La Chronique Agora

Avènement du marché à choix unique

▪ Nous ne savons pas trop quel est le but de la manoeuvre… mais Paris est remonté de -1,05% à -0,75% au moment du fixing de clôture. Cela rassurera les plus optimistes à quelques heures de la parution des statistiques de l’emploi américain au mois de janvier.

Une nouvelle fois, les manipulations indicielles apparaissent au grand jour. En l’occurrence, le CAC 40 a renoué avec les 4 035 points — un niveau qu’il n’avait plus approché depuis le début de la matinée et qu’il avait brièvement approché lors de la réouverture de Wall Street.

Ce rebond inespéré a en tous cas évité la formation complète d’une figure classique de renversement de tendance en fin de parcours haussier, bien connue des chartistes sous l’appellation de « harami baissier ».

Ceux qui ont arraché les cours à la dernière seconde doivent être les mêmes qui ont fait remonter les indices américains de -0,5% vers l’équilibre… après la clôture des places européennes.

Une nouvelle fois, les haussiers semblent capables de reprendre la main à tout moment. Les pseudo-acheteurs n’ont probablement aucune conviction haussière ni ne nourrissent de vrais espoirs d’embellie macro-économique… mais ils disposent de l’argent de la Fed, qui déverse des dizaines de milliards de liquidités chaque mois.

C’est un marché à choix unique. Les consolidations sont interdites ; les indices ne doivent pas quitter leurs canaux de progression — dont l’angle ascensionnel est calculé de façon à demeurer inférieur à celui de la courbe de désintégration de la valeur temps (celle qui est contenue dans les options et les warrants « hors de la monnaie »).

Voilà une preuve supplémentaire que le marché n’est plus qu’un concept vide de sens destiné à abuser les gogos. Les niveaux indiciels sont déterminés à l’avance… les imprévus sont rapidement gommés par la puissance de l’outil informatique… aucune place n’est laissée au hasard… et l’alternative d’une consolidation des cours est interdite depuis le 1er décembre dernier.

▪ Le Dow Jones n’a par exemple « plus le droit » de rétrograder sous les 12 000. Il en va de même avec le S&P qui se voit interdire tout séjour prolongé sous les 1 300 points.

Mais les indices n’ont pas davantage le loisir de s’envoler en dehors des canaux ascendants qui leur sont assignés depuis deux mois ! Le but de la manoeuvre semble clair : anéantir toutes les stratégies basées sur un rebond de la volatilité et laminer la valeur temps de tous les instruments à effet de levier et à durée de vie limitée qu’affectionnent les boursicoteurs.

Ainsi, comme nous l’évoquions plus haut, tous les opérateurs ayant acheté un warrant ou une option « hors de la monnaie » se font laminer — qu’ils aient joué une poursuite de la hausse ou anticipé un peu prématurément une phase de consolidation.

Ne gagnent que ceux qui jouent « dans la monnaie », c’est-à-dire presque exclusivement les institutionnels. Ils financent ces achats en vendant de la valeur temps aux particuliers qui misent « petit ».

Vendre de la valeur temps n’est rentable que tant que le coût de la couverture demeure faible. Et il n’a jamais été aussi bas que depuis que les taux d’intérêt réels sont devenus négatifs dès la fin 2008… Mais attention : les taux interbancaires affichent +11% depuis le 1er janvier.

▪ La BCE a laissé sans suspense son taux directeur inchangé à 1%. Les marchés accueillent sans émotion son diagnostic économique, qui reprend largement les éléments du précédent communiqué.

Jean-Claude Trichet ne dévie pas de sa ligne directrice. Le texte lu ce jeudi reprend à la virgule près le contenu du précédent communiqué : « la croissance reste fragile, le volume du crédit reste bas mais la priorité de la BCE au cours des prochains mois, c’est l’ancrage des anticipations relatives à l’inflation ‘de second tour’ qui s’insinue dans nos économies par le biais des coûts de production et notamment du pétrole ».

La phrase la plus importante de son discours est la suivante : « la situation exige une surveillance très étroite du niveau d’inflation ». Cela reste la formule classique employée par la BCE avant un relèvement des taux d’intérêt… mais l’avertissement est tempéré par l’anticipation d’une décrue graduelle des prix sous l’objectif central des 2%.

J.C. Trichet ajoute que les banques devraient profiter des conditions actuelles pour renforcer leur capital, tandis que les ministres des finances européens devraient oeuvrer en faveur d’un redimensionnement (il emploie le terme de « souplesse » sur les montants) du FESF.

Si rien ne bouge, son volume ne devrait être accru qu’à partir de 2013. Cependant, il apparaît de plus en plus évident que la Grèce est incapable de faire face à ses engagements. Les PIGS vont se heurter à un mur du refinancement dès la mi-2011. Le ministre des Finances portugais a déjà affirmé publiquement que le plan d’austérité imposé par Bruxelles et le FMI à Athènes, « ça ne marche pas ».

Pourquoi cela fonctionnerait-il mieux en Irlande, en Espagne… et en Angleterre ? Autant de pays qui s’enfoncent dans la récession alors que les consommateurs cadenassent leurs portefeuilles pour les dépenses non vitales tandis qu’ils subissent de plein fouet la hausse du prix des carburants et des produits alimentaires (les céréales, fruits et légumes deviennent inabordables).

▪ Les cambistes se détournent ouvertement de l’euro. Il rechute de 1% à 1,365 $… mais cela est peut-être moins lié au diagnostic de la BCE qu’à la publication de bons chiffres macro- économiques aux Etats-Unis (l’ISM grimpe de 57,1 vers 59,4). Il s’est également produit une brusque montée des incertitudes à la veille d’un grand rassemblement dans le centre du Caire (qui restait ce jeudi le théâtre d’émeutes sanglantes) visant à exiger le départ immédiat de M. Moubarak.

Les tensions sur les matières premières persistent. Le prix du Brent poursuit son ascension au-delà des 100 $ le baril, la tonne de cuivre bat de nouveaux records historique : la barre psychologique des 10 000 $ la tonne vient d’être testée jeudi après-midi.

Qu’en sera-t-il des prix alimentaires alors que l’Australie subit de nouvelles intempéries dévastatrices pour les cultures (cyclone de catégorie cinq sur la côte nord-est) ? Le centre du Mexique, frontalier avec les Etats-Unis, est quant à lui sous la neige — ce qui n’est pas très bon pour les orangeraies !

▪ Peu importent les convulsions géopolitiques ou les colères de la planète : Wall Street a repris avec une aisance déconcertante les 1% perdus au cours de la première demi-heure de cotation. La séance de jeudi s’est conclue par de nouveaux records annuels de clôture.

Même si les écarts sont modestes (+0,24% au mieux pour le S&P, +0,16% pour le Dow et le Nasdaq), ils suffisent à effacer les pertes symboliques de la veille. Le concept même de phase de consolidation semble devenu inconcevable… sauf accident technique comme celui survenu vendredi dernier après une panne de 25 minutes du Nasdaq qui semble avoir perturbé la belle mécanique des arbitrages informatiques entre diverses classes de trackers.

Et tout comme vendredi dernier, l’Egypte est dans la rue. Tout comme vendredi dernier, les Etats-Unis vont se regarder le nombril économique avec la publication des chiffres du chômage : ils ne devraient décevoir personne puisque de toute façon, ils sont faux.

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