La Chronique Agora

Baril à 114 $ et discours bidon sur le contrôle de l’inflation

** Il a fallu que le CAC 40 menace d’aligner une sixième séance de baisse consécutive pour que les acheteurs tentent de reprendre la main. Ils semblaient y être parvenus en début d’après-midi, ramenant le CAC 40 d’un plancher de 4 741 points jusque vers 4 820 points. Cependant, les errements de Wall Street, avec le Dow Jones qui a bien failli aligner une septième séance de repli, ne leur ont pas permis de tenir la barre des 4 800 points. L’indice a donc terminé au niveau de l’ex-support des 4 780 points à l’issue d’une journée modérément active où 4,5 milliards d’euros seulement ont été négociés.

La journée de mardi dernier restera marquée par l’inscription d’un nouveau record absolu du pétrole (114,05 $) suite à la publication de l’indice Empire State (Fed de New York) qui remonte de -22 à +0,6%. Le ralentissement économique serait donc moins brutal que prévu sur la côte est des Etats Unis — mais ce baromètre n’est pas le plus représentatif : il devra être conforté par d’autres chiffres manufacturiers provenant de régions à vocation plus industrielle.

La flambée du baril explique pour une large part la hausse de 1,1% des prix à la production aux Etats-Unis. Le taux central (core) a quant à lui progressé de 0,2% comme prévu — soit 2,7% en rythme annuel contre 6,9% en global. Ces chiffres pourraient inciter la Fed à mettre un terme au cycle de ses assouplissements monétaires dès le 30 avril prochain, d’où la bonne tenue du dollar (autour de 1,58/euro et 101 yens) dans les heures qui ont suivi les chiffres américains.

** La BCE a de quoi se réjouir de cette fièvre qui emporte les matières premières vers des sommets. Les statistiques de l’inflation (0,8% en France au mois de mars et 3,2% en rythme annuel) justifient — mais a posteriori — son immobilisme et son discours intransigeant qui préconise « le ferme ancrage des anticipations en matière de stabilité des prix ».

La seule chose dont J.C. Trichet puisse nous convaincre, c’est qu’il ne baissera pas les taux — c’est-à-dire la rémunération de l’euro — et qu’il compte sur les multinationales opérant en Europe pour tenir tête aux syndicats de façon à limiter la hausse des salaires du plus grand nombre tout en sauvegardant les rémunérations astronomiques des équipes dirigeantes — lesquelles progressent cinq à 10 fois plus vite que l’inflation.

Dans un contexte d’économie globalisée, l’action résolue de la BCE, ou de quelques autres banques centrales occidentales, pour restreindre la demande intérieure ne peut avoir aucun effet sur la flambée des matières premières et des produits agricoles. Nous pouvons toujours nous mettre à circuler en vélo sur nos autoroutes et nous contenter d’un bout de lard le dimanche, cela ne fera aucune différence sur le cours mondial du pétrole ou de la viande.

Nous n’allons pas recommander aux Européens de troquer le poulet-frites en faveur du bol de riz… son prix a doublé en 18 mois du fait de l’explosion de la demande intérieure en Inde, en Afrique ou au Pakistan.

Et même si le cours du blé doublait, ainsi que celui de la viande hachée, cela ne dissuaderait pas les nouvelles classes aisées de Pékin, Shanghai ou Shenzhen de faire la queue au volant de leurs berlines allemandes flambant neuves devant les fast-food occidentaux pour commander des hamburgers XXL ; la magie du drive-in se rit de la rigueur de la BCE de l’autre côté de la planète.

Reste que le pouvoir d’achat de l’euro se renforce par rapport à celui du dollar. Cependant, notre capacité à exporter se réduit symétriquement : à terme, cela fera plus de chômeurs dans l’Euroland et l’inflation structurelle, qui a envahi la planète, continuera de prospérer comme si de rien n’était : elle se contrefiche des critères arbitraires de Maastricht !

La seule approche crédible reste celle de « l’inflation relative ». Si celle-ci est supérieure à 7% en Chine sur fond de croissance annuelle à 10%, les 3,5% de l’indice IPCH (l’indicateur synthétique des prix en Zone euro) sont très supportables, à condition que la hausse de notre PIB avoisine 3%. Or cela n’a jamais été le cas — y compris quand « tout allait bien » — depuis le début du 21ème siècle !

Nous sommes partis sur des bases à peine supérieures à 1,5% pour 2008 — et 0,5% en Italie qui vient de voter Berlusconi. Cela signifie qu’il faut soit appauvrir globalement les ménages de 2% — via la réduction de la masse salariale et des prestations sociales –, soit tolérer une hausse de 2% de l’endettement global — autrement dit des déficits publics.

Comme la seconde proposition de l’alternative nous est interdite — toujours en application des critères de Maastricht –, cela signifie que c’est la consommation — comprendre : le citoyen lambda — qui devra supporter la totalité du choc de l’inflation. Les banques se retrouvent, en effet, contraintes de resserrer simultanément les vannes du crédit : la BCE nous précipite avec une bonne conscience jubilatoire dans le mur de la stagflation.

Nous en profitons au passage pour rappeler que la BCE n’avait aucun contrôle sur la masse d’argent créée par le système mais seulement sur le niveau de rémunération auquel pouvaient prétendre les intermédiaires via les prises en pension.

** Une surabondance de liquidités auto-entretenue par la mécanique des marchés dérivés et un appétit démesuré pour le risque — les bons du Trésor… ça ne paye pas — ont entraîné un effondrement de la prime attachée aux émissions obligataires de mauvaise qualité, ainsi que des prêts à teasers et autres prêts de type Alt-A qui sont très vulnérables aux retournements de cycle dans l’immobilier.

Le paradoxe, c’est qu’avec l’explosion de la bulle du crédit, les T-Bonds ou les OAT rapportent encore moins qu’un an auparavant et les subprime, plus rien du tout !

Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions que les investisseurs assez malins pour s’être tirés du guêpier avant la débâcle, et qui ont bien compris que les Etats-Unis ne se désendetteront qu’en sacrifiant sans état d’âme le dollar, se lancent massivement dans la spéculation sur les matières premières et l’accumulation de métaux précieux.

L’or est loin d’avoir subi des excès de hausse en regard de la flambée de l’argent et du platine ces trois dernières années et il demeure un solide rempart contre l’érosion monétaire.

** D’après l’Insee, l’inflation a progressé de 0,8% en France au mois de mars : c’est le taux le plus élevé depuis janvier 1987. L’indice IPCH, qui harmonise les prix au niveau européen, affichait également +0,8% le mois dernier et +3,5% sur un an — soit le niveau le plus élevé observé depuis novembre 1991.

Le prix des produits transformés ont grimpé de 0,3% (contre 0,1% en moyenne sur 10 ans) et leur dérive annuelle atteint 5,3%. La hausse des biens manufacturés risque d’entretenir l’inflation sous-jacente, qui approche des 2,5% en moyenne annuelle, quand bien même les ménages se mettraient à bouder — ils le font déjà — les concessionnaires automobiles et les magasins d’ameublement.

La consommation s’annonce d’ores et déjà comme le principal talon d’Achille de l’Allemagne. L’indice du moral des investisseurs, compilé par l’institut ZEW, a reculé de 8,7 points au mois d’avril pour s’établir à -40,7 points — après -32 points au mois de mars et -39,5 points au mois de février. La hausse de l’euro a plombé le commerce extérieur tandis que la demande chinoise en biens d’équipements devrait culminer à trois mois des jeux olympiques.

** En une demi-douzaine d’années, l’Empire du Milieu s’est doté de capacités de production surdimensionnées. S’il manque souvent de ciment sur la côte est ou à Pékin — on bâtit à tout va avant les JO et l’exposition universelle de Shanghai –, le parc de machines-outils est pléthorique… la Chine a largement de quoi voir venir !

Les quantités d’énergie et de matières premières ne suivent tout simplement plus… mais allez expliquer cela à un peuple qui commence tout juste à goûter aux joies de la société de consommation !

Nous autres Occidentaux commençons tout juste à envisager d’adopter un mode de vie plus sobre, en espérant ne pas nous retrouver contraints de mettre en pratique les principes de la théorie controversée de la décroissance économique.

Mais aurons-nous le choix ?

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile