Embargos, surtaxes, dégringolade des semi-conducteurs : Washington met le feu, Pékin prépare la riposte. Et les investisseurs trinquent.
Wall Street avait connu le mois de mars le plus pourri depuis 2020, ce sera cette fois le mois d’avril le plus pourri depuis 2022.
Les indices US ont rechuté lourdement en cette veille des « 3 sorcières » : le Nasdaq a en effet perdu jusqu’à -4,4 %, le S&P 500 jusqu’à -3,5 % et le Dow Jones -2,5 % en séance ; le repli dépasse les -3,9 % pour l’indice « SOXX » des semi-conducteurs.
Le Nasdaq affiche de nouveau -20 % par rapport aux 19 et 20 février, et retombe en territoire de correction ; cela donne le sentiment que tous les ingrédients sont réunis pour qu’une seconde vague de baisse (de 15 % à 20 %) s’enclenche au cours des prochaines semaines.
C’est à croire que Donald Trump et Scott Bessent (son secrétaire au Trésor) font tout pour convaincre Wall Street que « toute résistance est inutile », parce qu’ils se fichent bien de voir les indices boursiers partir en vrille. Les traders et les asset managers s’en sont mis plein les poches durant des années grâce à la planche à billets, mais la fête est finie.
Oubliez le Nasdaq à 25 000 et le Dow Jones à 50 000 points pour la fin de l’année ; oubliez le « Put Fed », il n’est pas pour tout de suite.
Et il faut croire que Jerome Powell a décidé de donner raison à Donald Trump, car son speech de mercredi soir devant l’Economic Club of Chicago a littéralement douché Wall Street, pour la seconde fois en dix jours.
Il a réaffirmé – tout comme le 4 avril dernier – que la Fed devait se tenir prête à combattre une inflation plus élevée, provoquée par la hausse des droits de douane à des niveaux imprévus. Et si la Fed redoute un ralentissement de la croissance, sa priorité reste de contenir la hausse des prix… Donc, le « Put Fed » va rester au fond du coffre, et on se demande si Jerome Powell n’a pas délibérément oublié la combinaison (ou jeté la clé du cadenas).
Il ne pouvait pas choisir un plus mauvais moment pour contrarier les marchés : Donald Trump venait de dégainer l’arme des embargos mardi soir (sur les GPU de dernière génération de Nvidia ou les puces haute performance d’AMD à destination de la Chine).
Il a surenchéri ce mercredi avec une surtaxe de 100 % des importations chinoises : le « tarif » est propulsé à 245 %, ce qui n’a évidemment plus aucun sens (et n’en avait déjà plus aucun à 54 %).
C’est simplement pour maintenir la pression sur Pékin, et signifier aux multinationales américaines qui ont massivement délocalisé là-bas, qu’il mène bel et bien une guerre à outrance au système tel qu’il fonctionne depuis les années 1990.
Il espère faire d’une pierre deux coups en forçant les entreprises du S&P 500 à recréer de l’emploi (bien rémunéré) aux Etats-Unis, puis à faire venir la Chine à la table des négociations en position de faiblesse pour refondre – à sa façon – les règles commerciales entre les deux pays.
Mais c’est un pari risqué : Xi Jinping a rappelé que son pays ne se laissera pas intimider et qu’il doit être traité avec respect.
Et 245 % de « tarifs », c’est tout l’inverse : c’est un camouflet.
Et pendant que Trump fait grimper les enchères et dégringoler les stars de la tech américaine, la Fed ne bouge pas le petit doigt, et continue de compter les points.
Et il ne s’agit pas que de milliers de milliards perdus – parfois en quelques heures – par Wall Street : c’est également le chaos sur les T-Bonds, un domaine dans lequel Jerome Powell fait figure de statue du Commandeur et de chef d’orchestre.
A aucun moment depuis son entrée en fonction en janvier 2018, il n’avait laissé les investisseurs subir des pertes massives sans intervenir, ni donné le sentiment d’avoir aussi peu de prise sur les événements.
Et cela, c’est une énorme nouveauté – et pas des plus rassurantes –, car même mi-septembre 2008, entre la faillite de Lehman et l’effondrement d’AIG (5 fois la taille de Lehman), c’est la Fed qui convoquait les uns et les autres, distribuait les tâches, supervisait les fusions, vérifiait que la planche à billets était en mesure de tourner à plein régime.
Là, elle donne le sentiment d’être avant tout spectatrice : les dizaines de milliards de Bonds liquidés depuis les annonces de Trump du 4 avril proviendraient – au moins pour partie – du stock de 760 milliards de bons du Trésor détenus par la Chine.
Il faut reconnaître que la Fed n’a aucun moyen de l’empêcher, et que c’est bien à Donald Trump de régler un problème dont il est de façon totalement assumée à l’origine.
Signalons au passage que Pékin demande aux touristes chinois de reconsidérer tout projet de voyage vers les Etats-Unis… tandis qu’Apple a fait décoller il y a une semaine des gros porteurs de Chine bourrés de centaines de milliers d’iPhone en direction des Etats-Unis avant la deadline de minuit.
Donc, la Chine met un embargo sur les « Boeing » et refuse la livraison des appareils commandés tandis que des compagnies chinoises commencent à revendre leur flotte d’avions américains détenus depuis 10 ans. Si rien ne bouge, ce sont des milliers d’appareils que l’avionneur va devoir renoncer à vendre à ces mêmes compagnies au cours des prochaines décennies.
Il apparaît peu probable que le boycott chinois dure plus de quelques mois. Mais si tel était le cas, ce sont les exportations américaines qui voleraient bas !