La Chronique Agora

Les banques classiques vont-elles disparaître ?

La concurrence est rude sur le secteur bancaire, et les grandes institutions ont fort à faire pour résister aux « petites nouvelles » issues de la technologie.

La presse, toujours avide de mauvaises nouvelles, aime parler des entreprises qui suppriment des postes. En tout cas lorsque de grandes entreprises les annoncent, confondant d’ailleurs, la plupart du temps, suppression de postes et licenciements.

Des suppressions de postes à tout-va, mais aussi des recrutements

Les banques n’échappent pas au pilori. Il faut dire que les médias jouent sur du velours tant elles sont décriées. Pourtant, le baromètre de la confiance politique publié par Opinion Way pour le Cevipof en février 2020 montrait une hausse de la confiance dans les banques de huit points par rapport à 2019.

35% des Français faisaient confiance aux établissements bancaires contre 27% l’année dernière. Elles restent cependant éloignées des grandes entreprises privées, catégorie à laquelle elles appartiennent pourtant, qui recueillaient 43% d’opinions favorables (contre 36% en 2019).

Les banques sont même au plus haut depuis 2009, année de création du baromètre. Cette remontée spectaculaire de la confiance dans les banques ne doit cependant pas cacher un score somme toute modeste, et loin de celui réalisé par les banques britanniques qui recueillent la confiance de 59% des citoyens du Royaume-Uni.

Cette remontée de la confiance dans les banques reste un mystère alors que la presse titre sur les suppressions de postes dans le secteur : 44 000 en Europe nous apprenaient plusieurs journaux en septembre 2019.

Les Echos affirmaient même qu’au niveau mondial, les suppressions de postes annoncées par le secteur bancaire pour les trois prochaines années s’élevaient à 100 000 postes depuis le début de l’année 2019. La dernière annonce en date est celle de HSBC qui prévoit 35 000 postes en moins, un ménage sans doute nécessaire avant la vente !

Il ne faut cependant pas oublier que les banques recrutent également. Et parfois massivement, à l’instar du Crédit Agricole qui, dans Le Figaro Décideurs du 3 mars 2020, fait état de 18 000 projets de recrutement en 2020, quand BNP Paribas en annonce 5 000.

Enfin, les résultats ne sont pas mauvais si l’on se fie à ceux déjà publiés : BNP Paribas annonçait 8,17 milliards d’euros de bénéfices, en hausse de 8,6% par rapport à 2018 ; Crédit Agricole, 7,2 milliards (+ 5,9%) ; Société Générale, 4,1 milliards (+ 5,12%) ; Crédit Mutuel, 3,14 milliards (+ 5,1%). Pour l’instant, seule BPCE est en demi-teinte avec une progression de ses bénéfices de seulement 0,13% à 3 milliards d’euros.

Reste évidemment à voir les effets de la crise du coronavirus, qui risquent d’être dévastateurs pour le secteur…

… Et qui redoublent l’importance de cette question : les banques classiques sont-elles en perdition ou en train de se renouveler ? On peut s’interroger quand on voit qu’elles ont été attaquées à plusieurs reprises par de nouveaux acteurs.

La concurrence des banques en ligne

La première banque sans agence apparue en France est Cortal en 1984. Devenue ensuite Cortal Consors, elle fut avalée par BNP Paribas. Elle a définitivement cessé son activité en 2016 après que les comptes ont été transférés vers Hello Bank, filiale de BNP Paribas. En 1994, la même BNP Paribas crée Banque Directe, revendue en 2002 à Axa Banque.

C’est surtout à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que les banques à distance se multiplient, avec le déploiement d’internet. On voit ainsi apparaître la Banque Bebop et Zebank en 1999, aujourd’hui disparues. En revanche, ING Direct qui arrive en France en 2000 (devenue ING en 2019) et Boursorama, née en 2002, sont toujours présentes dans le paysage.

La première génération de banques à distance propose surtout des services d’épargne et de courtage en Bourse sans ouverture de compte bancaire et à frais réduits. Puis elles s’adressent aux jeunes urbains, aux clients « modernes » séduits par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), ou encore aux cadres très mobiles ou expatriés cherchant une solution pour gérer leurs comptes de n’importe quel endroit de la planète.

Les pionnières de la banque en ligne ont depuis été rejointes par toute une cohorte de concurrentes : Fortuneo, Hello Bank, BforBank, Monabanq, etc. L’offre s’étoffe et n’a aujourd’hui rien à envier à celle d’une banque classique.

Les banques en ligne sont des banques généralistes, véritable alternative aux banques de réseau. Ou presque, car la caractéristique des banques à distance françaises est qu’elles appartiennent toutes à des banques traditionnelles, à l’exception d’Axa Banque, détenue par un assureur.

Néanmoins, les banques en ligne continuent d’offrir quelques avantages par rapport à leurs maisons-mères : des tarifs réduits (frais de compte nuls, cartes bancaires gratuites, etc.) ; une accessibilité élargie (accès aux comptes et aux conseillers par téléphone ou internet, avec des horaires étendus) ; des produits d’épargne à frais réduits (assurance-vie, PEA, etc.) et avec un choix d’unités de comptes élevé et varié.

Certaines banques en ligne n’hésitent pas à utiliser le réseau physique de leur maison-mère, par exemple pour le dépôt de chèques ou d’espèces.

Les néo-banques viennent tout bousculer

Les banques en ligne se sont, à leur tour, faites « ubériser » par les néo-banques apparues au début des années 2010. Cette fois, c’est le développement de l’internet mobile qui fait leur succès. En effet, les néo-banques s’appuient principalement – et parfois exclusivement – sur les smartphones.

Mais les différences entre les néo-banques – ou banques mobiles – et leurs grandes sœurs ne s’arrêtent pas là.

Leur principal attrait est qu’elles proposent, en règle générale, une ouverture de compte facile et rapide (quelques minutes) et qu’elles n’exigent pas de conditions de ressources. Elles sont réellement accessibles au plus grand nombre, à condition toutefois de posséder un smartphone.

Certaines néo-banques s’appuient cependant sur un réseau physique qui permet d’accomplir certaines opérations comme le dépôt de chèques ou d’espèces, ou l’accès à un conseiller.

C’est par exemple le cas d’Orange Bank, qui utilise un réseau de 300 agences Orange habilitées ; ou de Nickel, distribué par 5 500 bureaux de tabac partenaires. Mais ces services physiques sont alors payants.

Autre différence de taille : la plupart des néo-banques ne sont pas de « vraies » banques. Elles sont des établissements de paiement, sans licence bancaire. Ainsi, nombre de services ne sont pas accessibles comme le découvert, le chéquier, les solutions d’épargne ou le crédit.

Aujourd’hui, une trentaine de néo-banques opèrent sur le territoire français. D’autres sont toutes récentes, comme Onlyone ou Linxo, un agrégateur de comptes bancaires en pleine transformation.

Le marché est dominé par Nickel (1,5 million de comptes), N26 (un million), Revolut (900 000), Orange Bank (500 000). Mais toute une pléiade d’acteurs sont présents : Anytime, Bunq, C-Zam, Eko, Ma French Banque, Monese, Morning, Qanto, Shine, etc.

Les banques traditionnelles ne sont pas restées longtemps absentes de ce marché, soit en créant leur propre néo-banque comme le Crédit Agricole (Eko), le Crédit du Nord (Prismea) ou la Banque Postale (Ma French Banque), soit en rachetant une néo-banque bien implantée comme BNP Paribas avec Nickel. D’autres néo-banques sont attachées à de grands acteurs de la distribution tels Carrefour (C-Zam) ou Leclerc (Morning).

Les millennials (18-30 ans) sont une cible privilégiée des banques mobiles, mais nombre de clients s’adressent aussi à elles car ils connaissent des difficultés avec leur banque traditionnelle ou souhaitent réduire le coût des services bancaires. Selon une étude de KPMG, 68% des clients seraient prêts à faire de leur néo-banque leur banque principale si plus de services bancaires étaient proposés.

Les néo-banques n’ont pas d’autre choix que de devenir de « vraies » banques au risque de disparaître (peu d’entre elles gagnent de l’argent). Car les banques traditionnelles sont en embuscade.

Les banques traditionnelles réagissent

Nous l’avons vu, les banques traditionnelles prennent pied dans les néo-banques ou en créent de toutes pièces. Elles utilisent aussi parfois leur banque en ligne pour proposer des services non disponibles dans les banques mobiles (chéquier, découvert). C’est le cas de Boursorama Banque (Société Générale) avec son offre Ultim, ou de Fortuneo Banque (Crédit Mutuel Arkéa) avec son offre Fosfo.

On voit ainsi fleurir les comptes sans découvert autorisé, les paiements sans frais à l’étranger, les applis mobiles plus ergonomiques, les tarifs bancaires plus simples et transparents.

Mais l’offensive des banques traditionnelles ne s’arrête pas là. Le 1er janvier 2020, le GIE Cartes bancaires (dont les banques sont les principaux membres) a décidé de relever la commission interbancaire de retrait (CIR).

Celle-ci est due lorsqu’une personne retire de l’argent à un distributeur automatique n’appartenant pas à sa banque. La CIR permet de rémunérer la banque qui a rendu le service de retrait en lieu et place de la banque du client. Cette CIR a augmenté de 56% en janvier, passant de 57 centimes à 89 centimes par opération.

Ce système avantage les banques qui ont beaucoup de distributeurs de billets (DAB). Il pénalise assurément les banques qui n’en possèdent pas – comme les banques en ligne et les néo-banques, qui pourraient être contraintes d’en répercuter le coût sur les clients. Et devenir ainsi un peu moins compétitives…

Autre initiative des banques traditionnelles : faire la guerre aux courtiers. Aujourd’hui, ces derniers génèrent 40% des crédits immobiliers, et même jusqu’à 60% en Ile-de-France. Il faut dire que le faible niveau des taux d’intérêt réduit les marges – marges que les courtiers se font forts de réduire encore, tout en se rémunérant au passage.

Les banques ont donc profité de la recommandation du Haut conseil de stabilité financière de réduire la durée des prêts (maximum 25 ans) et le montant des mensualités (maximum 33% des revenus) pour reprendre la main et tenter d’évincer les courtiers dont elles n’auraient plus besoin du fait de la baisse du nombre de dossiers. Un moyen aussi de garder la mainmise sur l’assurance emprunteur – dont on sait qu’elle est particulièrement lucrative.

Les banques traditionnelles font donc feu de tout bois pour préserver leur cœur de métier. C’est aussi pourquoi elles rachètent les fintechs, à l’instar de Crédit Mutuel Arkéa qui a mis la main sur Leetchi et Pumpkin, de BPCE qui a acquis Pot commun, du Crédit Agricole avec Linxo, de la Banque Postale avec KissKissBankBank, etc.

La « guerre » des banques ne fait donc que commencer. Espérons qu’elle n’aboutisse pas à une diminution de la concurrence dont le consommateur serait alors le grand perdant.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile