La Chronique Agora

Quand l’amour pour l’innovation législative flingue nos entreprises

Aujourd’hui, nous en venons à la forme ultime que prend la lutte anticapitaliste, à savoir les immixtions toujours plus poussées des autorités publiques dans le monde de l’entreprise.

L’une des particularités de nos politiciens nationaux est qu’ils sont très friands d’innovation législative. L’une de leur faiblesse est de s’imaginer que leurs idées sont forcément bonnes et seront reprises à l’international. Or n’est pas Maurice Lauré qui veut…

Grande première mondiale n°1 : les entrepreneurs français sommés de justifier leur raison d’être auprès de l’administration

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de cette grande idée macronienne qui consiste, au travers de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), à modifier l’article 1833 du Code civil.

Avant la ratification de la loi, cet article disposait que « la société doit avoir un objet licite et est constituée dans l’intérêt commun des associés ». Rien de très original.

Désormais, il énonce également que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Tel une prof de quartier qui se retrouve en même temps assistante sociale, flic, infirmière et maman, l’entrepreneur va donc bientôt être contraint de se démultiplier pour faire encore plus dans le social et dans l’environnemental.

Comme l’expliquait Bruno Le Maire au mois de mars, « le rôle de l’entreprise ne peut pas se limiter à la création de profits. C’est une condition nécessaire mais insuffisante ». 

Voici la reformulation de septembre, après que la conceptualisation du « capitalisme fou » soit passée par là :

Comme le relève Daniel Tourre, ce genre de sottises n’avait même pas traversé l’esprit du Parti socialiste lorsqu’il était à son apogée.

Voilà, c’est ça, la grande nouveauté qui va permettre à la France version « start-up nation » de s’imposer à la « pointe de la redéfinition du capitalisme ». Encore une splendide idée française qui ne sera reprise nulle part ailleurs.

Reste bien sûr la question à laquelle aucune réponse n’a encore été proposée :

Ma réponse tient en une affiche de film :

Pour ceux qui seraient intéressés par quelque chose de plus approfondi, je ne peux que recommander ce très bon bouquin qui vient de sortir chez Larousse…

Bref, cette splendide complexification ainsi achevée, l’exécutif a pu retourner vaquer à ses occupations, c’est-à-dire s’occuper de choses qui ne le regardent ni de près ni de loin.

Grande première mondiale n°2 : l’interdiction de la destruction des invendus non alimentaires

Seconde innovation de notre gouvernement de choc : les entreprises vont bientôt être légalement contraintes de donner ou de recycler (s’imagine le gouvernement) leurs produits invendus non-alimentaires tels que les vêtements, l’électroménager, les produits d’hygiène ou encore de beauté.

Le gouvernement veut lutter contre le drame de ces 650 millions d’euros de produits non-alimentaires neufs et non périssables qui sont jetés ou détruits chaque année sur le sol français.

Edouard Philippe a déclaré :

« C’est un gaspillage qui choque l’entendement, [qui est] scandaleux. […] Nous pensons que le recyclage, l’économie circulaire, sont des éléments indispensables pour être à la hauteur des enjeux liés au développement durable, à la protection de notre climat et de la biodiversité. »

Le ministre veut donc légiférer, et légiférer en France, cela veut bien sûr dire interdire. Cette nouvelle prohibition devrait être progressivement appliquée entre fin 2021 et 2023.

Brune Poirson est naturellement de la partie en tant que secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique. Comme en témoignent ses innombrables envolées lyriques, c’est le cœur qui commande l’action chez cette dame, elle aussi très sensible devant les situations qui choquent son entendement.

Voici la déclaration qui m’a le plus amusé – elle vient d’Edouard Philippe, qui noie le poisson :

« Notre idée, ce n’est pas de contraindre ou d’imposer, mais d’accompagner les entreprises dans la gestion de leurs stocks, de leur production, du recyclage de leurs produits, […] faire en sorte que nous passions à une étape nouvelle de notre fonctionnement économique. »

Récapitulons : non content de régenter votre vie d’individu du berceau jusqu’au cercueil, l’Etat veut désormais répliquer cette tutelle à l’égard des entreprises.

Plus de trois siècles après le décès de Louis XIV qui voulait « aider » le chef des armateurs de Saint-Malo, la leçon n’est toujours pas sue par les autorités publiques. Elle n’est pourtant guère difficile à retenir :  

« Sire, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés. »

Alors comme d’habitude, il vaut mieux en rire qu’en pleurer :

Certains twittos se sont également permis de rappeler quelques évidences dans ce nouvel épisode de la lutte du camp du bien contre les méchants capitalistes :

De son côté, le blogueur H16 rappelle une chose cruciale :

« La vente à perte, la destruction d’invendus sont des étapes indispensables pour la formation d’un prix. C’est par ces mécanismes que la concurrence s’établit, que le marché reconnaît ce qui est nécessaire (i.e. là où le capital financier peut être investi) de ce qui est superflu (i.e. là où le capital n’aurait pas dû aller).  

C’est par la destruction de ce capital mal investi qu’on peut prendre l’exacte mesure de l’erreur commise. C’est aussi ce qui donne la valeur à ce qui a été effectivement vendu en adaptant la quantité finalement disponible aux prix effectivement négociés. » 

En d’autres termes, si certaines entreprises décident de ne pas brader leurs invendus et encore moins de les donner, c’est dû au fait que leur pouvoir de marque s’en trouverait ainsi assassiné.

Comme l’explique H16 :

« Donner systématiquement ses invendus, c’est offrir la possibilité au client d’arbitrer sa consommation dans le temps : consommation immédiate mais payante, ou repoussée et gratuite… Pour beaucoup de biens non-alimentaires, le calcul est vite fait. »

Une fois de plus, la lutte contre les méchancetés menée par nos sensibles ministres n’aboutira à rien de positif. Elle ne manquera cependant pas d’entraîner de nombreux effets pervers.

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