La Chronique Agora

Au moins, à la campagne, ils survivent…

gauchos devant mont fitz roy

Lorsqu’une dette d’État est impossible à rembourser, les prêteurs ne prennent pas leur perte. L’ardoise retombe sur les citoyens.

Depuis quelques jours, nous explorons une question immémoriale : qui rembourse une dette impossible à rembourser ?

L’emprunteur ?

Le prêteur ?

Quelqu’un d’autre ?

Pour faire court, lorsqu’il s’agit de dette gouvernementale, l’emprunteur ne paie jamais ; les autorités n’ont pas d’argent. Les prêteurs, quant à eux – grosses banques, fonds d’investissement, initiés fortunés – ne veulent pas payer.

Généralement, ils se mettent d’accord avec les autorités pour s’assurer que le coût réel revienne à des tiers innocents – les contribuables et les consommateurs.

Telle était la signification de l’annonce de la Fed mercredi : il n’y aura pas de hausses de taux cette année.

Le fait que Powell & co. aient cédé si rapidement était choquant. Au moins Greenspan, Bernanke et Yellen ont-ils eu la décence d’attendre une crise.

Mais nous voilà dans les dernières phases d’une expansion économique… alors que les actions frôlent des sommets et que le chômage est à des plus bas – et pourtant, le taux directeur de la Fed est tout juste supérieur à zéro. Où est l’urgence ? La Fed ne veut pas franchement le savoir.

MarketWatch :

« Même pour un marché obligataire s’étant préparé à une Fed accommodante, la décision de mercredi a été stupéfiante, faisant apparaître le spectre d’une récession.

 Plus particulièrement, selon les analystes, les investisseurs obligataires avaient été décontenancés par la réduction radicale des projections de hausse de taux du Federal Open Market Committee […] »

Les gouverneurs de la Fed ont désormais abandonné jusqu’à l’apparence d’une normalisation… ou toute sorte de politique monétaire prudente. Ils improvisent – tentant désespérément de protéger leurs potes de l’industrie financière.

Une longue route cahoteuse nous attend. On ne peut pas anticiper les virages qui apparaîtront… mais au moins savons-nous où nous terminerons.

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Ainsi, si vous vous demandez qui se retrouve coincé avec les énormes dettes du gouvernement, voici la réponse : les citoyens. Aujourd’hui, nous examinons la manière la plus probable de payer la facture.

Le témoignage d’un génie et d’un saint

L’ancien intendant du ranch, désormais à la retraite, est venu nous rendre visite hier. Jorge a grandi dans une maison au sol de terre battue et n’est jamais allé plus loin que l’école primaire. Mais par rapport aux grosses têtes de la Fed, aux hommes politiques du Congrès et aux habitants de tous acabits à la Maison Blanche, il est à la fois un génie et un saint.

« Comment est-ce, vivre avec une inflation à 100% ? », avons-nous demandé.

« Pas terrible », nous a-t-il répondu. « On va au magasin dès qu’on touche notre chèque. On ne peut pas se permettre d’attendre. »

« Ils ajustent le montant en fonction de l’inflation, mais en utilisant le dernier chiffre en date : ils augmentent de 2%, par exemple, parce que c’était les statistiques officielles le mois derniers – mais le temps que j’obtienne l’argent, les prix ont grimpé de 3%. »

Jorge a travaillé de ses 14 ans jusqu’à sa retraite, à 65 ans. Le gouvernement lui avait promis une pension. Mais que lui est-il arrivé ? Où est-elle ?

« Pendant mon enfance, sur le ranch, il n’y avait pas de machines, pas d’électricité, pas de téléphones… rien. On commençait à travailler dès qu’on savait marcher… on gardait les chèvres ou on désherbait le jardin. On arrachait des mauvaises herbes toute la journée. Je me souviens que quand j’avais six ans, mes mains saignaient tous les jours. »

La famille de Jorge échangeait des pommes de terre contre du blé, apportant ses produits au marché sur des burros. Aucune route ne menait au ranch, et l’économie monétaire n’avait pas encore atteint la vallée. Aujourd’hui, cependant, Jorge dépend du peso… qui est aussi fuyant qu’un gouverneur de la Fed.

Officiellement, les prix grimpent désormais de plus de 3% par mois. Mais l’inflation est une chose rusée. Généralement, les statisticiens développent des trucs et des techniques censés les aider à comprendre ce qu’il se passe… mais les résultats sont souvent bien loin de ce qui vivent réellement les gens ordinaires.

Le précédent gouvernement, mené par Cristina Fernández de Kirchner, mentait purement et simplement sur la question. Il affirmait que l’inflation était sous les 10%… alors que tout le monde savait que les prix grimpaient de 20% ou 30% par an.

Le nouveau gouvernement s’était engagé à fournir des statistiques honnêtes. Mais des chiffres torturés donnent des informations peu fiables. Officiellement, le taux est de 50% par an. Comme nous l’avons dit hier, le taux réel pourrait être deux fois plus élevé.

C’est ainsi que le coût réel de la dette gouvernementale retombe sur le dos de M. et Mme Tout-le-Monde.

On recule

« Ce qui se passe en ce moment est un désastre », a continué notre intendant à la retraite.

« Personne ne peut tenir. J’ai de moins en moins tous les mois. C’est pareil pour tout le monde. Les entreprises n’y arrivent pas non plus. Elles licencient – et on se retrouve avec tous ces gens en ville qui n’ont aucun moyen d’acheter à manger.

« C’est pour cette raison que certains des jeunes sont au ranch. Comme les garçons de Natalio – Rodrigo, Guillermo et Carlos. Autrefois, ils travaillaient sur des chantiers en ville, mais la construction s’est plus ou moins arrêtée. Alors ils remontent ici, au ranch. »

« On ne vit pas la belle vie, à la campagne », a dit Jorge, « mais au moins, on a à manger ».

« Autrefois, on mangeait uniquement ce qu’on faisait pousser nous-mêmes – principalement du maïs… et des pommes de terre. Evidemment, nous avions toujours de la viande. Et du fromage grâce aux chèvres. Ce n’était pas très varié, mais ce n’était pas mal non plus.

« C’est bizarre, comment le monde va. A présent, on dirait qu’on recule. Ces gamins espéraient fuir le dur labeur de la ferme en allant en ville. Lors du boom, ils pouvaient travailler… être payés… et ils avaient de l’argent pour sortir, acheter des téléphones portables et ainsi de suite. »

« A présent, ils ne peuvent plus trouver de travail. Et ils n’ont pas d’argent. Alors ils reviennent. Ils s’occupent des chèvres… ils plantent des patates et du maïs… »

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