▪ En ce jeudi, veille de séance technique et cruciale des « Quatre sorcières », le CAC 40 s’est retrouvé simultanément à son zénith du troisième trimestre et de l’année 2013. C’est le timing parfait, le scénario idéal, le happy end dont personne n’osait rêver début septembre. L’indice a gagné 545 points en trois mois, soit +15%… ce qui équivaut très exactement au gain annuel des valeurs françaises.
La Bourse de Paris se retrouve également au plus haut depuis le 20 septembre 2008. Ceci dit, en réintroduisant les dividendes (l’indice CAC 40 Global Return en tient compte, jetez-y un oeil, son score est impressionnant), cela nous donne un indice à plus de 5 000 points, ce qui correspond peu ou prou au zénith de mai 2008.
Des objectifs de cours fabuleux circulaient hier matin suite à la non-décision de la Fed concernant la réduction de ses rachats d’actifs. Il était question d’un CAC 40 à 4 300 avant fin septembre, 4 500 fin 2013.
Voilà qui témoigne d’une méconnaissance des méthodes de travail des gérants « global-macro ». Ceux-là savent compter… et ils ne mélangent pas le DAX 30 dividendes inclus, la CAC 40 et l’indice CAC GR.
La cascade de records observée sur les indices boursiers salue une splendide manoeuvre de la Fed : les actions présentent toutes les caractéristiques d’une méga-bulle… et la Fed aura réussi à faire bondir en quatre mois les taux longs de 100 points de base — pour finalement donner l’impression qu’elle va repousser toute réduction du QE3 jusqu’ à 2014, voire 2015 pour les plus optimistes.
▪ Records et bulles
La Fed voulait se servir des forward guidances pour améliorer la lisibilité de sa stratégie toute entière destinée à maintenir des taux bas… Mais ils se sont envolés et plus personne ne sait plus comment sera géré la réduction progressive de l’assouplissement quantitatif — le fameux tapering… ni même s’il est possible d’y parvenir.
La Réserve fédérale n’a finalement réussi qu’à faire couler à pic les marchés obligataires indiens, thaïlandais, brésiliens… et faire se désintégrer leurs devises.
Tout l’argent rapatrié en catastrophe des émergents vers les Etats-Unis et l’Europe relance la mécanique infernale de la création de bulles boursières avec la même logique de flux (risk-on) qui produisit le gonflement de la bulle des subprime.
Les discours des gérants sont éclairants : « les cours sont complètement idiots et déconnectés du réel mais je n’ai pas de choix alternatif. Si je ne cours pas après le score comme tout le monde, je vais me faire distancer par mes concurrents. Tout le troupeau de lemmings doit parvenir d’un seul bloc au bord de la falaise, aucun ne doit manquer à l’appel lors du grand saut ! »
▪ Attention au décollage
Une image me vient en tête : Bernanke, c’est un peu comme le pilote d’un avion rafistolé après le krach de 2008… Une catastrophe dont il est largement responsable par son incapacité à interpréter correctement ses instruments et évaluer « à l’oreille » le régime des moteurs.
Les mécanos du Trésor et de la Maison Blanche ont maintenu — à la demande expresse des marchés — le pilote incompétent dans le cockpit. Ils ont remis en place de plus grandes ailes (des émissions du Trésor surdimensionnées), du kérosène en quantité (c’est l’argent de la Fed)… Cependant, dans leur précipitation, ils ont négligé de remettre complètement en état les moteurs (le fonctionnement du système financier… la tâche de loin la plus compliquée).
Les marchés, eux, se contentent de miser sur les chances de décollage vers la croissance et l’accroissement du bénéfice des entreprises. Très confiants, ils ont placé une bonne partie de nos bagages de futurs retraités en soute et misent — toujours en notre nom — tout le liquide dont ils disposent sur l’heure du décollage.
Rendu plus prudent par la création monétaire galopante liée aux subprime, Bernanke avait décidé de faire un premier essai d’envol en 2009/2010 en prenant le soin de couper l’élan à mi-piste au cas où l’avion tarderait à prendre suffisamment de vitesse. L’appareil s’arrêta donc en juin 2010 après s’être faiblement cabré… et les marchés manifestèrent leur déception.
Le marchés analysèrent cet échec comme la conséquence d’un débit de carburant trop faible… alors que n’importe quel amateur éclairé en aéronautique pouvait diagnostiquer que les moteurs manquaient de poussée.
Mais à Wall Street, du moment que les moteurs font du bruit c’est que tout va bien !
Alors les marchés exigèrent une deuxième tentative de décollage, sans modifier les réacteurs, parce que cela coûte trop cher et retarderait l’envol.
Ben Bernanke augmenta le débit de kérosène mais conserva le même protocole : si l’avion ne cabre pas, on coupe les gaz à mi- piste.
Les réacteurs rugirent encore plus fort… mais sans surprise, la poussée s’avéra tout aussi insuffisante que la première fois.
Nouvelle déception des marchés.
▪ Le point de non-retour est dépassé
Ils exigèrent donc un troisième décollage avec un protocole un peu modifié : encore plus de kérosène et pas question de couper les gaz à mi-parcours cette fois-ci ! Il s’agit d’exploiter toute la longueur de la piste… et ça va bien finir par décoller.
Ben Bernanke remit les gaz en septembre 2012. Il poussa les manettes à fond en décembre… mais s’aperçut cinq mois plus tard que les réacteurs surchauffaient (apparition de bulles tous azimuts dans les émergents).
Pressentant que la nouvelle tentative risquait d’être un échec, il avertit les marchés qu’il serait plus prudent de réduire le régime des moteurs avant qu’ils ne soient totalement hors d’usage… mais cela, il valait mieux le tenir secret pour ne pas paniquer les passagers.
Les marchés le prirent très mal. Alors que l’avion accélérait toujours aussi poussivement, les taux longs s’envolèrent (ce qui équivalait à une sortie intempestive des aérofreins). Ben Bernanke demanda aux marchés ce qu’ils exigeaient pour les faire rebaisser.
Leur réponse fut de s’en tenir au plan initial : d’y aller à fond les manettes, jusqu’au bout sans état d’âme… parce que lors des crises précédentes, ça a fini par fonctionner !
Ce que l’on peut craindre, c’est que les réacteurs n’explosent dans les jours ou les semaines qui viennent. Peu importe désormais la nature des problèmes techniques pouvant surgir puisque Ben Bernanke a dépassé le point de non-retour.
A partir de maintenant, même s’il décidait dans un dernier réflexe de survie de freiner à mort, ce serait de toutes façons trop tard. Il n’y a pas assez de vélocité pour décoller mais trop de vitesse pour éviter de se désintégrer en bout de piste.
Donc l’avion va se crasher… mais Ben Bernanke s’en fiche : il est bien calé dans son siège éjectable, déjà programmé pour l’extraire du cockpit le 31 janvier 2014.