La Chronique Agora

Banques centrales et taxis cambodgiens

** "Je vous emmène, monsieur", adorent vous dire les chauffeurs de touk-touk ici au Cambodge, avant de se lancer dans un argumentaire commercial pour le moins tordu. "Pas 20 $… ni 15 $… mais seulement 5 $ pour vous mon ami !"

– Peu importe que vous vouliez seulement aller au coin de la rue, ou que la course ne vaille pas plus de 1 $, ou encore que vous n’ayez pas besoin d’un touk-touk ; pour le chauffeur, 5 $ est un bon prix…pour la simple raison que ce n’est pas 20 $.

– Si vous voulez que l’on vous emmène faire un tour, cher lecteur, les chauffeurs de touk-touk cambodgiens feront tout à fait l’affaire. Enfin, soit eux, soit les institutions financières américaines. Les mouvements de cette semaine sur le marché reflètent tristement la logique illusoire des touk-touks que l’on trouve ici en Asie du Sud-Est, sur une échelle beaucoup, beaucoup plus grande.

– Prenez par exemple la plus grande banque de dépôts des Etats-Unis, la Bank of America. Leur argumentaire pourrait ressembler à ça :

– "Nos acquisitions récentes comprennent des mines financières comme Merrill Lynch ou Countrywide Financial, pour lesquels nous avons payé près de 50 milliards de dollars au total. Nous avons également perdu 1,79 milliard de dollars au quatrième trimestre 2008 (sans compter une perte de 15,3 milliard de dollars chez Merrill Lynch). Le prix de nos actions a perdu 70% depuis octobre. Et, comme si cela ne suffisait pas pour faire de nos actions une excellente affaire, nous payons également un dividende mensuel qui se monte à  — attention les yeux — un beau penny par action !"

– "Alors m’sieur ? Je vous emmène quelque part ?"

– Aussi étrange que cela puisse paraître, beaucoup de gens sont montés à bord. Les actions Bank of America ont augmenté de 14% jeudi dernier. L’histoire a été la même pour Citigroup (+18,6%) et Wells Fargo & Co. (plus de 30% d’augmentation), pour ne nommer qu’eux.

– Alors pourquoi se précipiter dans les mauvaises banques ? La réponse, semble-t-il, est dans la création d’une autre mauvaise banque ; la plus grosse et la pire de toutes les mauvaises banques que le monde ait jamais vue.

– "Le nouveau secrétaire au Trésor US, Timothy F. Geithner, étudie la création d’une ‘mauvaise banque’ financée par le gouvernement pour racheter les titres adossés aux créances hypothécaires et les autres actifs en détresse que possèdent les banques, dans l’espoir de remettre leur niveaux de capitaux à flot pour qu’elles puissent de nouveau prêter", explique Businessweek.

– Cette banque "pire parmi les pires" va commencer avec 100 milliards de dollars du programme de relance TARP, puis, grâce au levier fourni par la Fed et la FDIC, développer ce montant jusqu’à atteindre de 1 000 à 2 000 milliards de dollars.

– Ce plan génère quelques questions. Tout d’abord, que se passera-t-il pour les banques (et les individus) qui ont agis prudemment pendant la fête des prêts et des dépenses des cinq dernières années ? Quel genre de carte magique "s’en sortir" pourront-ils obtenir ? Ensuite, quel genre de message envoie-t-on au secteur en général lorsqu’on offre une énorme récompense au perdant ? Et qui va payer la note de plusieurs milliers de milliards de dollars pour la création de la pire banque du monde ?

– Nous ne connaissons pas la réponse aux deux premières questions, cher lecteur, mais la dernière est facile : c’est vous qui paierez la note… ainsi que vos enfants… et les enfants de vos enfants… Le prix à payer, dès que le gouvernement aura imprimé suffisamment de billets pour se sortir de la nouvelle dette, sera l’érosion du dollar et la disparition du peu de confiance que le monde avait encore en cette devise.

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