La Chronique Agora

Au coup de sifflet… paniquez et vendez !

** Les indices boursiers européens se sont littéralement "déchirés" au cours de la dernière demi-heure de cotations mardi. Le comble, dans l’histoire, c’est que les investisseurs n’ont même pas eu besoin d’une mauvaise nouvelle pour déclencher comme un seul homme une vague de prises de bénéfices d’une brutalité sans équivalent depuis le trou d’air de -5,3% du 20 janvier dernier.

Sans exagérer, la déferlante des ordres de ventes s’est abattue à Wall Street comme sur le Vieux Continent dès que le visage de Timothy Geithner est apparu à l’écran — sur les chaînes d’information financière en temps réel –, et avant même qu’il n’ait eu le temps de finir de saluer les téléspectateurs.

Il aurait pu commencer par annoncer les prévisions météo du week-end prochain ou vanter les vertus gastronomiques des restaurants végétariens que le scénario boursier aurait probablement été le même… y compris — nous sommes même prêt à le parier — si le son de son micro avait été coupé tandis que le mouvement de ses lèvres indiquait le début de son discours.

Nous avons un peu le sentiment que les opérateurs s’étaient pratiquement donné le mot en vertu du vieux principe qui consiste à acheter la rumeur et vendre la nouvelle… peu importe sa substance dans le cas qui nous occupe !

** Comme si elle réagissait au coup de sifflet, la Bourse de Paris a littéralement dévissé vers 17h02 lorsque le nouveau secrétaire au Trésor a entamé la présentation de son plan de soutien au système bancaire américain. Il ne comporte pourtant aucune clause de nature à susciter cette vague d’effroi, qui est sans équivalent depuis le premier rejet du TARP d’Henry Paulson par ses propres troupes républicaines le 29 septembre 2008.

Revoyons au ralenti le film de la dernière demi-heure de cotations sur le CAC 40. L’indice ne cédait que 0,6% à 17h01, affichant un score de 3 100 points. Puis, en quelques secondes, ce fut le plongeon sans filet avec une chute de 2% en moyenne en moins de huit minutes sur l’ensemble des indices de part et d’autre de l’Atlantique. Les cours ont alors chuté comme de véritables châteaux de cartes.

Le CAC 40 perdait rapidement 100 points, puis 115 points… pour clôturer au plus bas du jour, avec 100% des blue chips dans le rouge. La perte de 3,65% a été spectaculaire ; elle effaçait d’un coup les deux tiers du terrain repris la semaine précédente. Il y a fort à parier que le CAC 40 aura perdu le reliquat de gains quand vous lirez ces lignes.

L’Euro Stoxx dévissait également de 3,5% dans le sillage d’Amsterdam (-4,35%) et de Francfort (-3,45%), trahissant une grande vulnérabilité du marché en cas d’absence de bonnes nouvelles — ne parlons même pas des mauvaises.

Wall Street était victime d’un véritable vent de panique à une demi-heure de la clôture avec une spirale infernale mêlant les cassures de seuils — et notamment les 8 000 points sur le Dow Jones — et les programmes de vente automatiques. Le Dow Jones plongeait de 5% sous 7 850 points vers 21h45 et atteignait à peine les 7 900 points en clôture. Le S&P (-4,95% à 827 points) effaçait la totalité des gains accumulés depuis le 3 février.

** Dans les grandes lignes, le gouvernement américain semble revenu sur le projet de création d’une bad bank (structure de défaisance sur le modèle "Crédit Lyonnais-CDR") intégralement garantie par des fonds publics.

Le secrétaire américain au Trésor Tim Geithner a dévoilé puis commenté devant une commission parlementaire un plan en quatre axes — ce qui est d’emblée apparu comme compliqué. Il prévoit d’abord la mise en place de stress tests, c’est-à-dire une sorte de sondage grandeur nature du degré de confiance dont jouissent les banques, en vue de cerner les besoins de renforcement des fonds propres des banques.

L’élément qui fâche, c’est manifestement la constitution d’un fonds public/privé chargé d’absorber les actifs toxiques du marché à hauteur de 500 milliards de dollars. Rien ne garantit que les investisseurs institutionnels aient envie de s’exposer à un risque inconnu, même si la probabilité de faire de bonnes affaires semble élevée compte tenu de niveaux de valorisation des CDO et autres MBS très proches de zéro.

Il nous semble difficilement concevable que la totalité des émissions conditionnées avec une notation triple A ne correspondent qu’à des cas désespérés et à une défaillance hyper-massive de la quasi-totalité des acheteurs.

Entre nous, pensez-vous que les banques américaines atteindront un tel degré de sinistralité que les emprunteurs solvables auront intérêt à organiser leur propre faillite pour ne pas être les derniers imbéciles à rembourser leurs mensualités ?

** Wall Street aurait donc dû être rassuré par l’apport d’un soutien aux ménages endettés et aux PME via l’octroi de prêts pour un total pouvant atteindre un trillion de dollars (1 000 milliards de dollars) en collaboration avec la Fed.

Le lancement d’un programme immobilier destiné à stabiliser les prix semblait également aller dans le bon sens… mais la réponse de Wall Street fut une nouvelle fois paradoxale. Le promoteur Lennar dévissait de 15%, Richard Ellis de 13,7%, Kimco Realty de 13%, Pulte Homes de 10%. En moyenne, le secteur s’effondrait de 12%.

** C’est clairement le concept du fonds public/privé qui désoriente et indispose les marchés. Les investisseurs ont décidément horreur d’affronter des situations auxquels ils ne sont pas — ou mal — préparés… mais n’ont-ils pas déjà "pricé" le pire ?

Ils en oublient au passage que le Sénat américain vient de voter la nouvelle version du plan budgétaire (825 milliards de dollars), ce qui amorce la procédure de conciliation entre les deux Chambres du Congrès — avant une adoption définitive espérée pour la fin de la semaine.

Du côté des statistiques, la journée était peu chargée : elle se résumait à la publication des stocks des grossistes, lesquels ont diminué de 1,4% aux Etats-Unis au mois de décembre… ce n’est franchement pas le genre de chiffre à se mettre un révolver sur la tempe ! Cela ne fait que renforcer notre sentiment de malaise devant une chute de Wall Street qui nous semble trop "parfaite" pour être le fruit du hasard

Philippe Béchade,
Paris

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