▪ Une banque centrale peut-elle faire faillite ? Non. Mais une monnaie, oui.
Depuis le début de la crise financière en 2007-2008, les banques centrales se sont substituées au fonctionnement normal des marchés financiers.
– En étant, par exemple, prêteur en dernier ressort car les marchés monétaire et interbancaire ne fonctionnaient plus. Ainsi, en Zone euro, les opérations exceptionnelles des banques auprès de la BCE (appelées LTRO pour long term refinancing operations et VLTRO pour very long term refinancing operations) ont remplacé les opérations normales de refinancement (appelées MRO pour main refinancing operations).
– En étant aussi acheteur en dernier ressort des dettes souveraines en danger quand le marché obligataire secondaire de ces dettes ne fonctionnait plus lui aussi. En Zone euro, ce fut par exemple les SMP (pour securities market program) qui ont consisté à acheter des titres d’Etat grecs, portugais, italiens et espagnols surtout entre juin 2010 et fin 2011.
Les privilèges d’une banque centrale empêchent celles-ci de faire défaut, pense-t-on.
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Premier privilège : elle peut créer de l’argent « à partir de rien ». En créant de la monnaie, la banque centrale émet elle-même une dette non remboursable, en tout cas tant que la monnaie émise circule et est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. On imagine mal qu’il en soit autrement dans une économie dite moderne.
Il existe cependant un risque latent — certes très théorique — qui est celui de la quantité de monnaie créée : si elle devient trop importante, craignant l’inflation ou la dépréciation du change, les épargnants vont anticiper une érosion du pouvoir d’achat de la monnaie et vont décider de se « débarrasser » d’elle.
La banque centrale n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques. |
▪ Pas de pertes pour les banques centrales ?
Second privilège : la banque centrale n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques. Elle ne valorise donc pas les actifs qu’elle possède en valeur de marché. Cela signifie qu’il n’y a pas pour une banque centrale à se recapitaliser comme pour une banque normale lorsque ses fonds propres baissent en raison des moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs détenus.
Première solution : les pertes s’imputent sur le capital (9,1 milliards d’euros pour la BCE à fin 2013 en considérant capital, réserves et bénéfice de l’exercice) ainsi que sur les comptes de réévaluation qui intègrent les plus-values latentes accumulées depuis sa création (13,3 milliards d’euros à fin 2013)
Seconde solution : les Etats de la Zone euro redonnent de l’argent à la BCE à hauteur du poids de ceux-ci dans le capital de la BCE. Ce qui est absurde puisque dans le même temps la banque centrale pourrait avoir à créer de la monnaie pour acheter la dette publique d’Etats qui lui verseraient de l’argent. Voilà comment finalement fonctionne la finance de crise : le malade est pris en charge par un médecin lui-même soigné par le malade qu’il cherche à guérir.
Ceci étant, rien n’empêche économiquement et réglementairement une banque centrale de survivre sans aucun fonds propres et avec seulement des dettes (scénario extrême) si les Etats actionnaires de celle-ci refusent de mettre au pot. Mais on accorderait de moins en moins de « crédit » à la monnaie émise par cette banque centrale.
Le risque majeur n’est-il pas une crise des monnaies traditionnelles et donc une crise de la légitimité des banques centrales ? |
▪ Quels risques ?
Le risque majeur n’est-il pas une crise des monnaies traditionnelles et donc une crise de la légitimité des banques centrales ? Ce risque existe et vous pouvez en voir les premiers symptômes.
Premièrement, avec le développement des monnaies électroniques, au rang desquelles le fameux bitcoin. Ces monnaies reposent sur un réseau décentralisé pour le suivi des transactions et leur rareté et sécurité est basée sur la cryptographie. Ces « nouvelles » monnaies — nous ne discuterons pas ici de la question de savoir s’il s’agit en fait de véritables monnaies — remettent donc en cause le pouvoir et l’existence des banques centrales en consacrant la liberté de choix monétaire
Deuxièmement en relisant les économistes du passé. La loi de Gresham, du nom du commerçant et financier anglais du 16ème siècle Thomas Gresham constate que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En fait, l’expression est de Nicolas Oresme au 14ème siècle dans son Traité des Monnaies, ouvrage précurseur de l’économie politique.
En effet lorsque deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver, thésauriser la « bonne » monnaie, et par contre utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s’en défaire au plus vite. Pour cette raison, quelques économistes libéraux, comme Friedrich von Hayek, voient dans cette loi la justification d’un système de monnaies privées. Pour ces économistes, si les hommes étaient libres d’échanger dans les monnaies qu’ils souhaitent aux taux qu’ils fixent, alors c’est la bonne monnaie qui chasserait la mauvaise et non la mauvaise qui chasserait la bonne comme Gresham le soutenait. Von Hayek voit une illustration de cela dans les situations de forte inflation, où les agents « fuient » devant la monnaie légale au profit de monnaies étrangères ou de biens réels.
L’inflation et l’hyperinflation ne sont pas vraiment d’actualité. La création monétaire abondante ne peut pas pour l’instant émerger dans l’économie pour cause de désendettement des ménages et des entreprises, de surcapacités de production et de partage de la valeur ajoutée qui reste globalement défavorable aux salaires. Mais les risques de défiance vis-à-vis des banques centrales et des monnaies traditionnelles sont très élevés. Ainsi, la mode des monnaies dites virtuelles est loin d’être terminée. De même, les analyses d’illustres économistes (Friedrich Von Hayek pour ne citer que lui) sur la nécessité de développer les monnaies privées devraient rapidement être réétudiées et popularisées.