La Chronique Agora

Après la financiarisation, la « rentisation »

La financiarisation de l’économie a sa part de responsabilité dans la tourmente actuelle – mais elle n’est pas seule.

Comme nous l’avons vu hier, les élites ont nié, refusé, empêché, tout assainissement du système. Une théorie supplémentaire a maintenant été proposée : la « rentisation ».

Dans un long article paru récemment dans le Financial Times, son célèbre chroniqueur économique, Martin Wolf, a présenté ce concept de rentisation comme explication de la faible croissance de la productivité, des inégalités croissantes et de la montagne de dettes dans les principales économies – et donc de la crise.

Wolf estime que le capitalisme a été « manipulé » par des puissances économiques monopolistiques.

« Pourquoi l’économie n’a-t-elle pas tenu ses promesses ? » interroge-t-il.

La réponse tient en grande partie à la montée du « capitalisme rentier ». Dans ce capitalisme, la « rente » désigne les récompenses qui vont au-delà de celles qui sont nécessaires pour obtenir la fourniture souhaitée de biens, de services, de terres ou de main-d’œuvre.

Wolf désigne sous le nom de rente ce que je désigne sous le nom de rente différentielle.

Une nouvelle sorte de capitalisme

Le « capitalisme rentier » désigne une économie dans laquelle le marché et le pouvoir politique conjugués permettent aux particuliers et aux entreprises privilégiés d’extraire cette rente au détriment de la part de tous les autres…

Personne ne peut contester que ce phénomène existe – et même qu’il est important. On souligne en effet à juste titre le capitalisme de copinage, allié des politiciens, et les positions exorbitantes des GAFA et assimilés.

Le secteur financier est une partie prenante importante de ce développement monopolistique, de sorte que la financiarisation a permis aux secteurs monopolistiques de créer leurs propres profits (même s’ils sont souvent illusoires) et de générer des krachs financiers ; le véritable ennemi du capitalisme réussi est « le déclin de la concurrence », d’après Wolf.

Bref vous avez compris, il reprend avec le plus grand sérieux l’antienne, la tarte à la crème des Britanniques : si tout va mal c’est parce qu’il n’y a pas assez de concurrence. On s’en serait douté.

Ah, les braves Anglais.

Wolf cite ensuite les preuves empiriques récentes de cette « rentisation » du capitalisme : la concentration du marché, mais aussi l’augmentation des profits monopolistiques et entreprises « superstars » comme les GAFA, réalisant des « profits monopolistiques ».

Mais cette théorie explique-t-elle la faible croissance économique, la montée des inégalités et les crises financières ? Est-ce le capitalisme monopoliste qui est la cause de nos problèmes, ou bien est la dialectique interne, la contradiction du capitalisme dans son ensemble ?

La finance n’est pas le seul problème

Vous vous attendez à ce que les géants du « monopole » réalisent les plus grandes marges de profit – en fait, les données montrent que ce sont les plus petites entreprises qui obtiennent des marges plus élevées aux Etats-Unis.

La faible croissance de la productivité semble être beaucoup plus étroitement liée à la faiblesse des investissements et donc à une faible rentabilité, non à la monopolisation.

Le ralentissement le plus marqué de la croissance de la productivité aux Etats-Unis a commencé après 2000, lorsque les investissements dans les secteurs productifs et l’activité ont diminué.

C’est la baisse de la rentabilité globale du capital américain qui explique avec le plus d’adéquation les évolutions plutôt que les modifications du « pouvoir de marché » monopoliste.

Les « demandeurs de rente », les rentiers, ne semblent avoir joué aucun rôle dans le faible taux d’investissement de la Zone euro. En revanche sa rentabilité faible a un plus grand pouvoir explicatif.

La faible croissance de la productivité est due aux contradictions internes du système et à l’antagonisme entre le besoin de profit et la nécessité de produire une demande suffisante pour réaliser ce profit.

En pratique, ce sont les monopoles qui maintiennent la croissance de l’investissement grâce à leur rentabilité.

Brett Christophers, de l’université d’Uppsala en Suède, a publié un important travail sur ces questions. Christophers rejette le terme de « financiarisation » en tant que cause du malaise actuel de la croissance capitaliste. La finance est une cause trop étroite : les rentes sont extraites dans de nombreux autres secteurs, comme l’immobilier.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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