La Chronique Agora

Amateurs de sensations fortes, en voiture !

** Faut-il y croire ou pas ? Il y a-t-il un piège ? Faut-il enclencher le turbo ?

Beaucoup d’investisseurs se posent la question… et nos lecteurs s’attendent à ce que nous leurs proposions des éléments de réponse car, à l’évidence, les marchés sont parvenus à un tournant. Certains diront qu’il s’agit d’un véritable tête à queue, lié à une vitesse baissière excessive depuis le début du deuxième semestre 2008.

Dans l’hypothèse la plus favorable, la "main invisible" qui pilote les indices boursiers comme un enfant capricieux ses petites voitures télécommandées vient de leur faire effectuer un demi-tour comme si le mouvement de correction était arrivé en bout de circuit. Dans ce cas, le crissement de pneus dû au freinage à l’approche des 4 000 points à Paris — et des 1 200 points sur le S&P 500 — devrait préfigurer un redémarrage en trombe vers les tribunes situées à mi-chemin de la grande ligne droite entre les bornes 5 140 points et 4 002 points.

Le bolide haussier vient d’enclencher la cinquième vitesse en moins de 48 heures et affiche déjà une vitesse de croisière de +225 points au compteur. Même s’il carbure en surrégime et doit faire un arrêt au stand, cela pourrait nous situer le CAC 40 vers 4 550/4 570 points, ce qui serait un score honorable et justifierait une petite mise "pour la forme" : un gain de 300 points supplémentaires, cela ouvre de belles perspectives !

Mais il y a une autre hypothèse : la "main invisible" affectionne l’ambiance "rallye de l’Acropole", les routes caillouteuses et poussiéreuses — ça dérape à tout bout de champ et, lorsque le vent souffle, la visibilité est quasi-nulle. Dans le cas qui nous occupe, le CAC 40 vient alors simplement de s’engager dans une épingle à cheveux et il repartira à la baisse dès le prochain virage — qui pourrait se situer au niveau de la borne kilométrique 4 340 points ou 4 430 points, car le balisage du parcours se mesure au mètre près chez les champions.

** Si nous suivons jusqu’au bout la logique de notre allégorie, le débat entre "circuit de F1" et "course de côtes" sera vite tranché. Regardez un graphique du CAC 40 sur la période partant du 19 mai (5 140 points en clôture) jusqu’au 15 juillet (4 060 points également en clôture) : l’indice nous a fait un "tout droit" façon grand prix de Formule 1.

Après le passage du virage en épingle (orienté plein sud) qui se négocie les deux pieds sur la pédale de frein, les bolides repartent dans l’autre sens (direction plein nord) durant un bon demi-kilomètre (disons 500 points s’agissant du CAC 40), ce qui laisse un peu de temps pour faire grimper le moteur à son régime de rendement maximum avant de décélérer.

Nous ne sommes jamais à l’abri d’une flaque d’huile ou d’un débris sur la piste. Une sortie de route à caractère accidentel est toujours possible mais, en se montrant suffisamment vigilant, "ça devrait passer". Nous miserons donc sur la poursuite du rebond des indices boursiers (+6% ou +7% supplémentaires), tout en gardant un oeil sur le prix du pétrole : le coût du carburant, aujourd’hui, cela compte… même si nous ne redoutons plus la panne sèche.

Si l’hypothèse de la reprise en "V" (comme dans vitesse et vélocité) est la bonne, alors cela démarre plutôt bien. Paris clôture sur un gain de 2,76%, dans un très gros volume (7,8 milliards d’euros). Cela trahit des rachats massifs de ventes à découvert sur nombre de dossiers victimes d’un phénomène de spirale baissière qui débouche sur des niveaux de valorisation parfois absurdes. Saint-Gobain a ainsi repris 9% après une perte annuelle de 50,5%.

** Le CAC 40 a clôturé hier à proximité de ses meilleurs niveaux du jour : l’indice affichait 3% vers 15h45 et se hissait vers 4 250 points. Il a juste raté le passage d’une vitesse vers 16h30 mais s’est bien rattrapé en profitant de l’aspiration de Wall Street à partir de 17h15.

Les places européennes gagnent 2,6% en moyenne, grâce surtout au titre Nokia qui bondit de 8%. On peut cependant noter quelques disparités : si Madrid gagne 3,15%, Milan se contentait de 1,62% — les Ferrari ont été victimes de petits problèmes de réglages.

Outre-Atlantique, après quelques ratés durant le tour de chauffe (la première heure de cotations sur le NYSE), le S&P et le Dow ont retrouvé la bonne carburation. La puissance des huit cylindres (spécialité mécanique américaine) pouvait de nouveau s’exprimer ; les deux indices prolongeaient le rally haussier de la veille avec des gains de 1,85% sur le Dow, le S&P 500 et le Nasdaq progressant plus modestement de 1,20%.

Le démarrage timide de Wall Street demeure porteur d’espoir. Les opérateurs américains n’ont guère manifesté d’enthousiasme malgré la bonne surprise que constituait le rebond de 9,1% des mises en chantier au mois de juin aux Etats-Unis — le recul avait été de 3,3% en mai. Les permis de construire ont également progressé plus fortement que prévu de 11,6% après -1,3% au mois de mai.

Les marchés américains n’ont pas vraiment enclenché le turbo en cette veille de week-end mais des hausses de 30% à 35% sur des valeurs bancaires ou des compagnies aériennes lors de la seule séance de mercredi laissaient présager des runs (accélérations) indiciels qui pourraient s’apparenter à une course de dragster.

En outre, J.P. Morgan Chase (+13,9%) a rassuré en dévoilant un bénéfice net trimestriel de deux milliards de dollars, en repli de 55% d’une année sur l’autre, mais supérieur aux attentes du marché après la prise en compte du rachat de Bear Stearns.

** L’indice de la Fed de Philadelphie a cependant mis un bémol à cette euphorie. Il s’établit à -16,3 ce mois-ci, contre -17,1 en juin. A titre de comparaison, les économistes attendaient un indice autour de -15. Ce chiffre indique une nouvelle contraction de l’activité industrielle sur la côte est des Etats-Unis en juillet. Cependant, le FMI revoit fortement à la hausse ses prévisions de croissance outre-Atlantique pour 2008, de 0,5% à 1,3% — et de 1,4% à 1,7% dans la Zone euro.

Résultat immédiat, après une chute de 10% en trois jours, le cours du baril brut rebondissait de 2% à New York, à 136 $.

Mais Wall Street ne s’en est guère ému : les valeurs parapétrolières ont poursuivi leur consolidation avec -5% en moyenne pour Peabody, XTO Energy ou Murphy Oil.

Le principal se situe plutôt du côté des trimestriels. Google perdait jeudi soir plus de 10% en transactions hors séance (après une clôture stable). Le groupe a dévoilé un bénéfice de 1,25 milliard de dollars, soit 4,63 $ de profit par titre, inférieur de 2% au consensus de 4,72 $.

Peu après la clôture, Microsoft annonçait également des résultats inférieurs aux attentes : 46 cents par titre au lieu des 0,49 anticipés, pour un chiffre d’affaire trimestriels de 15,84 milliards de dollars mais qui est susceptible de se contracter à 14,65 milliards de dollars au troisième trimestre 2008.

Cette prudence de la direction de Microsoft a déçu les analystes : le titre chutait de 4,5% à 5% après le communiqué — et après +1% en séance.

** Une petite pause des indices américains aujourd’hui, loin de compromettre les chances de poursuite du rally haussier, permettrait à la mécanique de ne pas s’emballer. Les rachats de positions à découvert sont montés un peu trop vite dans les tours et une averse de résultats — souvent éloignés du consensus — risque de rendre la chaussée glissante.

Nous aimons les sensations fortes et le pilotage sur le fil, pas les dérapages incontrôlés.

Philippe Béchade,
Paris

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