La Chronique Agora

L’année du super milliardaire

Bezos milliardaire

Comme tous les ans, le classement des hommes et femmes les plus riches du monde attire l’attention des médias, sans vraiment d’analyse au-delà des gros chiffres ronds. Cette richesse mérite pourtant d’être étudiée.

La presse s’est intéressée en ce début d’année aux sommes astronomiques qui constituent les capitalisations boursières et, par voie de conséquence, les fortunes des milliardaires et autres multimilliardaires. Elle le fait pour le côté spectaculaire des chiffres ronds, sans véritable analyse et, surtout, sans insérer cette création de richesses dans le cadre des processus économiques qui dominent nos systèmes depuis des décennies.

Il faut parler de la richesse car elle est spectaculaire, mais il ne faut surtout pas l’égratigner, car les riches, ce sont eux qui paient et ce sont eux qui commandent. Les riches paient la presse, comme Bezos ; ils paient la publicité, comme Apple ou Tesla ; ils paient les politiciens… comme tout le monde.

Les milliardaires étant protégés, c’est un maillon important de la chaîne organique des causes et effets qui est occultée.

De temps à autre, il y a quelques sociaux-démocrates (vous savez, ces gens qui font semblant de critiquer le capitalisme et de proposer des mesures correctrices pour mieux le faire durer) qui incluent les inégalités dans leurs théories économiques de base keynésienne, par exemple, en proposant des interprétations des crises par la théorie de la sous-consommation.

Ces théories n’ont aucune valeur explicative, mais elles conviennent au système, surtout en ce moment – et c’est pour cela que les Piketty sont à la mode – car elles débouchent sur la grande propagande mondiale pour une société plus inclusive.

Richesse perçue et richesse fictive

La création massive de richesses perçues, c’est-à-dire de richesses fictives ou de promesses de richesses futures, n’est pas étudiée en économie. Les économistes aux ordres du système n’analysent pas les conséquences de ces créations de fausses richesses et, quand ils s’en préoccupent, c’est en incidence sociale ou morale.

En toute bonne rigueur, le fantastique gonflement des richesses devrait être mis au centre de toute analyse critique du régime économique actuel. C’est l’éléphant au milieu de la pièce.

La richesse, qu’elle soit sous forme de titres de propriété ou de créances ou de crédit, est toujours en dernière analyse un droit à prélever sur la richesse nationale. C’est le droit de prélever le surproduit, c’est-à-dire le profit du système.

Toute inflation de la richesse a pour conséquence mécanique d’augmenter les droits à prélever sur la masse de profit générée par le système. Autrement dit, le gonflement de la richesse – qu’elle soit productive, rentière, financière ou purement fictive – accroît l’exigence de profit dans un système. Pour survivre, cette richesse gonflée réclame que le profit progresse sans cesse et les détenteurs de richesse sont en concurrence entre eux pour s’attribuer la plus grande part du profit.

Dans le système capitaliste, l’exigence de profit est une contrainte organique du système, ce qui signifie que le système ne produit pas pour la satisfaction des besoins. Les besoins, il s’en moque : le système produit pour mettre en valeur le capital. On investit pour gagner de l’argent.

En effet, dans le système, tout capital qui n’est pas mis en valeur et ne réalise pas assez de profit, est déclassé, dévalorisé, mis au rebus, mis en faillite.

Sous la contrainte du profit

La contrainte du profit est la loi qui gouverne le fonctionnement du système. Plus la masse de profit exigé et nécessaire à la reproduction du capital est importante, plus le taux de profit exigé est élevé, et plus le système doit sécréter du profit, du surproduit, s’attribuer la plus grande part de la valeur ajoutée.

Il n’y a qu’un homme politique en France qui aborde encore ces questions, même s’il n’y comprend rien, c’est Mélenchon. Il a hérité de quelques bribes de pensée théorique de l’extrême-gauche, comme par exemple les travaux de Daniel Bensaïd, et parle de temps à autre des licenciements du CAC 40. Hélas, il ne développe pas.

Je vais le faire pour lui.

Quand on parle de licenciements du CAC 40, on parle des licenciements boursiers. Les licenciements boursiers, ce sont ces licenciements qui sont opérés par les patrons du CAC 40 pour faire plaisir à leurs actionnaires et toucher leurs bonus, licenciements qui permettent d’augmenter la part de la valeur ajoutée qui revient au capital, les dividendes, les bénéficies par action, et de maximiser la fortune des détenteurs du capital sur le marché financier.

Cette chaîne complète de raisonnement permet de comprendre l’importance économique de la progression astronomique de la masse de capital.

Celle-ci oblige à un certain nombre de mesures pour assurer le taux de profit, pour, comme on dit « délivrer » au capital les profits qu’il attend. Des mesures qui passent par la surexploitation des salariés, l’assouplissement des échines, la limitation des investissements à ceux qui réalisent le taux de profit minimum exigé, le développement de l’effet de levier, les rachats d’action, etc.

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