La Chronique Agora

Le nom de Ben Bernanke restera dans les mémoires de la Fed…

▪ J’ai déjeuné mardi avec une joyeuse assemblée de gérants et d’analystes mal pensants qui estiment qu’un jour, Ben Bernanke sera considéré comme le responsable d’une des pires crises qu’aura connu le capitalisme au cours des deux derniers siècles.

Son nom, tout comme celui d’Alan Greenspan, restera à tout jamais associé à un désastre financier qu’il n’avait ni vu venir ni cherché à prévenir en 2007/2008. Il demeurera aussi celui qui tenta, pour résoudre un problème de dette, d’en créer encore plus que son pays n’en avait jamais généré au cours du siècle précédent.

La Fed qui a fêté son 100ème anniversaire il y a quelques jours pourrait bien ne pas souffler sa 101ème bougie si jamais les Chinois ou d’autres créanciers exigeaient plus qu’un recours systématique à la planche à billets pour bénéficier de l’assurance d’être remboursés un beau jour.

Mais tout le monde sait bien que les Etats-Unis en sont incapables… donc tout le monde a intérêt à faire semblant qu’ils en ont encore la capacité.

Jusqu’en 2007, tout le monde faisait aussi semblant de croire que des emprunteurs insolvables pourraient s’offrir les mêmes choses que des personnes ayant un bon travail et de l’épargne. Qu’il n’y aurait pas de problème tant que les prix de l’immobilier continueraient de grimper… Cela faisait les affaires de tout le monde puisque chacun se sentait plus riche au moment d’aller solliciter une rallonge en liquide à sa banque.

Cette dernière faisait semblant de croire que ses clients resteraient solvables en cas de rechute des prix de l’immobilier… mais ce n’était pas la peine d’y réfléchir puisque les prix ne pouvaient que continuer à monter.

Il en va de même avec les dettes souveraines…
Les emprunteurs sont insolvables mais le marché fait comme si les banques centrale avaient le pouvoir de faire grimper éternellement le prix des T-Bonds, des OAT… ou des emprunts libellés en yen.

Les créanciers ne conservent ce papier que parce qu’ils ont l’absolue conviction qu’il vaudra demain plus cher qu’aujourd’hui — étant entendu que les fondamentaux pourraient justifier qu’ils vaillent instantanément 30% ou 40% de moins.

Une hypothèse tellement affreuse que sa probabilité d’occurrence est estimée à zéro. Il en allait exactement de même avec les dot.com en 2000 ou les subprime en 2007 !

Aujourd’hui, la question à 750 000 milliards de dollars (la taille des encours détenus par les banques sur les marchés dérivés), c’est : les détenteurs de dettes vont-ils faire éternellement confiance à l’émetteur et continuer d’agir comme s’ils ne savaient pas ?

Cela revient à se demander si un dragster de 1 500 CV gavé au nitro-méthane et lancé à 450 kilomètre/heure va ralentir tranquillement passé la cellule de chronométrage alors qu’il n’y a plus de freins, plus de parachute (histoire d’alléger l’engin et de lui permettre d’aller encore plus vite)… au lieu de s’écraser contre le rail de sécurité qui protège l’épingle à cheveux au bout de la ligne droite.

▪ Surtout, ne pas ralentir…
Aujourd’hui, si l’on en croit la communication de la Fed, le dragster va juste cesser d’accélérer et commencer à perdre de la vitesse, à concurrence du frottement de l’air sur ses gigantesques roues arrière.

Autrement dit, il va poursuivre sa course avec à peine moins de vitesse que sur la fin des 400 premiers mètres… mais avec suffisamment d’énergie cinétique pour parcourir encore trois kilomètres, alors que le mur de pneus et le rail de béton sont situés à tout juste 800 mètres : le choc à la vitesse résiduelle de 250 km/h promet d’être terrible !

La Fed reste bien dans sa logique de ne chercher à aucun prix à réduire la vitesse du dragster. Elle a annoncé une réduction de 10 milliards de dollars de ses injections monétaires… tout en précisant qu’elles pourraient être augmentées en cas de signaux de faiblesse économique.

Donc si la Fed réduit de 10 milliards ses rachats en janvier… on s’en fiche puisque de toute façon, le Trésor US émet moins de papier depuis le milieu de l’année avec le ralentissement du gonflement du déficit fédéral.

Cerise sur le gâteau, Ben Bernanke n’indique pas de calendrier — donc pas de projet de réduction graduelle et régulière en vue d’une extinction à un horizon de six ou neuf mois. Si ça se trouve, avec Janet Yellen, on pourrait se retrouver à 100 milliards de dollars par mois d’ici fin 2014.

Tout va se jouer au mois le mois en fonction des chiffres. Il ne reste plus qu’à prier qu’ils soient mauvais ces prochaines semaines. En imaginant que ce ne soit pas le cas, cela va introduire une incertitude permanente en cas de renforcement de l’activité économique.

▪ Guet-apens pour les vendeurs
Les permabulls, eux, ne veulent retenir que la promesse de taux zéro jusqu’en 2016 avec le quasi-abandon de l’objectif de taux de chômage et la référence au taux d’inflation — dont on espère qu’il va demeurer très bas.

Comme la tendance reste très déflationniste sur les salaires, ce n’est rien que du bonheur pour les Bisounours à lunettes roses ! Ce sont eux qui sabrent le champagne et jettent des brassées de confettis à Wall Street. Les indices enregistrent leur plus forte hausse depuis le 10 octobre et ils ont renoué en une seule séance avec leur zénith annuel.

Le Dow Jones (+1,85% au final) a fait un bond de 220 points en cinq minutes — entre 15 820 et 16 020 –, puis de 150 points supplémentaires entre 20h07 et 22h. Il a ainsi établi un nouveau record absolu de clôture à 16 168 points.

Ce qui nous paraît cocasse, c’est que ces 200 points gagnés en moins de temps qu’il n’en faut pour ouvrir une boîte de caviar l’ont été avant même que Ben Bernanke se présente devant un micro pour commenter la décision de la Fed.

Tout s’est passé comme si les acheteurs avaient voulu « tuer les vendeurs » après avoir obtenu, à 20h00 et 10 secondes, le déclenchement de stops à la vente… Cela avant que quiconque ait le temps de lire ne serait-ce que le titre du communiqué final.

Le S&P 500 s’est envolé de 1,7% à 1 811. C’est sa meilleure clôture historique après 1 807 le 27 novembre et 1 808 points le 9 décembre. Le Nasdaq s’est adjugé 1,1% à 4 070 points ; le Russell 2000 a engrangé 1,25% à 1 133 points.

Oui, cette séance s’apparente bien à un guet-apens pour les vendeurs, car la seule conclusion qui s’impose après la conférence de presse de Ben Bernanke, c’est que la Fed navigue à vue.

Alors très logiquement, les robots-tueurs tirent à vue sur tout opérateur ayant pris une position qui peut être retournée en intraday. La partie de poker-menteur continue… mais cette fois-ci, ce sont les loups qui se mangent entre eux.

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