▪ Wall Street nous a offert vendredi soir un petit frisson baissier pour le vingt-cinquième anniversaire du krach boursier du 19 octobre 1987.Wall Street avait dévissé de 22% ce jour-là (c’était un lundi).
Je n’ai jamais oublié le regard des clients particuliers abattus… des gérants de fonds de retraite déboussolés… des jeunes traders qui n’avaient connu que la hausse de 1983 à 1987 revendant leur Porsche en urgence à quiconque pouvait leur procurer un peu de cash dans le parking de la Bourse.
Beaucoup d’opérateurs qui utilisaient les premiers systèmes de cotation électroniques ou qui comme moi travaillaient encore dans l’enceinte du Palais Brongniart — sur le petit bout de « parquet » où se traitaient les options négociables adossées à une douzaine de titres du CAC 40 nouvellement créé deux mois plus tôt — se souviennent que les ordres de vente par téléphone (des gérants et des épargnants) déferlaient à une telle vitesse que nous n’avions vraiment pas le temps de les saisir au fil de l’eau.
Nous classions les fiches par valeur et rentrions des quantités à l’estime après un bref tri où nous mettions les quantités supérieures à 10 000 titres sur le dessus de la pile, puis les multiples de 1 000, puis les centaines et les dizaines. Mais il y en avait tant pour ces deux dernières catégories que nous tentions de gagner du temps en vendant « au mieux » une quantité de 10 000 titres chaque fois que nous estimions le tas de fiches voisin de 50.
▪ Comment on gérait une crise « autrefois » à Paris…
Cela fonctionnait plutôt bien puisque lorsqu’une suspension de cotation à la baisse survenait, nous avions le temps de refaire les additions — et il était rare que le différentiel dépasse les 500 titres, soit 2% des échanges en plus ou en moins.
Vu l’ambiance, si c’était « en plus », ce n’était pas grave, cela permettait de renflouer le « compte erreur ». Lorsqu’au moment de la suspension de cotation nous parvenaient de gros ordres, nous savions qui en étaient les initiateurs : Caisse des Dépôts, AXA, Crédit Agricole, UAP, BNP…
Là encore, vu le nombre de fiches qui s’étaient accumulées, il était facile d’estimer si la poignée d’acheteurs faisait le poids avant la reprise des échanges (à -10, -15 ou -20% selon les cas).
Si tel n’était pas le cas, il suffisait de repasser un coup de fil à la bonne personne et d’ajuster le tir en direct — jusqu’à ce la pression vendeuse soit (laborieusement) équilibrée.
▪ … Et à Wall Street
Alors oui, tout allait très vite mais les professionnels maîtrisaient l’exécution, contrairement à ce qui s’était passé la veille à Wall Street où les ordinateurs avaient généré des millions d’ordres automatisés en cascade du fait des stops vente (portfolio insurance)… et de la possibilité d’initier du short selling grâce à un système d’emprunts de titres bien rôdé outre-Atlantique.
La chute de 22% du Dow Jones avait été la conséquence d’une perte de contrôle des ordinateurs mais également d’une approche purement libérale du marché où les coupe-circuits étaient proscrits, ainsi que la possibilité de suspendre les ventes à découvert car il y avait en face des exercices d’options (call, put) censées « équilibrer » les choses… mais c’est évidemment tout le contraire qui se produisit.
Au-delà des aspects techniques, Wall Street n’avait pas pu faire l’économie d’un questionnement sur la valorisation des actions… à la lumière de l’entrée en vigueur de la nouvelle fiscalité votée fin 1986 et qui alourdissait la taxation sur les plus-values de 20% à 28%.
Au lendemain du krach, il n’y avait plus grand monde pour se soucier du montant du chèque à faire au fisc américain parce que les gains s’étaient évaporés en quelques heures.
Bon, je ne vous ai pas évoqué cet épisode vieux de 25 ans pour jouer les anciens combattants, mais pour vous rappeler que l’un des enjeux de la falaise fiscale, c’est justement la suspension des ristournes Bush et notamment la fin de l’imposition à 15% des plus-values boursières dites de long terme.
▪ La taxation des plus-values américaines pourraient fortement augmenter
Si aucun accord n’est trouvé d’ici le 31 décembre 2012, en plus de coupes budgétaires automatiques représentant 4% des dépenses fédérales (impact évalué à -0,9% de PIB), la taxation des plus-values repassera à 20% aux Etats-Unis (en France c’est désormais 34,5%, en Belgique cela reste zéro).
Certes, nous sommes bien convaincu que si Wall Street semble soutenir Obama, c’est pour s’assurer que Ben Bernanke conservera son fauteuil de patron de la Fed. Mais si tout a été fait depuis juillet dernier pour tirer les indices américains vers les sommets, c’est aussi dans l’optique que ce qui est pris n’est plus à prendre — surtout si l’avantageuse fiscalité boursière héritée de l’ère Bush passe à l’as fin 2012.
Pour en revenir à la séance de vendredi, le Nasdaq n’a cédé au pire que 2,2% à 3 006 points (contre -22% pour le Dow 25 ans plus tôt), le S&P 1,67% à 1 433, le Dow Jones 1,51% à 13 343 points (après un plancher inscrit à 13 313 points).
Cela gâche un peu la semaine écoulée qui est ressortie largement perdante pour les technologiques (-1,25%) et en stagnationpour les indices historiques (0,1% pour le Dow). La tendance globale ne bascule pas encore à la consolidation mais une bonne partie de la marge de sécurité affichée mercredi dernier a fondu en quelques heures. Le S&P matérialise l’ébauche d’un triple top déclinant qui ressemble à un cas d’école.
Plus inquiétant peut-être — et l’événement est suffisamment rare pour être signalé : le Russell 2000 chute de 2%, ce qui ne s’était pas produit depuis longtemps. Apple (-3,6%) a enfoncé son support ascendant court terme à peine 24 heures après l’inversion de tendance survenue sur Google, l’autre champion du Nasdaq.
Wall Street a donc fini la semaine inchangé alors que le CAC 40 affichait un gain hebdomadaire de 3,4% (contre 4,3% jeudi soir). Cela demeure l’une des meilleures performances de l’année 2012, avec la première et la dernière semaine de juin (3,45% et 3,42% respectivement).
▪ Et Bruxelles dans tout ça ?
Le point d’orgue de la semaine écoulée, c’était le sommet de Bruxelles. Il débouche une fois de plus sur un accord a minima sur l’union bancaire (qui n’engage en fait personne et surtout pas les autorités allemandes) conclu à l’arraché à cinq heures du matin.
Les économistes constatent quelques avancées techniques sur la définition de l’union bancaire (qui concerne la supervision par la BCE de 6 000 banques). Mais la mise en place des différentes propositions devrait s’avérer complexe et ne s’inscrit dans aucun calendrier précis, hormis une date butoir fixée au 1er janvier 2014. L’Allemagne défend jalousement l’indépendance des caisses régionales et tente de les exclure du périmètre de surveillance de la BCE.
La première conséquence pratique, c’est que l’Espagne ne peut plus compter sur un renflouage direct de ses banques avant… les calendes grecques. Sans supervision, pas d’argent de la part du MES !
Madrid n’a d’autre choix que d’appeler à l’aide… mais cette semaine, c’est plutôt les appels à l’aide d’Athènes qu’il va falloir surveiller.
Et ne parlons pas du risque de correction des indices boursiers mondiaux en cas d’enfoncement des 1 430 par le S&P 500 : voilà une semaine de tous les dangers…