La Chronique Agora

Un nouveau Bear Stearns attend-il les marchés financiers ?

▪ Le passé est plus facile à analyser que l’avenir — d’autant plus que sur ce sujet, mon collègue américain Eric Fry a fait un excellent boulot que je lui prends sans vergogne. 2015 fut donc une annus horribilis pour tous les actifs financiers.

L’effondrement du prix des matières premières est un des événements qui a récemment été beaucoup commenté. En réalité, la chute du cours du pétrole avait commencé en juin 2014. Le fait nouveau est que depuis mai 2015 la débâcle se propage aux actions des marchés émergents et aux obligations à haut rendement (encore appelées high yield ou junk bonds).

Comme ces obligations risquées avaient beaucoup monté, la baisse paraît limitée ; en réalité, les indices obligataires correspondants ont perdu plus de 15% de leur valeur et certains fonds ont suspendu tout remboursement.

A ceux qui ont une mémoire un peu supérieure à celle du poisson rouge, ceci rappelle les prémices de la crise de 2008. Quelques fonds avaient gelé leurs remboursements tandis que l’immobilier américain chutait et que certains produits dérivés étaient devenus non négociables.

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"Evènement isolé ou nouveau Bear Stearns ? Les investisseurs tentent d’apprécier la portée du gel des retraits sur un fonds de Third Avenue", commentait ainsi L’Agefi le 15 décembre.

En mars 2008, la banque d’investissement Bear Stearns avait été renflouée et avec le recul, ses difficultés sont vues comme ayant été le signal précurseur de la crise financière qui éclata six mois plus tard. Début 2008, les taux directeurs de la Fed étaient à 4,5% et à la fin de cette même année, la Fed se lançait dans son grand programme "argent presque gratuit pour presque toujours".

▪ Après 4 000 milliards de dollars de crédit gratuit, d’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ?
A ces questions, nos banquiers centraux et leurs laquais économistes nous répondent : nous venions du chaos d’une grande crise financière et nous allons vers la prospérité. Soignant audacieusement le mal par le mal, grâce à un savant dosage de crédit gratuit, nous avons surmonté une crise du crédit sans précédent dans son ampleur.

A presqu’une semaine de Noël, comment ne pas se souvenir du paradoxe de la dinde, exposé par le philosophe et financier (si, si, c’est possible) Nassim Taleb ?

Vous l’avez compris, notre dinde du jour représente l’industrie financière engraissée au crédit gratuit par nos grands banquiers centraux.

Jusqu’à présent, il y avait inflation (car augmentation du crédit disponible et donc augmentation des prix) dans la sphère financière. Les prix des actifs financiers montaient, la dinde engraissait, les statisticiens et les économistes en concluaient que tout allait bien.

Dans l’économie réelle, en dehors de la cage dorée de notre dinde, en revanche, il y a depuis un certain temps déflation (baisse des prix car baisse du crédit disponible).

Au dehors de la cage, quelques volatiles, renards et lapins qui n’ont pas accès au crédit gratuit n’ont plus que la peau sur les os. Les moins malheureux, proches de la cage dorée, survivent aux crochets de notre dinde. Ce sont les emprunteurs mal notés à qui notre dinde lâche de temps en temps quelques grains de pitance.

Mais voilà que les rations de crédit gratuit de notre dinde n’augmentent plus comme par le passé. Pire, Janet Yellen a décidé de les diminuer. Certes la dinde a fait du gras, elle devrait le supporter disent les vétérinaires de la Fed. Mais que vont devenir les faméliques sans avenir qui ne survivaient que grâce aux restes négligemment lâchés par notre dinde sur-nourrie ?

Dans l’allégorie de Taleb, la dinde est occise.

Les familiers du philosophe-financier savent en réalité qu’elle est victime d’un cygne noir, un événement incroyable, improbable, inenvisageable par un bipède normalement constitué*.

Verrons-nous un cygne noir frapper les marchés en 2016 ? Je n’en sais fichtre rien puisque par définition l’apparition du cygne noir est imprévisible. Mais une chose me semble cependant probable : 2015 sera peut-être l’apogée de la dinde gavée depuis maintenant 2 555 jours. Sept ans, c’est l’âge de raison, même pour une dinde.

 

* Pour ceux qui voudraient découvrir Taleb et apprivoiser les dindes et les cygnes noirs, lisez le Cygne Noir, éditions Les Belles Lettres

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