La Chronique Agora

Banques centrales : au service des ploutocrates

La sacro-sainte « indépendance » des banques centrales n’est qu’un mythe. Elles sont indépendantes des peuples – c’est-à-dire des citoyens… mais au service des autorités et des intérêts particuliers.

Dans le Wall Street Journal du 7 octobre :

« Les responsables de la Réserve fédérale ont invoqué de manière compréhensible et tout à fait juste leur besoin d’indépendance l’année dernière lorsque le président Trump les a réprimandés sur Twitter pour maintenir les taux d’intérêt bas.

Mais que se passe-t-il si la Fed décide elle-même de compromettre son indépendance en s’attribuant un rôle toujours plus grand dans la politique budgétaire habituellement réservée aux élus ?

Telle est la question soulevée par l’extraordinaire intervention politique de Jerome Powell mardi dans les pourparlers de mise au point de mesures de secours contre le coronavirus.

Le président de la Fed a prononcé un discours […] dans lequel il a exhorté le Congrès à adopter ce qu’il a appelé davantage une ‘intervention politique’, à la fois budgétaire et monétaire.

M. Powell n’a pas mentionné de mesures fiscales précises.

Mais le discours […] a clairement été prononcé avec l’intention d’influencer les débats sur Capitol Hill.

Cela l’a publiquement placé du côté de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, qui veut dépenser 2 200 Mds$ de plus pour tous les programmes fédéraux.

Il est important de comprendre à quel point cela est inhabituel.

Le travail de la Fed est la politique monétaire et la réglementation financière. »

J’ai toujours soutenu que l’indépendance des banques centrales était un mythe – un mythe néo-libéral permettant de retirer la planche à billets des mains des démocraties.

Ceci ressort clairement de la lecture serrée des textes fondateurs néo-libéraux. La défense du droit de propriété, qui est le fondement ultime du néo-libéralisme, passe par la stabilité monétaire – l’inflation des prix étant considérée à juste titre comme un impôt non voté.

Mythe et outil politique

Cette défense de la propriété implique que la monnaie soit gérée sérieusement, de façon orthodoxe et qu’elle ne puisse pas être un outil politique.

Pour réaliser cet objectif, il fallait faire passer le mythe de l’indépendance des banques centrales. Hélas pour eux – et pour nous –, les néo-libéraux ont été dépassés, doublés ; ce sont les dirigistes qui ont pris le contrôle des institutions monétaires… Et ils l’ont pris de façon irrévocable en s’enfonçant dans le trou d’où on ne peut sortir, le crédit.

En s’adonnant aux délices de l’inflationnisme, délices dont on ne peut, une fois que l’on y a sombré, sortir, ils ont scellé le sort du système.

Un deal honteux

Un couple maudit objectif s’est formé, une alliance scandaleuse, sous la houlette des classes ultra-possédantes. Un deal honteux a été conclu : vous me laissez la politique monétaire et en échange, je finance vos dépenses et vos déficits.

Ce couple vicieux a perverti toute la gestion monétaire en la mettant au service du très grand capital et de ses politiciens plus ou moins sous contrôle… et en particulier en lui permettant compléter sa rentabilité économique par la rentabilité financière.

La réalité à notre époque est que les banques centrales ne sont indépendantes… que des peuples – mais au service des ploutocrates.

L’alibi constant de cette situation est que si on sortait de l’inflationnisme, ce serait le chaos, la dépression et le chômage de masse, ce qui est faux et archi-faux.

La monétisation des dépenses du gouvernement et des besoins du capital est devenue le travail principal de la Fed – et elle apparaît à ce stade comme un rendez-vous à vie.

Vague bleue

Pourquoi le marché obligataire n’est-il pas perturbé par la perspective d’une « vague bleue » démocrate et d’années d’offre massive de bons du Trésor US ?

Tout simplement par ce qu’il sait. Il sait que la Fed absorbera toute quantité nécessaire pour « arrimer » les rendements obligataires à des niveaux extrêmement bas – c’est-à-dire pour maintenir les prix des actifs financiers dans la stratosphère.

Les marchés peuvent aujourd’hui célébrer la perspective de dépenses budgétaires massives et gratuites pour 2021 et les années suivantes.

Il y aura un prix institutionnel colossal à payer pour la Réserve fédérale et ses consœurs : ce sera la fin du mythe de l’indépendance. Les choses vont apparaître aussi clairement que le nez au milieu de la figure.

Ce que l’on a voulu cacher pendant des décennies va se révéler, va se donner à voir… et comme je ne cesse de le répéter, les prises de conscience de ce qui est caché sont des forces fantastiques de l’évolution historique.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile