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Baisse des taux : mais où va aller tout cet argent ?

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La Fed amorce un cycle de baisse des taux. Quelles seront les conséquences sur l’épargne, les investissements et les secteurs clés de l’économie ?

La Réserve fédérale semble enfin avoir amorcé un cycle de baisse des taux, en particulier de son principal taux directeur. Cette annonce correspond parfaitement au calendrier prévisionnel de baisse des taux anticipé : il était peu probable que la Fed commence à baisser ses taux avant l’automne 2024.

Mon analyse reposait sur l’idée que la Fed souhaitait donner une image de fermeté face à l’inflation aussi longtemps que possible et qu’elle voulait en définitive se faire passer pour le chevalier blanc venant à la rescousse de l’économie réelle, plutôt que d’être perçue comme un serviteur des marchés financiers ne faisant qu’alimenter une bulle boursière.

La Fed cherche ainsi à conserver la confiance du grand public.

Plus important encore, selon moi, la baisse des taux directeurs de la Fed devait venir renforcer, ou au moins coïncider avec la normalisation de la courbe des taux de rendement. Maintenant que le président de la Fed, Jerome Powell, a clairement exprimé ses intentions lors de la conférence de Jackson Hole, dans le Wyoming, et que les anticipations du marché se sont réajustées, la courbe des taux de rendement, jusqu’à présent inversée, est sur le point de se redresser !

Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, il semble inévitable que les taux à court terme (obligations d’Etat à 2 ans) tombent en dessous des taux à long terme (obligations d’Etat à 10 ans). Vous pouvez également constater que ce cycle d’inversion de la courbe des taux est le plus sévère et le plus long depuis la fin des années 1970.

Si mes souvenirs sont exacts, cette période des années 1970 a été marquée par un appauvrissement des Américains, de graves difficultés économiques, un chômage de masse et une inflation endémique, ainsi que bien d’autres problèmes.

Cette période de « stagflation » (terme inventé dans les années 1960 au Royaume-Uni) a été l’une des pires décennies de l’histoire du marché boursier en termes de rendement ajusté de l’inflation. Bien sûr, chaque cycle a ses particularités. Et bien entendu, il est impossible de mesurer précisément l’étendue des dégâts causés par les politiques inflationnistes de la Fed sur la structure du capital dans l’économie.

En plus de prévoir que la Fed ne commencerait à réduire ses taux d’intérêt qu’à partir de l’automne ou de l’hiver (en fonction du résultat des élections et de la gravité du ralentissement économique), je soupçonnais également qu’elle ne procéderait pas seulement à une ou deux réductions de taux d’un quart de point, comme elle le prétendait et comme le prévoyaient les marchés, mais plutôt à une série de réductions assez rapides, peut-être 10 à 20 réductions d’un quart de point.

Cette prévision était basée sur des hypothèses de détérioration de la situation de l’emploi et du marché des actions, ainsi que des autres catégories d’actifs, y compris le marché immobilier, aussi bien en ce qui concerne l’immobilier commercial, qui vacille, que le secteur de la construction de biens résidentiels, qui est en pleine période de bulle.

La question que je me pose aujourd’hui est de savoir ce qui se passera après, en supposant que ce scénario se réalise jusqu’à son terme ? Si la Fed réduit à plusieurs reprises ses taux directeurs, cela influencera les décisions des agents économiques. Une grande partie de l’épargne actuellement placée auprès des banques pourrait être redéployée. Une augmentation considérable des dépôts à vue de s’est produite à partir 2020, et ce phénomène s’est accéléré lorsque la Fed a augmenté ses taux, obligeant les banques à lui emboiter le pas.

Les banques elles-mêmes débordent de réserves excédentaires déposées auprès de la Fed, leur rapportant plus de 5% par an.

Si la Fed réduit ses taux, que deviendra tout cet argent ?

Voici les principales alternatives…

  1. Une partie restera là où elle est, dans diverses formes de dépôts bancaires et placements monétaires.
  2. Une partie pourrait être investie en actions et obligations à plus long terme… mais lesquelles ?
  3. Une partie pourrait être utilisée pour rembourser tout ou partie des dettes contractées à des taux d’intérêt plus élevés, telles que les crédits à la consommation, les prêts hypothécaires, les lignes de découverts autorisés, etc. Les entreprises pourraient en faire de même.
  4. Une partie pourrait être consommée ou même investie dans de nouvelles entreprises.
  5. Une partie pourrait être convertie dans des formes alternatives ou obsolètes de monnaie, comme le bitcoin ou l’argent métal, qui était auparavant largement utilisée comme monnaie.
  6. Une partie pourrait être transférée à l’étranger vers d’autres marchés boursiers et obligataires, ou pour constituer des dépôts en devises étrangères. Ce type de flux serait influencé par l’évolution des taux de change, le dollar ayant récemment diminué.

Ces décisions dépendront des anticipations des agents économiques en fonction de leurs expériences antérieures et de leur perception de l’environnement économique. Par exemple, si vous avez déjà décuplé votre capital en investissant sur des actions Nvidia ou le bitcoin et que ces actifs continuent à monter, vous pourriez tout simplement décider de réallouer davantage de liquidités dans ces investissements.

Les banques ont également tout un éventail de choix possibles si la Fed continue de réduire ses taux d’intérêt. Par exemple, elles pourraient accorder davantage de prêts à leurs clients si elles demeurent optimistes, ou au contraire, augmenter leurs provisions si elles anticipent des pertes.

Une fois que ce processus sera déclenché par la Fed, il devrait se dérouler d’une manière assez « spectaculaire » sur le plan des statistiques, au cours d’une période d’environ deux ans.

Il est difficile de prévoir où tout cet argent ira, alors prenons un peu de recul et réfléchissons aux leçons que peut nous enseigner la théorie autrichienne des cycles économiques (TACE).

D’après la TACE, au cours de la phase de reprise du cycle économique dans laquelle nous sommes depuis déjà un certain temps, les capitaux sont immobilisés dans des projets dont le retour sur investissement n’est attendu qu’à long terme, au détriment des structures de production existantes qui permettent de fournir rapidement des biens et services sur le marché.

Les investissements à long terme correspondent notamment à la construction de biens immobiliers (qui durent généralement au moins 25 ans), l’innovation technologique, en particulier les nouvelles technologies « avancées » qui pourraient ne pas être déployées sur le marché avant de nombreuses années, voire même ne jamais aboutir, et plus généralement tout ce qui est lié à la recherche scientifique, notamment dans le domaine pharmaceutique, qui nécessite généralement des années et même des décennies avant de générer un retour sur investissement.

La TACE prédit que de tels investissements sont réalisés de façon prématurée ou à trop grande échelle dans la phase d’expansion du cycle, et génèreront probablement les pertes les plus importantes lors de la phase de retournement.

En revanche, les investissements à court terme correspondent à la création immédiate de capacités de production de biens de consommation ou d’intrants servant directement à la production de tels biens. Par exemple, si je réalise un investissement d’un million de dollars pour défricher un terrain, le labourer et planter du maïs, j’aurai une récolte à vendre en moins d’un an. C’est un investissement directement productif et qui commence à rapporter à court terme, bien qu’il puisse encore procurer des fruits pendant des décennies.

En revanche, j’aurais pu faire un investissement du même montant, mais planter à la place des vignes destinées à la production de vin, dont les premières bouteilles n’auraient été commercialisables qu’au moins une décennie plus tard. L’horizon de temps est ici comparable à celui de la recherche pharmaceutique. Il s’agit d’investissements à long terme ne permettant pas de produire immédiatement de nouveaux biens et services.

Cela suggère que l’environnement de taux d’intérêt historiquement bas dans lequel nous avons vécu depuis la crise financière de 2008, suite à la bulle immobilière provoquée par la politique monétaire de la Fed, a favorisé une réallocation des capitaux vers des investissements à long terme, au détriment d’investissements ayant un impact plus immédiat sur la production de biens de consommation.

Selon moi, il est probable que le secteur de l’intelligence artificielle (IA) soit l’un des principaux secteurs de l’économie concernés par ce phénomène de surinvestissement. L’IA apportera sans doute de nombreux avantages dans le futur, mais elle pourrait s’avérer être un investissement inadapté dans l’immédiat.

A l’inverse, les activités concernées par un phénomène de sous-investissement – mais encore une fois ce n’est qu’une hypothèse – sont celles relatives à la production de matières premières et de denrées agricoles.

Cette allocation sous-optimale des capitaux a probablement été exacerbée par d’autres politiques gouvernementales qui ont favorisé des dépenses non profitables dans l’immédiat, telles que le CHIPS Act [NDLR : législation promulguée en 2022 aux Etats-Unis autorisant un plan de plus de 250 milliards de dollars de dépenses fédérales dans la recherche scientifique et la production de semi-conducteurs], le développement de traitements contre le COVID, ainsi que les politiques écologiques de lutte contre les gaz à effet de serre et le changement climatique, qui conduisent notamment à décourager le développement de certains secteurs tels que l’agriculture, l’élevage, l’extraction minière et l’énergie.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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