** La volatilité devrait rester intense ce vendredi sur les marchés financiers alors que les opérateurs vont mettre la dernière main aux ajustements de position en conclusion du pire mois boursier de ces 75 dernières années. Mois qui a vu des pertes supérieures à 20% à Hong Kong et Tokyo, de 19% sur le S&P 500, de 17% sur l’Euro Stoxx 50 ou de 16% à Paris.
Des écarts mensuels négatifs supérieurs à 33% ont été observés entre les 24 et 27 octobre sur les places asiatiques. Wall Street et l’Eurozone ont vu les indices actions chuter de 25% tandis que certaines devises comme le yen ont enregistré des variations historiques de près de 20% en quelques semaines contre l’euro, le franc suisse ou la livre. Un tel chaos monétaire déstabilise profondément les circuits de financement mondiaux — via le tarissement du carry trade –, au risque de bouleverser de façon catastrophique les grands équilibres commerciaux.
Et ce n’est pas tout : l’effondrement de la valeur de certains actifs (métaux, pétrole, céréales, argent, or ou platine…) a provoqué la faillite de centaines de hedge funds spéculatifs. Plus de 700 d’entre eux pourraient avoir disparu d’ici la fin de l’année car ils ont dû liquider sans condition tout ce qu’ils possédaient en couverture (actions, obligations, contrats à terme…). Cela a provoqué une succession de phases de capitulation de type "1987" des bourses mondiales, victimes d’une série noire sans précédent.
Il n’est guère surprenant d’observer des mouvements de cours convulsifs aussi bien dans les phases de reprise technique que dans les rechutes — parfois inexplicables — qui se succèdent depuis la mi-octobre. Cela ne plaide pas en faveur du retour de la confiance parmi les épargnants américains échaudés par la volatilisation de 50% de la valeur de leur portefeuille boursier, en moins de temps qu’il n’en a fallu à l’utopie ultralibérale pour faire faillite — son ultime triomphe remontant à la mi-octobre 2007.
** La séance du jeudi 30 octobre a parfaitement illustré le syndrome maniaco-dépressif qui caractérise les marchés depuis juillet dernier. Euphorique en début de séance, la bourse de Paris a perdu pied au cours de la dernière demi-heure. Un sursaut de dernière minute lui a cependant permis de terminer non seulement sur une note positive mais également d’aligner une troisième séance de hausse consécutive, ce qui n’était plus arrivé depuis le 26 août dernier — cela fait donc plus de deux mois.
Le CAC 40 préserve ainsi le seuil des 3 400 points après avoir flirté avec les 3 500 points dès l’ouverture puis de nouveau vers 13h45 peu après la publication des chiffres relatifs au PIB américain. Il fallait certes s’attendre à des prises de profit après 500 points gagnés en ligne droite depuis les 27 et 28 octobre. Cependant, la consolidation s’est transformée en trou d’air, de telle sorte que l’indice affichait plus de 2% de baisse à 3 327 points — soit 160 points perdus en l’espace de trois heures de cotations.
Vers 17h25, le CAC 40 cédait encore plus de 0,75% mais, au fixing, Paris repassait dans le vert in extremis (+0,15%). Paris a bénéficié en cela d’un petit coup de pouce de Wall Street qui était fermement orienté à la hausse, ce qui s’est confirmé au fil des heures avec des gains de 2% à 2,5% en clôture. Londres et Milan gagnaient quant à eux 1,15%), Madrid 2% et Francfort 1,2%.
Le chiffre le plus attendu hier était le PIB des Etats-Unis et a été plutôt une bonne surprise. Il n’aurait en effet reculé que de 0,3% au troisième trimestre en rythme annualisé, selon les données du département du Commerce.
Par ailleurs, et cela tient pratiquement du miracle, les inscriptions hebdomadaires au chômage sont restées inchangées (à 479 000) la semaine dernière aux États-Unis, selon les chiffres publiés jeudi par le département du Travail.
** Comme anticipé, la Fed a abaissé mercredi soir ses taux de 50 points de base et a laissé entendre qu’elle pourrait poursuivre sur sa lancée si la conjoncture continuait de piquer du nez. Et c’est ce qu’elle ne manquera pas de faire après que les consommateurs américains ont rendu — ou se soient fait confisquer — la moitié des cartes de crédit. Leur accumulation fait ressembler n’importe quel portefeuille — vu de profil — à un double cheeseburger sortant du micro-ondes.
La BCE devrait à son tour annoncer une baisse de son taux directeur de 50 points de base le 6 novembre prochain, le ramenant à 3,25%. Cette décision risque cependant de passer quelque peu inaperçue, 48 heures après l’élection du 44ème président des Etats-Unis. Quoique J.C. Trichet envisage de faire, ce sont les Etats-Unis qui reprendront la main en matière de politique économique, au moins jusqu’à la mi-janvier prochain.
** Avec ou sans baisse de taux supplémentaire, l’Europe reste tributaire de la matérialisation d’un "état de grâce" que beaucoup d’investisseurs anticipent au lendemain de la soirée présidentielle du 4 novembre, laquelle conclura la campagne électorale la plus coûteuse de l’histoire des démocraties.
Ce sont pas moins de deux milliards de dollars qui ont été dépensés par les deux candidats dans les médias, le plus souvent pour discréditer l’adversaire plutôt que pour présenter des solutions originales à la crise économique qui fait vaciller le leadership financier, diplomatique et culturel de l’Amérique.
Car ni les réductions d’impôts à la mode ultralibérale, ni la tentative de rééquilibrage de la fiscalité sur les revenus des placements financiers — au moment où ces derniers ne rapportent plus rien — au profit des classes moyennes ne constituent la solution aux difficultés actuelles. Ni la Fed, ni le Congrès US ne se sont attaqués pour de bon aux racines du mal, c’est-à-dire l’enfermement d’un bon quart de la population dans le piège du surendettement.
L’exemple japonais (de 1990 à 1997) prouve que face à l’explosion simultanée des bulles d’actifs — alimentant un sentiment de richesse illusoire –, ni les baisses de taux, ni les cadeaux fiscaux, ni les programmes de grands travaux ne parviennent à relancer la croissance. Et ce tant que la corrélation entre les revenus et les prix de l’immobilier n’est pas rétablie, que le partage des fruits du travail ne se rééquilibre pas au profit du salarié et au détriment de l’actionnaire et tant que la pyramide des âges implique un transfert de richesse toujours plus inégalitaire des jeunes générations vers celle des "papy" boomers.
Le débat dépasse de très loin le simple cadre des affrontements idéologiques entre libéralisme et interventionniste, entre les partisans de Keynes ou d’Engels et ceux de Smith ou Friedrich von Hayek — ou de son plus célèbre disciple, le nobélisé Milton Friedman, devenu le pape de la Pensée Unique, la boîte à outils philosophique et sociale des sherpas du nouveau millénaire.
Il est trop tôt pour tabler sur un rejet des dogmes qui ont fondé plus de 60 ans de l’architecture économique mondiale… mais nul ne pourra longtemps faire l’impasse sur ce paradoxe : pourquoi diable les mécanismes du marché tout puissant s’effondrent-t-ils au moment même où le dernier des bastions du dirigisme et de l’économie planifiée s’est converti à la version du capitalisme la plus radicale ?
Philippe Béchade,
Paris