La Chronique Agora

L’agenda caché de la récession

Les stratégies financières actuelles visent à éliminer les acteurs économiques plus petits pour renforcer les grandes entités monopolistiques et impérialistes… en utilisant la récession comme un outil de régulation.

En Bourse, sur le marché financier, il n’y a plus de règles, plus de théorie valable, plus d’expérience qui puisse servir de guide.

Et c’est pour cela que seul compte le miracle de la tendance, le momentum. Il faut surfer ; sans chercher à comprendre, simplement disposer des meilleurs outils de suivi. Il faut suivre ; voilà le grand mot, « suivre », et il a été couplé avec « être passif ». Obéissant.

Penser, c’est comme à l’armée, c’est déjà désobéir et être puni, par exemple, par les compressions sur les shorts ! Don’t fight the Fed ! Il faut avoir une mentalité de représentant de commerce, naïf, soumis, qui n’a pour but dans la vie que de faire du chiffre et toucher des coms. Il ne faut pas vouloir être un acteur. Il faut accepter de n’être qu’un joueur, qui participe à une loterie dont seuls quelques initiés ont les clefs et comprennent la logique.

Les fondamentalistes comme Hussman ou Grantham se trompent depuis des décennies : ils maintiennent une attitude/posture fondamentaliste, mais avec des accommodements qui leur permettent de rester dans la profession. Exemple : Hussman complète sa recherche fondamentale par l’essai de mesurer les animal spirits, c’est-à-dire ce qu’il appelle l’appétit pour le jeu. Mais ils ne veulent et ne peuvent reconnaître que le fondamental est périmé. Obsolète.

Moi, je le reconnais et je me borne dans mon expérience et ma rationalité à expliquer qu’un jour ou l’autre, le fondamental reprendra le dessus, mais qu’en attendant, il vaut mieux étudier comment les gnomes essaient avec succès de toujours échapper aux fondamentales. Il vaut mieux essayer de comprendre comment ils vous dominent.

Nous n’avons plus un marché, non ; ce que nous avons, c’est un espace qui accomplit les fonctions bancaires traditionnelles, la transformation, le drainage, etc. L’intelligence qui, dans le passé, régulait le crédit et l’allocation des ressources, est rendue inutile. Elle est transférée sur l’inconscient boursier, les arc-réflexes pavloviens, les animal spirits, les robots, le Ponzi, le tout assuré et piloté par la banque centrale.

Ce que les fondamentalistes n’ont pas compris, c’est qu’il y avait eu dépossession. Comme dans tous les domaines : dépossession ! Par touches successives, subreptices, les banques centrales qui n’avaient comme outils que la manipulation du court terme se sont rendues maîtresses du long terme. Il n’existe plus que comme une succession de courts termes donc ils ont tout sous contrôle !

C’est ce que l’on a encore vu la semaine dernière, où la Fed a réussi à imposer une chute des rendements longs des Treasuries – pour faciliter le placement des émissions du Trésor –, sous le seuil fatidique des 5%, rien qu’en parlant ! Ils ont réussi à paralyser l’intelligence, le savoir et même à différer sine die le réel !

Le marché est une colossale banque. Il accomplit les mêmes fonctions, mais au lieu d’être régi par l’intelligence et la rationalité des credit-men et des analystes financiers, il est régi par le jeu, l’instinct moutonnier, par l’appétit spéculatif encadrés par le centre et le comité des gnomes de la Fed. Encadré par le centre et ses connivents et complices que sont les grandes banques, les agences, les faux gourous et les grands médias.

Les autorités exercent leur pouvoir, leur contrôle à des fins autres que l’intérêt des investisseurs et celui de l’économie. Elles exercent leur pouvoir au-delà même de l’intérêt général. Elles exercent leur pouvoir au profit du système. Au profit de l’ordre et des classes sociales qui en bénéficient. Ceci a été confirmé à plusieurs reprises par Bernanke, qui s’est vanté d’avoir « sauvé l’ordre du monde ». Cet ordre, c’est l’ordre du très grand capital, bien sûr, pas celui du capital ordinaire, pas celui des petits épargnants.

Nous sommes face à la même situation qu’en matière de politique internationale et de géopolitique ; les acteurs dominants du système, ceux qui exercent l’hégémon, ont détruit les lois internationales, celles qui ont présidé à la mondialisation sous l’auspice des Nations Unies, pour imposer des règles qui leur sont favorables ; des règles biaisées au service d’un agenda.

Le marché financier est régi par la loi du plus fort, comme l’est le monde. Les acteurs n’ont qu’à s’incliner. C’est une structure générale que l’on retrouve dans presque tous les domaines : la dépossession et la soumission au service de la reproduction de la domination.

Pour revenir sur terre, quel est l’agenda en cours, que veulent les gnomes ?

Ils veulent nettoyer, détruire les excédents de capital fictif, de zombies, assainir, ils veulent écrémer, faire lâcher les mains faibles sur les marchés et dans le tissu économique, afin de pouvoir relancer plus tard, car il sera vital de relancer dans quelque temps.

Il faut, comme l’a dit Greenspan quand il a pris sa retraite, disséminer le risque – comprenez les pertes – sur le public, sur la masse sans que les structures soient mises en danger. C’est le public et ses caisses de retraites et de prévoyance qui doivent détenir le mistigri.

Mais les gnomes doivent le faire conformément aux besoins de la sécurité et de la stabilité structurelles ; il faut que les piliers du système, les grandes institutions en sortent renforcées et non pas affaiblies.

Il faut réussir le tour de force de détruire les formations encore précapitalistes au profit du big business, au profit du renforcement des formations déjà très monopolistiques et impérialistes.

Il faut détruire les petits au profit des très gros.

Voilà l’agenda de la régulation actuelle. Voilà à quoi va servir la récession.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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