La Chronique Agora

L’Allemagne signera-t-elle la fin de l’euro dans la crise de la dette souveraine ?

▪ Nous ne sommes pas fan du monétariste Milton Friedman, dont les théories ultra-libérales sont responsables d’une série de catastrophes économiques en Amérique du Sud dans les années 80. Toutefois, nous devons reconnaître que nous partageons au moins une de ses opinions depuis l’origine de l’Eurozone en 1999 : « l’euro sera une grande source de problèmes et ne sera d’aucun secours en cas de difficulté ».

Nous le rejoignons également lorsqu’il affirmait que « l’euro ne survivra pas à la première récession »… et il ne parlait pas, à l’époque, de crise de la dette souveraine.

Milton Friedman — bien instruit de la catastrophe argentine à laquelle il avait largement concouru en plaidant pour l’arrimage du peso au dollar — avait compris dès 1992 que la création de l’euro, voulue par François Mitterrand pour contrebalancer la puissance de l’Allemagne réunifiée, donnerait naissance à un euro-mark, et que la BCE ne serait qu’une émanation, un ersatz de la Bundesbank.

La monnaie unique a effectivement été taillée sur mesure pour asseoir la suprématie du modèle allemand. Rappelons qu’il implique une politique de désinflation compétitive, de contrôle des salaires et des dépenses sociales, de promotion d’une industrie de pointe à forte valeur ajoutée, une condition indispensable pour supporter les effets négatifs d’une devise forte — un impératif né du traumatisme de l’hyperinflation de l’après-Weimar.

Il existe peu d’exemples sur la planète d’économies fortement tournées vers les exportations qui aient réussi à conserver une balance commerciale fortement excédentaire. Cela alors que des devises de premier plan comme le dollar, la livre sterling ou le yen reflétaient symétriquement une politique quasi permanente de dévaluation compétitive.

Comment l’euro, la monnaie d’un ensemble géopolitique aussi hétérogène, avec des écarts de revenu par habitant allant du simple au double du nord au sud, pouvait-il convenir à 16 pays… dont deux seulement dégagent encore à ce jour des excédents commerciaux (et le Luxembourg n’est qu’un îlot de prospérité lié à son statut fiscal particulier, pas à son outil industriel) ?

▪ L’Allemagne a bien compris comment s’articulait la spécialisation économique du futur ensemble européen. Elle a intégré les avantages immenses qu’elle pourrait en tirer et s’est développée en grande partie sur les dos des autres pays de l’Union européenne, ses principaux clients — auxquels elle n’achète pratiquement rien, sinon quelques semaines au soleil et un peu de denrées agricoles.

Ses partenaires étaient dès l’origine condamnés à devenir des vaincus en termes de déficit commercial et de croissance économique. Parallèlement, ils ont assisté à la destruction définitive de pans entiers de leur tissu industriel, faute d’une devise capable de compenser, lors des phases critiques, les écarts de compétitivité.

La spirale de l’échec est connue : fermetures d’entreprises, chômage, explosion des déficits des systèmes sociaux, accroissement des dettes, tension des taux, chute du PIB, gel des investissements, fuite des capitaux, faillite, chaos social.

En ce qui concerne la Grèce et le Portugal, Bruxelles et le FMI leur concoctent de surcroît une perte de souveraineté puis le pillage des dernières ressources touristiques et industrielles ayant encore une valeur marchande aux yeux des créanciers-liquidateurs.

Milton Friedman connaît tout cela par coeur. L’Europe du Sud ne fait que revivre la descente aux enfers de l’Argentine, un pays dont la devise — alors arrimée au dollar — était devenue l’une des plus fortes du monde au moment de la création de l’euro (simple caprice du destin). Cela finit d’asphyxier l’économie locale lorsque survinrent les attaques du 11 septembre.

Le billet vert reprit encore plus de hauteur ; l’Argentine n’exportait plus rien mais devait toujours rembourser ses dettes en dollar. Les grandes fortunes locales, comprenant que leur pays ne pouvait s’en sortir par une simple cure d’austérité, exilèrent leurs capitaux vers les Etats-Unis et les paradis fiscaux.

Ce fut la dernière étape avant l’inéluctable faillite (sur fond chaos social) et le désarrimage vis-à-vis du dollar.

▪ Nous avons du mal à trouver aujourd’hui des différences significatives entre le scénario argentin de janvier 2000 à janvier 2002 et celui auquel se retrouve confronté la Grèce depuis décembre 2009 (et nous sommes déjà en juillet 2011).

Ah si, vous avez raison : l’euro lui a accordé un plan de sauvetage de 110 milliards d’euros l’an dernier, et s’apprête à lui en consentir un second de même importance pour tenir jusqu’en 2014. Mais êtes-vous bien certain que cette aide lui sera versée ?

Comment interprétez-vous l’attitude de l’Allemagne qui consiste à faire traîner le processus de sauvetage, alors que la rapidité de sa mise en oeuvre constitue une des conditions premières de son efficacité ?

Sans oublier qu’en plus de l’argent (les Américains considèrent qu’il n’y a qu’à l’imprimer lorsque le besoin s’en fait sentir), les marchés sont surtout sensibles au degré de solidarité dont font preuve les Européens.

Les spéculateurs qui s’attaquent à l’euro font figure de gringalets en comparaison des Goliath que constituent en théorie la BCE et des pays « riches » comme la France et l’Allemagne. Mais à l’image d’une mêlée de rugby, une poignée de Pygmées bien soudés les uns aux autres par les épaules — et dotés des bons crampons — poussent bien plus efficacement qu’une bande de mastards en chaussettes à rayures bleues qui se tiennent par le petit doigt.

Le pack européen dérape, se disperse, certains ont déjà le nez dans le gazon. La psychose de la crise des dettes souveraines franchit un nouveau cran et les marchés envoient aux dirigeants politiques et monétaires européens un nouveau signal de défiance censé les inviter à faire cesser la cacophonie actuelle.

▪ Cela se traduit par une chute de 2% du CAC 40 : c’est sa pire clôture annuelle et la plus mauvaise depuis le 1er décembre 2010. Il en termine très précisément au contact d’un seuil technique très important : les 3 650 points.

Le repli de l’Euro-Stoxx 50 (-1,95%) n’a pas pris la tournure d’une capitulation générale comme une semaine auparavant (-3,5% en début de matinée le 12 juillet). Cependant, le secteur bancaire a bien vécu le même cauchemar, avec des écarts à la baisse qui oscillent entre -3,5% dans le meilleur des cas pour Crédit Agricole, et -5,5% pour la Société Générale, qui plongeait sous les 33 euros.

L’annonce de la tenue d’un sommet européen extraordinaire concernant la dette grecque à partir de jeudi ne suffit pas à rassurer les investisseurs dans la mesure où Angela Merkel a averti que si les solutions étudiées ne convenaient pas à l’Allemagne, elle ne s’y rendrait pas. Autant annuler également cette réunion, comme ce fut déjà le cas jeudi dernier pour exactement le même genre de motifs…

▪ Les taux longs en Espagne et en Italie flirtent ou dépassent les 6% — l’écart de rendement avec les Bunds dépasse les 330 points. Les taux à 10 ans grecs s’envolent vers 17,8%… et les marchés obligataires du sud de l’Europe sont au bord de la crise de nerfs. Certains spécialistes n’hésitent plus à parler de krach, parce que la BCE n’a plus les moyens de s’y opposer seule, comme elle le fit au printemps 2010.

Sur le front des devises, l’euro limite la casse mais demeure sous pression : il s’enfonce de 0,8% vers les 1,404 $. C’est donc sans surprise que nous voyons l’once d’or grimper symétriquement de 0,8% pour inscrire un nouveau record algébrique absolu à 1 608 $/once.

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