Les banques ont longtemps empiété sur les plates-bandes de sociétés opérant dans d’autres secteurs. Aujourd’hui, elles voient leur pré carré assiégé de toutes parts. Dernier venu : Amazon.
Si l’on prend en compte la clientèle de Compte-Nickel, N26, Revolut, C-Zam, Carrefour Banque et Orange Bank, ce sont au bas mot 1,5 million de clients qui sont infidèles à leur banque traditionnelle et qui ont décidé de vivre leur vie sans elle.
Le troupeau poursuit sa transhumance vers la concurrence…
Selon le cabinet Next Content, 53% des Français étaient prêts au mois de décembre à passer chez une banque en ligne s’il leur fallait changer de banque principale.
Parmi les freins à ce changement, c’est l’absence de conseiller référent qui arrive en tête (à 54%), suivi de près par l’absence d’agence physique (à 47%). Voilà pour les avantages que conservent (pour le moment) les banques traditionnelles dans l’esprit des Français.
Eh oui, « pour le moment », car les Français sont 8% de plus que l’année passée à avoir déclaré être prêts à franchir le Rubicon de la banque en ligne en tant que banque principale (ils n’étaient que 45% il y a un an).
Sans surprise, ce sont les jeunes qui mènent la marche vers les banques en ligne. Mais toutes classes d’âge confondues, la raison numéro une de ce mouvement est limpide : trop de frais chez les banques traditionnelles (à plus de 68%) !
Doucement mais sûrement, les vaches à lait du système bancaire migrent des arides pâturages traditionnels aux verts pâturages numériques.
Les grands groupes bancaires réagissent en incitant leurs clients à gérer eux-mêmes leurs opérations en ligne. C’est ce que révèlent les relevés 2018 de l’Observatoire des tarifs bancaires, que cBanque commente ainsi :
« L’écart de prix entre les opérations en agence et en ligne va croissant. […] 85 banques sur les 112 […] ne font pas payer la gestion des comptes en ligne. »
En somme, les clients les moins en phase avec l’informatique continueront d’être traits jusqu’au jour où leurs héritiers contacteront leur conseiller bancaire pour transmettre un certificat de décès.
Pendant ce temps-là, d’autres acteurs avancent sur des créneaux qui étaient l’apanage des banques traditionnelles il n’y a encore pas si longtemps. Dernièrement, c’est Amazon qui a beaucoup fait parler d’elle, et ce pour bien des raisons !
Amazon à l’assaut des commissions sur les règlements par carte
La nouvelle, tombée début mars dans le Wall Street Journal, a dû faire frémir les patrons de banque : Amazon, le mastodonte du commerce de détail, pourrait bientôt se lancer dans les services bancaires avec un compte courant à destination des jeunes et des personnes n’en disposant pas. JPMorgan et Capital One figurent parmi les grands noms qui auraient été approchés par Jeff Bezos en vue d’un partenariat.
Plutôt que de demander une licence bancaire, la mise en place d’une alliance avec une banque ayant pignon sur rue permettrait à Amazon de s’affranchir des contraintes prudentielles imposées aux établissements de crédit. Voilà ce qui serait dans les tuyaux, en tout cas pour commencer.
Un banquier peut-il dire non à Amazon ? Dans ce genre de situation, coopérer permet de gagner du temps avant d’être laminé.
La firme de Seattle poursuit donc son offensive dans le secteur financier, elle qui propose déjà depuis 2011 une offre de prêt aux PME qui recourent à sa place de marché, ainsi qu’une carte Visa gratuite (depuis un an) à ses clients américains abonnés à son service Prime.
La Tribune rapporte que l’objectif à court terme est de « réaliser d’importantes économies sur les transactions (les commissions d’interchange payées par les commerçants à chaque règlement par carte) ».
Le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company a chiffré à 250 M$ le montant de l’économie annuelle qui en résulterait pour les seuls Etats-Unis, sur la base d’une hypothèse de 15% des clients Amazon qui recourraient directement à leur compte courant Amazon pour régler leurs achats sur la plateforme.
Mais le constat ne s’arrête pas là. Les experts de Bain & Company relèvent en effet que grâce au très haut niveau de connaissance qu’elle a de ses clients et à la qualité de l’expérience client qu’elle propose, Amazon est la mieux placée des GAFAM pour défier le secteur bancaire.
Ainsi, l’entreprise pourrait bien se révéler un véritable game changer. Bain & Company table sur un potentiel de 70 millions de clients américains sous cinq ans, soit « autant que Wells Fargo, la troisième banque de détail américaine » !
Une colonisation ?
Si c’est bien sur cette voie que s’oriente Amazon, rien n’empêchera la firme d’obtenir à terme une licence bancaire et de finir par proposer sans intermédiaire tout le panel de services financiers qu’offre une banque traditionnelle.
C’est déjà le cas d’Ant Financial, la filiale financière du géant chinois du commerce en ligne Alibaba. Avec son application de gestion de patrimoine, sa banque en ligne pour PME et son service d’analyse risque crédit, elle « est d’ores et déjà la première Fintech au monde », comme le relève Delphine Cuny dans La Tribune.
Il ne s’agit donc pas d’un feu de paille mais bien d’une tendance de fond. Sur une infographie réalisée par L’Usine digitale, vous pourrez constater où en sont Amazon, Apple, Facebook, Google, Alibaba, Baidu, Tencent et consorts au niveau du développement de leurs services financiers respectifs.
Laurent Alexandre, l’auteur spécialiste des nouvelles technologies, parle quant à lui de « colonisation »…
Ce que je viens de vous raconter n’a pas été anticipé par tout le monde, semble-t-il…
Je n’ai même pas développé le fait qu’Amazon recherche un responsable pour diriger son tout nouveau département de prêt hypothécaire aux Etats-Unis. Pas plus que je n’ai abordé le projet de coentreprise, rendu public au mois de janvier, entre Amazon, Berkshire Hathaway et JPMorgan, qui vise à diminuer les coûts d’assurance maladie de leurs employés respectifs !
Nous y reviendrons mais sachez que des chantiers dépassant l’univers bancaire sont déjà dans les tuyaux…