▪ Si vous nous suivez depuis quelque temps, vous savez que les dirigeants américains (et la majorité des gouvernements du monde entier, d’ailleurs) ont remporté un succès écrasant. Non, évidemment, il ne s’agit pas de paix et de prospérité, ni du retour de la croissance. Mais en ce qui concerne leur mission principale — transférer la richesse, le pouvoir et le statut du "public" vers eux-mêmes — ils ont fait du beau boulot.
Le problème, avec les électeurs américains, c’est qu’ils ne sont pas assez cyniques pour comprendre ce qui se passe vraiment. Les autorités disent qu’elles essaient de relancer l’emploi ou de lutter contre le terrorisme — et les malheureux électeurs les croient. Le président Obama, par exemple, affirme qu’il a pour objectif de donner "à l’Américain moyen, qui travaille dur", un meilleur avenir… ou d’améliorer ses soins de santé… ou de l’aider à trouver une place pour se garer. Le citoyen lambda lui accorde le bénéfice du doute. Si les programmes ne fonctionnent pas… eh bien… au moins, les autorités se donnent du mal, n’est-ce pas ?
Il devrait venir en Argentine — un pays qui ne le cède à personne en matière de cynisme. C’est-à-dire que le premier chauffeur de taxi venu se fait une idée plus claire du vrai fonctionnement de la politique qu’un professeur dans une université américaine de prestige.
▪ A chacun son travail…
"Oh, les choses deviennent intéressantes", a dit notre chauffeur. "Pauvre Cristina [Cristina Fernandez Kirchner, présidente de l’Argentine]. Elle affirme que nous avons la meilleure économie au monde. Elle ment. Chaque fois que je vais faire des courses, les choses sont plus chères… et je ne gagne pas plus d’argent".
On ne découvre pas la vérité sur ce qui se passe en Argentine en écoutant un discours de la présidente. Il faut plutôt regarder le compteur de votre taxi. Notre course de 15 minutes vers l’aéroport nous a coûté 35 pesos. Cela semblait beaucoup. Il y a deux ans, la même course n’aurait coûté que 25 pesos.
Entre temps, le peso a chuté plus rapidement — par rapport au dollar — que les tarifs de taxi ont grimpé. Il y a deux ans, Buenos Aires était relativement chère. A présent, pour une personne qui a des dollars dans son portefeuille, la ville est à nouveau bon marché. Au taux de change officiel, 35 pesos valent environ 3,50 $. Mais le taux de change officieux est de 10 pour un dollar. Donc, pour nous — tant que nous échangeons notre argent sur le marché noir — le trajet en taxi ne coûte de 3,50 $.
Nous venons d’arriver d’Europe. En Angleterre, 3,50 $ ne suffiraient même pas pour un ticket de métro. Un trajet en taxi équivalent coûterait 20 $ au moins. Quant à Paris, oubliez ça. Pour commencer, il vous serait impossible de trouver un taxi. Il faudrait téléphoner. La dernière fois que nous l’avons fait, le taxi avait 12 $ au compteur avant même que nous ayons ouvert la porte.
"Je ne suis qu’un chauffeur de taxi", a continué notre chauffeur-philosophe argentin. "On me paie — pas beaucoup — pour amener les gens d’un endroit à l’autre. J’ai même un compteur, pour qu’il n’y ait pas de doute sur ce que vous payez".
"A quoi est payée Cristina ? A nous mentir. A voler notre argent. Et à mettre la pagaille dans l’économie d’une manière générale".
"Enfin, au moins, le spectacle est intéressant. On allume la télé et la voilà… avec de nouveaux mensonges".
"La chose la plus étonnante, c’est que tout le monde sait que ce sont des mensonges. Nous savons tous que le coût de la vie augmente trois fois plus vite qu’elle le dit. Nous savons tous que le pays est en route vers la faillite. Nous savons tous qu’elle imprime de l’argent facile pour payer ses factures".
"Mais personne ne s’en soucie. Elle fait son travail. Comme vous et moi. Mon travail, c’est de conduire un taxi. Le sien, c’est de me mentir".
Le cynisme, ça nous connaît. Mais notre chauffeur en avait une telle dose qu’il aurait pu en distribuer toute la journée — il lui en serait resté le soir.
▪ L’Argentine, pays du calcul mental
Un peu plus tard, nous avons rencontré notre économiste préféré à Buenos Aires, Rob Marstrand. Rob a du cynisme à revendre lui aussi. Après tout, il était banquier à Londres autrefois. Il aime vivre en Argentine :
"En ce moment, c’est génial. Parce que la qualité de vie est assez élevée, en fait — du moins si on est payé en dollars ou en livres sterling. On mange bien. On peut avoir un bel appartement. Et on rit bien chaque fois qu’on regarde les nouvelles".
Comme de nombreux expatriés à Buenos Aires, Rob constate une amélioration rapide de la partie de son cerveau en charge du calcul mental. Il est payé dans une devise. Il compte les points dans une autre. Il paie ses factures dans une troisième. Et il passe de l’une à l’autre avec des taux de change qui varient en fonction de la personne avec qui il fait affaire.
Lorsqu’on demande le prix d’un appartement, par exemple, la réponse est généralement — ça dépend. Combien paierez-vous en dollars ? Combien en pesos ? Combien au taux officiel ? Combien au taux du marché noir ? Et combien allez-vous dire que vous avez payé ?
En général, on paie une partie au taux officiel. Le reste, on peut le payer en dessous-de-table, en dollars. Il peut arriver que l’on doive rencontrer son interlocuteur avec une valise remplie de billets, ou que l’on doive faire un transfert vers un compte bancaire à Miami.
"C’est très stimulant", dit Rob. "Si on aime les maths. Personnellement, j’ai dû créer un tableau Excel pour m’en sortir".