La Chronique Agora

Après El Nino, réchauffez votre épargne avec El Besdeto

** Si le cycle des saisons s’applique aux marchés financiers, nul ne saurait nier qu’ils subissent un automne frais et pluvieux, après un été orageux. Cela ne devrait pas aller en s’arrangeant, même si l’observatoire météorologique de la Fed prévoit un début d’hiver plus clément avec un réchauffement ponctuel du climat lié au passage d’un front tropical vers le 20 décembre.

Il s’agit à l’origine d’un phénomène affectant d’énormes masses de liquidités… une variante nord-Atlantique du phénomène « El Niño », baptisé « El Besdeto ». Il devrait atteindre une amplitude de 25 points, selon les estimations des spécialistes des bons du Trésor US.

La thématique météorologique de ce début de Chronique n’est ni gratuite ni innocente : Ben Bernanke s’exprimait aujourd’hui devant le Congrès US pour expliquer comment la Fed s’y prend pour informer les marchés… et comment elle envisageait de combler certaines lacunes de communication qui pourraient engendrer des malentendus indésirables, comme ce fut le cas au cours des six premiers mois ayant suivi le départ en retraite d’Alan Greenspan.

Le remède dévoilé ce mercredi consiste dans le doublement de la fréquence des bulletins de météorologie économique de la Fed puis des prévisions étendues à trois ans au lieu de deux — grâces en soient rendues aux « modèles » qui permettent de mieux cerner l’évolution des fronts dépressionnaires ou anti-cycloniques qui affectent la croissance américaine.

** Comme vous le savez, nous adorons les modèles : il suffit d’en prendre le contre-pied pour s’éviter les pires galères avec nos économies, à l’image des « nouveaux emprunts russes » de l’après communisme en 1997/98… de la « nouvelle économie » de 1999 à l’an 2000… ou des « nouveaux propriétaires immobiliers » (avec zéro apport et zéro garanties) de 2003 à 2006.

Heureusement, les meilleures escroqueries reposent sur un potentiel de naïveté du grand public qui démontre une capacité de régénération prodigieuse : chaque crise, chaque krach jette les rescapés — ou ceux qui en ont partiellement réchappé — dans les bras de beaux parleurs faisant autorité (monétaire ou non) qui viennent leur promettre fortune et félicité grâce à la mise au point de nouveaux modèles ayant intégré les erreurs du passé.

Et quand le temps tourne à l’orage malgré des bulletins qui prédisaient du beau fixe jusqu’au printemps prochain, il se trouve toujours des « experts » bien intentionnés pour rassurer les épargnants, leur certifier qu’il ne s’agit que d’une averse ponctuelle isolée… même si l’heure de la mousson a sonné.

** Cette année, il semblerait que Goldman Sachs (dont l’ex-CEO est récemment devenu le bras droit de George Bush pour les questions économiques) se soit vu confier la délicate tâche de calmer les esprits au sujet des conséquences néfastes de la crise du subprime. Lorsqu’il s’agit de remettre en cause les évidences et d’en nier la portée, tout est question de crédibilité.

Qui mieux qu’une banque d’affaires influente — dont sont issus de nombreux secrétaires d’Etat américains au Trésor — pouvait convaincre les investisseurs que les banques américaines ont les reins assez solides (nul n’en sait rien, chacun l’espère) pour endosser sans risquer de s’effondrer les retombées financières de l’anéantissement pur et simple de nombreux « conduits » bourrés de CDO et autres ABS désormais sans valeur ?

Goldman Sachs va même plus loin : alors que toutes les projections démontrent que le pic des défaillances devrait survenir d’ici juin 2008 (et nous parions que la bulle des cartes de crédit aura à son tour éclaté d’ici-là aux Etats-Unis), la direction affirme crânement qu’aucune nouvelle dépréciation d’actifs obligataires n’est envisagée d’ici la fin de l’année.

Voilà une attitude qui ne manque pas de panache alors que dans le même temps, Bear Stearns annonce 1,2 milliards de dollars de provisions supplémentaires et Bank of America pas moins de trois milliards de dollars sur son portefeuille de CDO.

Le plongeon de 60% d’E-Trade survenu lundi (toujours à cause des dérivés) est déjà oublié : le titre reprend encore 20% après +36% mardi soir. Car même à 6 $ contre 3,45 $ 48 heures auparavant, la firme de courtage reste une cible de choix pour un éventuel prédateur.

Mais il serait abusif de prêter à Goldman Sachs le pouvoir de faire remonter à sa guise les indices boursiers : les thèses les plus optimistes n’ont aucun impact positif sur les cours si les circonstances du moment ne se prêtent pas à un retour en force des acheteurs — qui pourraient n’être, en l’occurrence, que les vendeurs à découvert des séances précédentes.

** Après 6% à 12% de repli en l’espace d’une semaine (selon les indices), Wall Street était mûr pour un rebond. Ce dernier affichait mardi soir des proportions en rapport avec la débâcle qui avait précédé : l’heure des rachats à bon compte avait bel et bien sonné.

Les valeurs françaises ont suivi le mouvement ce mercredi — quoique de manière un peu moins spectaculaire — après avoir testé à trois reprises le palier des 5 500 points, à 10 ou 15 points près. Quelques statistiques macro-économiques plus « agréables », associées à des actualités favorables sur une poignée d’entreprises, ont permis à 90% des titres composant le CAC 40 de clôturer dans le vert.

La séance a été active, avec 7,3 milliards d’euros échangés sur les 40 plus grosses capitalisations parisiennes. L’indice phare s’est adjugé 1,35%, surperformant très largement les indices paneuropéens puisque l’Eurotop 100 se contente de +0,45% et l’Euro-Stoxx 50 de +0,6%.

Les marchés asiatiques avaient donné le ton dès le milieu de la nuit (+2,5% à Tokyo, +5% à Hong Kong en clôture) ; la hausse initiale des valeurs françaises a été confortée par une série de chiffres américains qui ont reçu un excellent accueil en début d’après-midi.

Les ventes de détail ont ainsi progressé de 0,2% en octobre aux Etats-Unis (la consommation se maintient à des niveaux dignes des meilleures années du siècle naissant). Les prix à la production, quant à eux, ont augmenté de 0,1% — seulement — durant la même période (ils sont même restés stables hors alimentation et énergie). C’est comme si la flambée des prix du pétrole (il vient juste de rechuter sous les 92 $) n’était répercutée qu’avec un retard notable par les entreprises.

Nous expliquions mardi que la fin de l’année s’annonce peu souriante en Europe. Cependant, le troisième trimestre fut de bonne facture : il a été marqué par une accélération de la croissance en France et en Allemagne, ainsi que dans l’ensemble de la zone euro (+0,7% en rythme séquentiel dans les trois cas). C’est comme si les turbulences de l’été n’avaient eu aucun retentissement sur « l’économie réelle » — par opposition à la sphère « virtuelle » où se traite l’endettement des ménages et des entreprises.

** Mais rien ne résume (ou ne justifie) mieux l’embellie survenue mercredi que la consolidation du yen sous les 111,5 $ et les 163,5/euro. Avec 109 sur le $/yen, nous tenons à la fois un excellent support et un niveau de référence majeur dont la préservation ou l’enfoncement va largement conditionner la poursuite du rebond actuel de Wall Street… ou au contraire la rechute du Dow Jones sous les 13 000 points (et du Nasdaq 100 sous les 2 000 points).

Gardez ceci constamment à l’esprit, quels que soient les « papiers » que vous lirez par ailleurs.

Quelques beaux jours ou un été indien à retardement ne peuvent que différer l’approche inexorable des conditions hivernales : mieux expliquer la météo, et plus fréquemment, comme le propose Ben Bernanke, ne change strictement rien aux climat !

Philippe Béchade
Paris

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