Pourquoi les entreprises privées s’effondrent, tandis que les désastres publics persistent ?
Voici une petite nouvelle rapportée par Bloomberg récemment :
« Une ligne de train de la capitale [nigériane] a été fermée après plus de deux ans de service.
En juillet 2018, Muhammadu Buhari, alors président du Nigéria, avait embarqué à bord d’une nouvelle rame étincelante liant la capitale, Abuja, et son aéroport. Lors de la cérémonie d’inauguration, Buhari avait loué cette ligne comme ‘preuve que le gouvernement tient ses promesses’.
Cinq ans plus tard, la promesse sonne creux. Les voitures du train sont rangées dans un dépôt. Des stations caverneuses équipées d’escalators, vendeurs de tickets, caméras et scanners sont vides, surveillées par des agents de sécurité qui s’ennuient. Les canapés en imitation cuir de l’espace VIP sont couverts d’excréments d’oiseaux et de chauve-souris. ‘C’est un projet abandonné’, explique Rowland Ataguba, un conseiller du gouvernement pour la politique ferroviaire. ‘Il est clair qu’il n’y avait aucun plan sur la manière de gérer cette ligne avant qu’elle soit construite.’ »
Le Nigéria reçoit des milliards chaque année en aide étrangère. Cet argent est dispersé et distribué de la manière habituelle – aux comparses, compères et complices qui sont proches des politiciens. Certains d’entre eux, sans le moindre doute, ont réalisé quelque profit avec cette ligne de train qui ne mène nulle part.
Un million de morts
Les gouvernements font des « erreurs » de temps en temps. Mais, à son échelle, la ligne de train inutile de Nigéria ne mérite à peine une note de bas de page. La plus grande erreur du siècle, jusqu’à présent, a été réalisée par le président américain George W. Bush. Sa « guerre contre le terrorisme » a représenté une erreur coûtant 5 000 Mds$ et la vie d’un million de personnes, avec une grande partie de cet argent finissant dans les comptes en banque des riches hommes au nord de Richmond.
Bien sûr, des erreurs sont commises dans le secteur privé aussi. On disait de Lordstown Motors qu’elle était la preuve que des start-ups industrielles pouvaient trouver le succès au cœur des Etats-Unis… c’était l’avis de Mike Pence, alors vice-président, lorsqu’il avait visité l’usine du groupe en 2020. Puis Hindenburg Research a rendu public des fraudes et chiffres falsifiés dans les comptes de l’entreprise. Lordstown Motors a déposé le bilan fin juin dernier.
Le Nigéria, les Etats-Unis et Lordstown sont tous des entreprises collectives. Tous ont des reçus, des dépenses, des managers, des comptables, des bilans et des bureaux. Tous font des erreurs. Mais seul Lordstown a fait faillite. Le Nigéria est toujours en activité. Les Etats-Unis de même. Pourquoi cette différence ?
Nous avons vu que même les compagnies prospères sont toujours sensibles à des lenteurs institutionnelles et à la bureaucratie. Quand leurs rouages sont trop endommagés par les conflits sur la politique interne et par l’égocentrisme, quand elles dérivent trop de leur voie et perdent la confiance de leurs clients, des compétiteurs saisissent l’occasion. De nouvelles tendances et innovations les dépassent. Et elles sont bientôt oubliées.
Bear Stearns, Kodak, Radio Shack, Circuit City, Blockbuster – toutes ces compagnies ont fait faillite. Et qu’en est-il de Pan Am ?
La Pan American Airlines a été lancée dans les années 1920. Quarante ans plus tard, elle avait un quasi-monopole sur les principales liaisons internationales. Le transport aérien était en forte croissance. Et Pan Am avait la réputation, les parts de marché, le capital, les connaissances pour prendre l’avantage… en résumé, c’était clairement le gagnant.
Vers un nouveau monde
Nous pouvons encore nous souvenir de l’excitation que nous avons ressentie lorsque nous avons acheté notre premier billet d’avion. Nous avions déjà été à bord d’avions auparavant, grâce à la marine américaine. Mais nous nous sommes montés à bord d’un vol commercial pour la première fois qu’en 1969.
A l’époque, Pan Am disposait d’un bâtiment tout neuf à l’aéroport JFK de New York. Il semblait qu’une soucoupe volante venait d’atterrir sur le toit du terminal… un disque de métal scintillant reposant sur de hautes colonnes. Si notre mémoire est bonne, il y avait un large globe terrestre au centre. Quand vous y entriez, vous saviez que vous alliez quelque part.
Même à New York, les comptoirs d’enregistrement étaient alors tenus par des gens compétents et polis. Ils n’y avaient pas tant de passagers… et pas de contrôles de « sécurité ». Nous n’étions pas si pressés par l’urgence de rejoindre une file pour vérifier notre passeport. A la place, nous étions calmement invités à choisir « fenêtre ou couloir », « fumeur ou non-fumeur ». (Nous ne nous souvenons pas d’avoir eu plusieurs options de menus… mais nous étions en classe économique !) Autrement dit, c’était une expérience civilisée.
Et ensuite, quel plaisir… d’avoir entre nos mains ce « billet d’avion qui nous mènerait vers des lieux romantiques »… qui nous permettrait de voler au-dessus des océans vers un autre monde… vers le Vieux Continent, grâce à la Pan Am.
Pan Am dominait l’un des secteurs affichant la plus forte croissance au sein de l’une des économies à la plus forte croissance, durant la plus forte poussée de croissance de son histoire. Lorsqu’on l’observe cela de l’extérieur, l’activité d’une compagnie aérienne semble relativement simple. Vous connaissez le coût de vos équipements, de votre kérosène et de votre masse salariale. La variable est le prix du billet.
Atterrissage forcé
Donald Trump s’est lancé dans l’aviation en 1989 avec Trump Shuttle. Pendant un temps, il a été l’un des concurrents de la Pan Am sur la liaison « navette » entre Washington DC et New York.
Pan Am avait tous les avantages. C’était le leader du marché, il n’avait pas vraiment besoin de faire de la publicité. Mais il a fait faillite. Comment l’expliquer ?
L’explication la plus simple est la plus évidente. Au fil des ans, Pan Am s’était habitué à la première classe. Et, quand le gouvernement américain a dérégulé les compagnies aériennes en 1978, elle n’était plus assez agile et affamée pour rivaliser avec les nouveaux venus.
Pan Am avait un but lucratif. Ses investisseurs voulaient gagner de l’argent. Ses salariés voulaient un emploi. Ses clients, supposément, appréciaient ses services.
Mais pourtant, l’entreprise s’est dirigée vers un dernier atterrissage forcé en 1991. Trump Shuttle a fait de même un an plus tard.
Demain, nous verrons pourquoi le Nigéria et les Etats-Unis sont toujours en vol.