La Chronique Agora

L’Apocalypse n’aura pas lieu (ou pas tout de suite)

▪ « C’est fini. Euro fini. Grèce finie ».

C’est par cet abrégé apocalyptique que notre chauffeur de taxi décrivait la situation à Athènes le week-end dernier.

Les banques sont restées fermées pendant deux semaines. Les citoyens grecs — mais pas les touristes avec des cartes étrangères — ont droit à 60 euros par jour, la limite des retraits dans un distributeur. Vendredi dernier en fin de journée, on aurait dit que la fin était proche. Tsipras était en train de céder devant les buveurs de bière européens ; il accepterait leurs termes, disaient les journaux.

Le problème, c’est que ses propres concitoyens venaient de voter pour rejeter quasiment le même accord. Et puis, à mesure que le week-end progressait, les termes sont devenus plus durs encore… et Tsipras les a acceptés. En ira-t-il de même pour son Parlement ?

Comme un chasseur de tornades, nous sommes monté dans un avion pour Athènes afin d’étudier la tempête qui s’est abattue sur la ville. Ce serait amusant de voir tant de vanités et de prétentions valser dans les airs, avons-nous pensé. Au minimum, ce serait un entraînement utile et instructif pour les tempêtes qui se préparent ailleurs.

Mais il ne s’est rien passé. Pas d’accident. Pas de cyclone. Pas de déraillement. Pas de panique dans les rues.

En fait, d’après nos explorations dans le quartier de Plaka, nous n’avons trouvé que des touristes… qui semblaient ne pas même soupçonner qu’il y avait une crise financière.

La nuit dernière, par exemple, nous sommes allé sur la place Syntagma pour y chercher chaos et désordre. Tout ce que nous avons trouvé, c’est un escadron de policiers somnolant dans un bus blindé. Les distributeurs fonctionnaient ; personne ne faisait la queue devant. Les restaurants étaient à moitié pleins.

Pas d’accident. Pas de cyclone. Pas de déraillement. Pas de panique dans les rues

Nous n’avons pas vu non plus de signes de dépenses extravagantes ou d’investissements imprudents. Athènes est une ville de la taille de Paris, mais elle n’a pas d’Arc de Triomphe, pas de Tour Eiffel, pas de Louvre. Pas d’appartements élégants, pas de gratte-ciels luisants. Du moins pas que nous ayons vu.

Ses principales réussites ont été érigées il y a plus de 2 000 ans. Et on se demande comment ces gens ont fait. Le Parthénon a exigé d’immense investissements et une organisation méticuleuse. C’est à couper le souffle… un chef d’oeuvre. Il n’y a pas signe de telles capacités ici aujourd’hui. Athènes est plutôt un bourg méditerranéen désuet, légèrement ringard.

▪ Des zombies à Athènes
« Hé, je peux vous aider ? »

Un homme à l’air louche s’est approché. Nous ne savions pas ce qu’il offrait, mais nous n’en voulions pas.

« Non… merci ».

Nous avons pris la direction opposée. Il nous a suivi.

« Hé… qu’est-ce que vous cherchez… je peux vous aider à le trouver »…

« Eh bien, je cherche des signes d’effondrement financier ».

« Ah, je peux vous aider à trouver de la drogues… des femmes… du jeu… Mais je ne connais rien aux effondrements financiers ».

Nous avons remercié l’homme une nouvelle fois et sommes reparti.

Comme vous le savez, la Grèce n’est qu’une ligne de front dans la Guerre zombie. Le vrai sujet, ici, est le même que sur tous les autres fronts : comment faire en sorte que le crédit continue de couler.

Les gens honnêtes produisent. Les zombies prennent. Ils prennent ce qu’ils peuvent des revenus et de l’épargne, mais ça ne suffit pas. C’est le crédit qui les maintient en vie.

Les entreprises zombies empruntent de plus en plus pour continuer de fonctionner. Elles versent de gros bonus et leur titre grimpe !

Le crédit bon marché permet aussi de maintenir les autorités en activité. Quasiment tous les gouvernements de la planète sont dans le rouge. Enlevez le rouge et les programmes zombies devraient prendre fin.

« Je peux vous aider à trouver de la drogues… des femmes… du jeu… Mais je ne connais rien aux effondrements financiers. »

Le crédit bon marché finance les tire-au-flanc, les tricheurs, les lobbyistes et les avocats, des guerres imbéciles et des investissements idiots, et les millions de gens qui vivent aux dépens des autres — faisant souvent semblant d’accomplir un travail utile.

Le test est simple en théorie : si personne n’était forcé de les soutenir, auraient-ils le même revenu ? Si la réponse est « non », ils ont été zombifiés.

En pratique, cependant, il peut être difficile de différencier un zombie d’un homo sapiens honnête. Souvent, ils ne le savent pas eux-mêmes. Certaines professions honnêtes ont été quasi-entièrement zombifiées. Idem pour des pays entiers. La Grèce, par exemple, a pu vivre au-dessus de ses moyens — grâce au crédit fourni par les Européens du nord. Bon nombre de ses citoyens — particulièrement ceux qui travaillent pour le gouvernement — se sont habitués à gagner plus qu’ils ne valent.

Il n’y avait que très peu de zombies dans le monde de Périclès, Aristote et Euclide. L’économie ne pouvait pas entretenir de nombreux parasites. A présent, le monde en regorge.

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