Qui a été la plus grande canaille financière de l’histoire des Etats-Unis ? Bernie Madoff ? La réponse va – peut-être – vous surprendre…
Nous avons passé un 4 juillet très calme : nous avons repeint une chambre du troisième étage. Contrairement au travail avec une tronçonneuse, lorsqu’on peint, on peut laisser son esprit vagabonder sans craindre de perdre une jambe.
Nos pensées, en l’occurrence, se sont concentrées sur les canailles et les coquins qui ont fait des Etats-Unis ce qu’ils sont vraiment aujourd’hui.
Nous avons bien vite réalisé que nous avions l’embarras du choix. Qui était le plus grand de tous ? Etait-ce Hamilton, qui a écrasé la Révolte du Whiskey et a centralisé le pouvoir à Washington ? Lincoln, à l’origine d’une guerre qui a envoyé près d’un million d’Américains à la tombe ? Theodore Roosevelt, qui a mis le pays sur la route de la gloire impériale… ou Woodrow Wilson, qui voyait César Auguste en personne lorsqu’il se regardait dans le miroir ?
Hélas, le panthéon des héros politiques grouille de mystificateurs. Mais puisque notre sujet, c’est l’argent, nous allons limiter nos recherches aux plaines qui entourent le mont Olympe… et aux bars mal famés du voisinage.
C’est ainsi que nous avons trouvé notre héros… dans les pages du New York Times mardi.
Succédané de gloire
L’ancien président de la Fed a prononcé un discours devant un groupe d’économistes. Pour des raisons que le Times ne mentionne pas – si toutefois elles existaient –, le journal a transmis ces réflexions comme si elles avaient de l’importance.
Ben Bernanke a connu un quart d’heure de succédané de gloire lorsque Lehman Bros. a fait faillite et que le système financier semblait au bord de l’effondrement.
En septembre 2008, les gens couraient en tous sens comme des poules à qui on vient de couper la tête. Mais dans son livre éhonté, Mémoires de crise, Bernanke ne mentionnait pas que c’est lui qui tenait le couteau ensanglanté, l’agitant devant le Congrès US et avertissant que si les politiciens n’agissaient pas ce vendredi, « vous n’aurez peut-être plus d’économie » lundi…
… Ce qui montre à quel point il n’y connaissait rien à l’économie et aux marchés. Les paniques sont utiles ; elles éliminent – rapidement – les mauvaises dettes, les mauvaises entreprises et les mauvais investissements. Rien de réelle valeur ne disparaît. Les maisons… les magasins… les usines… les voitures – tout ça n’allait pas disparaitre. L’économie non plus.
L’effondrement de septembre 2008 ne faisait que corriger les bidouillages malavisés de Bernanke lui-même. La Fed avait fait baisser les taux trop bas pendant trop longtemps (Erreur n°1). Cela avait mené à des excès d’expansion et d’investissement, et à une mauvaise allocation des capitaux.
Ensuite, lorsque la Fed a fait grimper les taux pour tenter de « normaliser » les marchés du crédit (Erreur n°2), elle a poussé les emprunteurs par-dessus bord.
Les propriétaires immobiliers firent défauts sur leurs prêts. Les prêteurs immobiliers et leurs propres prêteurs firent à leur tour faillite. C’est ce qui est censé se produire. La mauvaise dette doit être éliminée ; les emprunteurs et les prêteurs sont censés apprendre à ne pas recommencer.
Au lieu de ça, durant la panique de 2008-2009, Bernanke passa directement à La Plus Grande Erreur n°3 Jamais Commise : il coupa court à ce processus d’apprentissage et mit fin à la correction.
Le taux directeur de la Fed atteignit le « zéro effectif », et au lieu de permettre à l’industrie financière de souffrir de ses erreurs avec dignité, la Fed ajouta quelque 4 000 milliards de dollars de liquidités pour aider à faire flotter les yachts des financiers dans les ports du Connecticut.
Un acte de bravoure ?
Nous sommes près de 10 ans plus tard. Qu’a donné cet acte de bravoure – interrompre une correction du crédit extrêmement nécessaire – au final ?
Le New York Times nous dit que les 10% les plus riches ont enregistré une augmentation de 27% de leur richesse depuis 2007. Même ainsi, les classes moyennes n’ont pas réussi à récupérer leur patrimoine perdu : les autres 90% en sont encore à une baisse de 20% à 30% de leur richesse.
Les premiers 10% ont doublé leur part de la richesse nationale américaine depuis les années 70. Les 0,1% les plus riches possèdent désormais autant de richesse que l’intégralité des 90% les moins riches.
Même dans la meilleure économie de tous les temps – selon l’équipe Trump – la richesse continue de s’écouler vers quelques capitalistes, non vers la multitude. Un rapport d’Oxfam montre que 82% de la richesse générée dans le monde en 2017 est passée au 1% les plus riches. Les 50% les plus pauvres n’ont rien eu.
Aux Etats-Unis, l’épargne des ménages a atteint un nouveau plancher cette année, sous les 3%, tandis que la dette des ménages battait un sommet record au premier trimestre. Elle est à 1 321 milliards de dollars, le paiement du service de la dette représentant près de 6% des revenus disponibles.
Mais personne ne semble très intéressé par la perspective de découvrir ce qui se passe vraiment… ou pourquoi. Lorsqu’il s’est exprimé devant les économistes assemblés, Bernanke n’a pas admis de faute… et le Times ne lui en a reproché aucune.
Tant Bernanke que le Times ont préféré se concentrer sur la baisse d’impôt peu judicieuse des républicains.
« Cela rend le travail de la Fed plus difficile », a-t-il dit au groupe, à l’American Enterprise Institution, « parce que ce qu’on a, c’est une relance à un moment très mal choisi ».
Une baisse d’impôts sans réduction des dépenses correspondante est toujours une fraude. Mais c’est une fraude que la plupart des économistes – dont Ben Bernanke – approuvent, si elle est faite au bon moment.
Selon eux, les autorités devraient assouplir lorsque les conditions sont serrées, et resserrer lorsque les conditions sont souples.
A présent, maintenant que l’économie est supposée être en surchauffe, ce n’est pas le moment de baisser les impôts. Les dépenses supplémentaires feront grimper les prix, disent-ils.
Ensuite, lorsque les temps seront à nouveau durs, que fera la Fed, veulent-ils savoir ? Elle voudra baisser les taux… mais elle est tenue par la loi de les augmenter pour garder le contrôle de l’inflation.
Ses options seront donc réduites ; elle aura les mains liées.
La débâcle qui arrive – et pour laquelle Bernanke est plus à blâmer que quiconque – sera de la faute des républicains.
Ainsi, Ben S. Bernanke, le héros de 2008 et « Homme de l’Année » pour le TIME en 2009, cherche à sauver sa place parmi les grands hommes de la finance – aux côtés de John Law, Bernie Madoff et Jérôme Kerviel.