La Chronique Agora

Les agences de notation en quête de crédibilité

▪ Moody’s, Fitch Ratings ou encore Standard & Poor’s : voilà les trois acteurs qui font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers ces derniers mois. Crise des dettes en Europe oblige, voilà l’occasion rêvée de faire taire leurs détracteurs.

Discréditées pour ne pas avoir vu venir (ou pour avoir minimisé) les nombreuses crises passées (Enron, crise des subprime, faillite de Lehman Brothers…), les agences de notation reprennent du poil de la bête et dégradent à tour de bras les pays périphériques de la Zone euro.

Alors excès de zèle ou changement durable de comportement ? Voilà quelques pistes pour mieux comprendre leur fonctionnement et tenter d’y voir plus clair.

▪ Des grilles de notation identiques
La vocation d’une agence de notation est d’évaluer le risque de solvabilité des emprunteurs. Comprenez ici le risque de non remboursement des dettes. La qualité de la signature d’un emprunteur varie de A à D chez les trois agences, chacune disposant de son propre système de notation.

La meilleure note est le « triple A ». Il y a ici une sécurité maximale sur la solvabilité de l’emprunteur. A l’opposé, la note « D » est synonyme de « défaut ». Dans la catégorie des bons élèves, on trouve des pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis ou encore la France. A l’inverse, fin juin, la Grèce passait dans la catégorie « CCC » — les dettes pourries, ou junk bonds — donc extrêmement spéculative… à un pas du défaut de paiement. Il y a quelques jours, le Portugal était à son tour dégradé.

▪ Une bonne note pour se financer moins cher sur les marchés
Sur les marchés financiers, ce qui est risqué rapporte. Dit autrement, si vous êtes mal noté, les investisseurs vont demander une prime de risque supplémentaire pour acheter votre papier. L’emprunteur devra donc payer des intérêts plus élevés.

Voilà pourquoi aujourd’hui par exemple la Grèce (entre « CCC » et le « défaut ») voit le rendement de ses obligations à 10 ans approcher les 20%. A l’inverse, le rendement du Bund allemand sur la même échéance est, lui, sous le seuil des 3%. Petite parenthèse ici : n’oubliez pas que le cours d’une obligation varie en sens inverse de son rendement. Le papier allemand étant très demandé, il rapporte peu. A l’inverse, personne ne veut du papier grec ; il rapporte donc beaucoup à celui qui s’y risque.

▪ La Zone euro dans le collimateur des agences
Depuis le début de la crise des dettes souveraines, les agences de notation sont accusées de ne faire qu’empirer les choses pour les pays attaqués par les marchés. Encore plus depuis que les marchés ont largement dévissé. Certes, les dégradations ne font qu’envenimer les choses. Mais les agences cherchent avant tout, cette fois, à ne pas passer à côté du pire.

Là où cela coince, c’est qu’à chaque dégradation d’une note d’une dette souveraine, alors que la situation budgétaire des pays en première ligne comme la Grèce ou le Portugal par exemple se détériore jour après jour, l’augmentation des taux d’intérêt que provoque les dégradations ne fait au final qu’alourdir la charge de la dette.

Qui plus est, l’autre impact à ne pas négliger tient à la forte intégration du marché de la dette en Europe. Les banques des pays les mieux notés possèdent de la dette de tous les pays de la Zone euro. Et ce n’est pas fini puisqu’on leur demande aujourd’hui de se mettre à contribution pour subventionner la faillite grecque !

Pour le cas de la France, par exemple, un défaut de la Grèce pèserait sur le titre Société Générale. Et dans l’hypothèse d’un « effet domino », sur les finances publiques françaises. Il y a quelques semaines, Moody’s se chargeait d’ailleurs de semer le doute à ce sujet…

▪ Les agences veulent se racheter
Sur les 10 dernières années, le cas des subprime est à mon sens représentatif du fonctionnement de ces institutions. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les agences étaient à mon avis loin d’être transparentes.

Leur mission était entre autres de noter les CDO (Collateralised Debt Obligation). Ces montages, réalisés sur les crédits hypothécaires, sont des produits complexes qui ont été découpés et éparpillés dans les institutions financières du monde entier et qui sont à l’origine de la crise des subprime. Or, ces produits financiers se sont tout de même vus attribuer les meilleures notes. Si la question du conflit d’intérêt reste un tabou dans le milieu, j’ai tout de même du mal à imaginer qu’il n’y ait pas eu une certaine pression des banques émettrices… Ce n’est qu’un exemple mais il est, à mon avis, symptomatique du comportement de la sphère financière depuis de nombreuses années.

Par certains autres montages financiers (avec l’appui de banques conseils telles que Goldman Sachs pour ne citer qu’elle), la Grèce a depuis le début des années 2000 voulu avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais je vous rassure, elle n’est pas la seule. Pour ceux qui en ont entendu parler, c’est un peu le même principe qu’avec certains départements ou villes en France (le cas de Saint-Etienne est assez connu) vis-à-vis de Dexia principalement.

L’avidité humaine poussant tout le monde à vouloir sa part du gâteau — du ménage américain, en passant par certaines collectivités territoriales ou encore par les Etats (fin 2009, le gouvernement grec admettait avoir menti sur l’ampleur de son déficit) –, tous doivent aujourd’hui faire face à leurs responsabilités.

C’est malheureusement, la dure réalité mais les agences de notation sont résolument décidées à aller dans ce sens. Un mal nécessaire selon moi, même si en l’absence de changement structurel, cette tendance risque d’accroître la volatilité sur les marchés.

Première parution dans le Billet du Trader du 14/07/2011.

 

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