La Chronique Agora

Aux Etats-Unis comme en Europe, la consommation reste l'épine plantée dans la chair de la reprise économique

▪ Ce sont les places asiatiques qui donnent le "la" ce vendredi car Wall Street était fermé hier et ne rouvrira que pour une demi séance (entre 15h30 et 19h).

Les tensions entre les deux Corées seront de nouveau arbitrées par la Chine, ce qui était certainement le but de la manoeuvre pour Pyongyang. Reste à réunir tout le monde autour d’une table — le fils du dictateur pressenti pour lui succéder participera-t-il aux prochaines négociations aux côtés des Américains, des Sud-Coréens et des Japonais ?

En Europe, les préoccupations restaient hier concentrées sur la question des dettes souveraines.

Les places du sud de l’Europe ont bénéficié d’un spectaculaire redressement en fin d’après-midi puisque Madrid, qui dévissait de -1,8%, et Milan qui chutait de -1% (vers 15h), terminent pratiquement à l’équilibre. L’Italie a en outre placé avec succès une tranche de 10 milliards d’euros de bons du Trésor à cinq ans qui a été sursouscrite.

La nouvelle a rassuré les investisseurs sur le tard. La lourdeur l’emportait à Paris à deux heures de la clôture (-0,25%), mais le CAC 40 a inversé la vapeur et terminait sur un gain de +0,34% à 3 760 points. Francfort s’est adjugé +0,82% à 6 880 points (+2,6% en 48h).

Si la situation budgétaire des pays méditerranéens alimente encore de nombreuses spéculations, en revanche, tout va bien pour Londres — qui respire avec le sauvetage des banques irlandaises — et surtout Francfort, Zurich et Amsterdam (zone germanique).

C’est un peu la fracture "nord/sud" à travers l’Europe depuis le début de la semaine.

▪ Aux Etats-Unis, c’est la fracture sociale qui se creuse. Les modes de consommation en constituent un saisissant témoignage, avec un grand écart "top exclusive/hard discount".

Un sondage par téléphone effectué à la veille du week-end de Thanksgiving révèle que 85% des Américains ont bien l’intention de faire flamber leur carte de crédit au cours des trois prochains jours… enfin, ceux qui en possèdent encore une !

Mais de plus en plus de ménages ont renoncé au téléphone fixe (compression des frais inutiles oblige), voire n’ont plus de toit au-dessus de leur tête. Et nous supposons que ceux qui restent joignables ne vont pas déclarer de gaité de coeur à un parfait inconnu qui les appelle au débotté que leur compte en banque est dans le rouge et qu’ils ne vont pas gaspiller un précieux carburant pour le plaisir d’aller admirer ceux qui ont encore les moyens de faire du shopping sans se préoccuper de leur fin de mois.

De nombreux experts se succèdent à l’antenne sur CNBC, ABC ou FOX News pour certifier que Thanksgiving 2010 sera un bon cru. Les ventes de Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Abercrombie & Fitch ou Tiffany progressent d’ailleurs bien au-delà des attentes des analystes.

Mais pas plus que pour LVMH ou Hermès, la hausse du chiffre d’affaires des marques de luxe ne constitue pas un signe de bonne santé de la consommation dans son ensemble aux Etats-Unis.

Le géant Wal-Mart constate dans le même temps que ses ventes ont reculé de -1,3% (à nombre de magasins comparables) en raison de la morosité de la conjoncture : il s’agit du sixième trimestre de baisse consécutive.

Le chiffre d’affaires global a en revanche progressé de 2,6% à 101 milliards de dollars, grâce aux opérations de croissance externe. Le célèbre groupe de Bentonville vient de mettre quatre milliards de dollars sur la table pour le rachat de Massmart, troisième groupe de distribution en Afrique du Sud par sa capitalisation boursière.

Target vient également de revoir à la baisse le taux de croissance de ses ventes aux Etats-Unis et les trimestriels de Sears ont beaucoup déçu Wall Street.

Le panorama apparaît donc assez contrasté avec de bonnes fortunes chez les uns et des signaux de faiblesse inquiétants chez les autres.

Toutes les bonnes surprises proviennent de l’international — c’est particulièrement frappant parmi les marques qui revendiquent un positionnement luxe — et les mauvaises, d’une trop forte exposition des revendeurs sur le territoire américain.

La situation semble sans issue. Les distributeurs ayant une implantation essentiellement locale se livrent une impitoyable bataille de parts de marché, qui passe le plus souvent par le hard discount. Au final, il s’agit d’un jeu à somme nulle car ce qui est pris par l’un l’est au détriment d’un autre, dans un contexte où le pouvoir d’achat des ménages appartenant à la middle class a une forte tendance à se contracter depuis fin 2007.

Il suffirait de peu de chose –comme une pincée d’austérité — pour que la situation bascule comme en Espagne ou en Irlande. Dans ces pays, les parkings des centres commerciaux de taille secondaire sont de plus en plus clairsemés le week-end, tandis que les plus grands malls surnagent à coup d’opérations "super promo" et "prix cassés", sans oublier des attractions parfois dignes des casinos de Las Vegas.

▪ A Dublin, il existe au moins un parking qui connaît une affluence inhabituelle depuis quelques mois : il s’agit de l’ère de stationnement longue durée de l’aéroport international de la capitale, situé près de la bourgade de Sword.

Beaucoup de véhicules semblent simplement attendre d’y être intégralement recouverts de poussière, de feuilles mortes et de toiles d’araignée. Et curieusement, les portières de nombreuses grosses berlines allemandes ou d’orgueilleux SUV qui s’enracinent dans le bitume ne sont même pas verrouillées.

Plus surprenant encore, les clés sont restées sur le contact et la carte grise est posée bien en évidence sur le tableau de bord. Il n’y a plus qu’à prendre place à bord, régler la hauteur du siège conducteur, actionner les essuie-glaces pour retrouver de la visibilité… et écouter ronronner le moteur.

Mais où sont donc passé les propriétaires ? Le plus souvent au Canada, en Angleterre ou en Australie selon la police et les organismes de crédit qui leur avaient envoyé le dernier "commandement avant saisie du véhicule".

L’Irlande a recommencé à subir une vague d’exode sans précédent depuis un siècle. Sans boulot, sans espoir d’en retrouver un avant 2015, sans protection sociale, sans domicile — les huissiers sont submergés de procédures de foreclosure à la demande des banques créancières –, des milliers d’Irlandais quittent le pays avec un aller simple en poche.

Ils abandonnent le peu de biens matériels qui leur restaient en propre pour fuir des mois de grisaille et des années de surendettement, débouchant sur une infamante faillite civile.

▪ Aux Etats-Unis, l’exode est un phénomène déjà bien rôdé depuis 2008 mais il a lieu à l’intérieur même des frontières. Il n’en est pas moins massif car seulement comparable aux heures les plus sombres de la période 1932/1934.

Il n’y aura pas de New Deal pour remettre l’économie américaine sur les rails, juste un quantitative easing à répétition qui détruit inexorablement le dollar.

En Irlande, après deux ans de lourds sacrifices, c’est une traversée du désert de quatre ans qui vient d’être proposée par le gouvernement à une population à bout de patience, sans aucune terre promise à l’arrivée, sans certitude au sujet d’une éventuelle reprise.

Du sang et des larmes mais aucun avenir glorieux dans lequel placer quelques espoirs.

Les multinationales vont laisser leur siège social sur les docks de Dublin (l’impôt sur les sociétés maintenu à 12,5%) mais les emplois vont continuer à être délocalisés. De toute façon, il n’y aura bientôt plus aucune demande intérieure en Irlande. Dans ces conditions, pourquoi y maintenir des unités de production alors que la main-d’oeuvre y demeure 10 fois plus chère qu’en Inde, même après l’abaissement de 11,5% du salaire minimum horaire à 7,65 euros ?

L’Irlande était un pays où la mauvaise saison météorologique durait six mois, c’est maintenant le pays où la mauvaise saison économique dure six ans et où les banques peuvent engloutir sans vergogne plusieurs années de PIB sans que quiconque les sanctionne.

Si le tigre roux irlandais rugit encore, c’est de rage. Le voici prisonnier pour longtemps derrière les barreaux de l’endettement, incapable d’échapper aux coups de fourche de ses créanciers, privé de viande et au régime sec, à la merci de la vermine qui commence à infester sa paillasse.

La jungle mondiale, malgré ses dangers et la difficulté de s’y faire une place, apparaît autrement plus attrayante.

Il ne serait pas étonnant que l’aéroport de Dublin doive ouvrir au cours des prochaines semaines un parking annexe pour accueillir encore plus de voitures abandonnées par des propriétaires partis pour des cieux moins pluvieux : les tigres abandonnent sur place leur moteur !

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