissance à tout prix — et le fait savoir… Cependant, la nouvelle majorité républicaine prive le pays de précieuses recettes fiscales qui vont accroître de façon certaine les déficits dans l’immédiat, au nom d’une hypothétique reprise économique qui pourrait bien pâtir de futures mesures d’austérité visant à contenir la dérive de la dette fédérale.

Wall Street retient son souffle, n’osant croire que la situation puisse échapper à Ben Bernanke sur le front obligataire… mais sans pouvoir se raccrocher à une absolue certitude en la matière. En effet, la situation a clairement dérapé ces dernières 48 heures sur le front des Treasuries. Le T-Bonds à 10 ans (la principale référence en matière de taux longs) s’envolait mercredi au-delà des 3,25%, contre 2,9% vendredi dernier.

▪ Les indices américains sont restés quasi inchangés durant toute la séance d’hier, le Dow Jones grappillant 0,1%, le S&P 0,35% et le Nasdaq 0,4%, à 2 609 points. Ce sont de nouveaux records de clôture annuels — mais les meilleurs scores affichés la veille à l’ouverture n’ont jamais été approchés.

En Europe, le DAX 30 a effectué quelques brèves incursions au-dessus des 7 000 points. Toutefois, la tension des taux longs a stoppé net l’élan haussier des valeurs allemandes, à l’issue d’un rally haussier historique de 95% en 18 mois.

Francfort étant en panne (-0,4%), c’est donc Paris qui s’offrait pour une fois la place de leader sur le podium européen avec un gain de 0,55%. Ce chiffre est assez éloigné des +1,1% affichés à une heure de la clôture, dans des volumes assez médiocres de 3,3 milliards d’euros.

▪ Ces scores étant peu significatifs, il fallait se tourner du côté des métaux précieux pour observer des mouvements plus tranchés. La séance de mercredi a été marquée par une poursuite de la consolidation de l’or (-2% à 1 380 $/once) et de l’ensemble des métaux précieux : ils souffrent de la remontée des rendements des bons du Trésor de part et d’autre de l’Atlantique.

Ce n’est pas encore le signe précurseur de l’éclatement d’une supposée bulle sur l’or (qui ne risque qu’un petit dégonflement passager le temps de procéder à quelques arbitrages)… mais le moindre imprévu peut désormais faire très vite basculer la situation.

Wall Street tient pour acquis la validation du compromis entre la Maison Blanche et les républicains sur la question des cadeaux fiscaux consentis aux riches et ultra-riches. Mais cet accord de circonstance indispose une large fraction des parlementaires démocrates. Barack Obama vient de s’aliéner une nouvelle frange de sa propre famille politique, lassée de voir des arrangements « immoraux » ou contraires aux intérêts du pays se conclure dans le dos des contribuables.

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