Ville paisible et prospère aujourd’hui, Amsterdam fut jadis le cœur battant d’un empire commercial, d’un laboratoire d’idées et d’innovations… mais aussi le théâtre de l’une des premières bulles spéculatives de l’histoire.
Sur le chemin du retour d’Argentine, nous nous sommes arrêtés à Amsterdam. C’était la première fois que vous visitions cette ville. C’est la fin du printemps en Europe. Froid et pluvieux à notre arrivée, le temps s’est mis au beau le week-end.
A chacun son heure de gloire. La République néerlandaise, précurseur des Pays-Bas d’aujourd’hui, a connu la sienne au milieu du XVIIe siècle. Séparée de l’Empire espagnol en 1579, elle est rapidement devenue la nation la plus riche du monde, bâtissant son propre empire.
Aujourd’hui, le pays demeure prospère… et attrayant. Tout est propre et bien entretenu –- les routes, les bâtiments, les usines. Même les fermes sont exceptionnellement ordonnées. Il s’agit d’un petit pays, si bien qu’il y a peu d’espace perdu, les champs cultivés étant proches des lotissements, des villes et des usines.
L’une des premières choses que l’on remarque est l’absence de bruit. La plupart des voitures sont garées le long des rues verdoyantes. Et les rares qui roulent sont silencieuses. Elles sont presque toutes électriques. Les gens se déplacent à vélo… par millions. Le son le plus fort que l’on entend est celui des sonnettes de vélo, qui vous avertissent de quitter la piste cyclable sous peine d’être renversé. De nombreux deux-roues sont également électriques. Ce pays plat leur est parfaitement adapté.
Nous avons également découvert plusieurs types de petits véhicules électriques, inédits ailleurs. Ils sont si courts qu’ils se garent perpendiculairement au trottoir… et si discrets qu’ils semblent parfaitement conçus pour la conduite urbaine.
Même les quartiers résidentiels les plus tranquilles sont remplis de restaurants, de cafés et de boutiques. L’ensemble dégage une impression d’élégance paisible et de confort urbain. C’est un endroit où il fait bon vivre : on sort de chez soi, et l’on trouve à quelques pas de quoi se restaurer agréablement.
Nous n’avons pas visité le Rijksmuseum. Nous n’aimons pas les files d’attente, et celle pour acheter un billet n’a fait que confirmer notre décision. Apparemment, nous n’avons pas manqué grand-chose.
« Le Rijksmuseum est terrible, nous a confié un visiteur, visiblement averti. C’est bondé… bruyant. Il y a bien de grandes œuvres du Siècle d’or – Vermeer, Rembrandt, etc. – mais elles sont littéralement assiégées par des hordes de touristes… accompagnées de guides vociférants, en train de déclamer commentaires et opinions. Mieux vaut sans doute y aller en hiver. »
Nous avons préféré prendre un taxi jusqu’à La Haye pour visiter le musée Mauritshuis, plus calme et entièrement consacré aux maîtres hollandais.
« Les gens de La Haye sont plus sympathiques que ceux d’Amsterdam », nous glissa notre chauffeur, lui-même résident de la ville.
Mais là encore, nous avons bien failli rester à la porte… « Vous n’avez pas réservé ? Je suis désolé, le musée est complet », nous annonça un grand blond mince. Puis, après avoir échangé quelques mots dans un talkie-walkie : « Attendez… c’est bon, vous pouvez entrer. »
Il s’agit d’un grand hôtel particulier qui a été transformé en musée. Ce qui nous a surpris, c’est le nombre d’œuvres de maîtres hollandais qui s’y trouvent et leur qualité. Bien sûr, de nombreux tableaux sont connus dans le monde entier. Mais le visiteur n’en est pas moins impressionné : leur niveau d’expertise – la façon dont ils capturent la lumière et l’ombre, les expressions faciales et raconter des histoires – est extraordinaire.
Que faut-il pour connaître un « âge d’or » ?
La Lydie antique a eu le sien, rendant son roi « aussi riche que Crésus ». La Grèce aussi a brillé, jusqu’à ce qu’Athènes rompe les échanges avec Sparte et déclenche la guerre du Péloponnèse. Hollywood a vécu son âge d’or entre les années 1920 et 1960. Les âges d’or, comme les empires… et les rhumes, vont et viennent.
Avec seulement 1,5 million d’habitants et une superficie minuscule, la République néerlandaise a pourtant prospéré grâce au commerce. Elle achetait, revendait. S’est-elle fait « arnaquer » par ses partenaires ? L’idée semble absurde. Si les marchands hollandais s’étaient sentis floués, ils auraient cessé de commercer !
Ce n’est pas le seul libre-échange qui a enrichi les Provinces-Unies. La liberté de religion et la liberté de circulation y ont également joué un rôle essentiel. Juifs d’Espagne et du Portugal, protestants de France, penseurs et inventeurs venus de toute l’Europe ont trouvé refuge dans la République néerlandaise. Descartes, Bayle, Locke, Spinoza… tous y ont trouvé un abri. Ces nouveaux arrivants ont apporté avec eux des idées et du capital.
De nouveaux produits ont également fait leur apparition. Au XVIIe siècle, les routes commerciales s’étendent vers l’Afrique, l’Asie et les Amériques. On ramène du tabac, des tomates, des pommes de terre et bien d’autres denrées alors inconnues en Europe. Avec ces importations et cette immigration, Amsterdam devient ce que la Nouvelle-Amsterdam – future New York – incarnera plus tard : un creuset dynamique.
Mais aucun de ces apports ne causa un effet comparable à celui d’une simple plante venue de l’Empire ottoman : la tulipe. Elle séduisit non seulement les jardiniers, mais aussi les investisseurs. L’une des grandes innovations néerlandaises fut en effet la création de marchés à terme : on pouvait parier sur l’avenir… utiliser les marchés non seulement pour fixer les prix d’aujourd’hui, mais aussi ceux attendus demain.
Généralement, les tulipes fleurissaient au printemps ; le bulbe était ensuite déterré et conservé. Pendant l’automne et l’hiver, il restait en terre – c’était l’actif « sous-jacent ». Mais les échanges, eux, se faisaient sur le papier. Les prix de certains bulbes rares, comme le Semper Augustus, flambèrent.
Les acheteurs empruntaient souvent en mettant en gage d’autres bulbes, eux aussi sur papier. Ainsi naquit une forme primitive de spéculation : on pouvait s’enrichir en échangeant des choses que l’on ne verrait jamais. Les prix montaient, portés par l’espoir.
Jusqu’à ce que l’avenir finisse par arriver.
En février 1637, une vente aux enchères est organisée. Cette fois, aucun acheteur ne se présente. La rumeur enfle : plus personne ne veut des bulbes. Les prix s’effondrent. Les promesses ne sont pas tenues. Les prêts ne sont pas remboursés. Les contrats sont déchirés. Les bulbes – les objets réels – sont toujours là. Mais la richesse, elle, n’était que papier… et s’est évaporée.
« L’âge d’or » néerlandais s’est poursuivi pourtant pendant encore 65 ans, jusqu’à la mort du prince Guillaume III en 1702.
C’est du moins ce l’on dit.