La Chronique Agora

Notre activité ne dépendrait-elle plus que des banques centrales ?

▪ On se souvient que durant les années 1980-1990, l’évolution des taux directeurs des banques centrales était imprévisible. A l’époque, les banques centrales se targuaient d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique dans un contexte où la notion de risque systémique bancaire (telle que nous la connaissons depuis les années 2007-2008 avec une finance de plus en plus mondialisée) n’avait pas l’intensité dramatique d’aujourd’hui.

Ceci était vrai de la Bundesbank allemande qui prenait souvent les marchés à contrepied, mais aussi de la Réserve fédérale américaine. Les plus anciens se souviendront que le krach obligataire de 1994 était parti d’une décision de la part de la Fed — totalement inattendue par les marchés — de relèvement des taux directeurs américains le 4 février1994 et d’un cycle de politique monétaire restrictive auquel personne n’était préparé.

Les banques centrales ont longtemps vécu avec l’idée que leur crédibilité était très élevée ; elles ont également cru réduire les variations spontanées des cycles économiques : croissance, inflation, taux d’intérêt — toutes choses de nature à formater les anticipations des agents économiques et donc à créer des conditions optimales.

En fait, il ne s’agissait que d’illusions. Les variations de cycles ont été remplacées par des variations brutales des prix des actifs, par des excès de crédits et au final par des crises à répétition liées à l’éclatement de bulles (les actions en 2000, l’immobilier subprime américain en 2007, les dettes souveraines périphériques de la Zone euro en 2010-2011, les actifs des pays émergents en 2013…)

La communication et l’ancrage des anticipations sont quasiment tout ce qu’il reste aux banques centrales pour créer les conditions de la stabilité

▪ A bout de ressources ?
Aujourd’hui, la communication et l’ancrage des anticipations sont quasiment tout ce qu’il reste aux banques centrales pour créer les conditions de la stabilité dans un contexte où tout a été essayé en matière de politique monétaire. Chaque mot doit être pesé pour ne pas déstabiliser des marchés qui sur-réagissent aussi bien dans l’euphorie que dans le catastrophisme.

Oui, tout a été essayé ou presque. Les marges de manoeuvre en termes d’assouplissement du crédit sont devenus quasiment inexistantes avec la baisse jusqu’à près de 0% des taux directeurs des "grandes" banques centrales. Par ailleurs, les mesures non-conventionnelles (avec le quantitative easing direct de la Fed et de la Banque d’Angleterre et le quantitative easing indirect de la Banque centrale européenne sous la forme des prêts à très long terme aux banques) ont montré leurs limites.

Des opérations de plus en plus exceptionnelles sur des durées de plus en plus anormalement longues

Urgence et nécessité puisqu’une banque centrale comme la BCE a été contrainte d’acheter en dernier ressort la dette d’Etats (le SMP pour Securities Market Program de la BCE) dont les marchés ne voulaient plus financer le déficit budgétaire. Elle a été contrainte aussi d’être prêteuse en dernier ressort aux banques pour des opérations de plus en plus exceptionnelles sur des durées de plus en plus anormalement longues.

L’arsenal des mesures non-conventionnelles a évolué depuis le conseil de la BCE du 6 septembre 2012 avec les OMT (pour Outright Monetary Transactions). Et contrairement aux années 2010-2011, il n’a pas été fixé de limite à l’achat d’obligations d’Etat — tout au plus la maturité résiduelle maximale a-t-elle été fixée à trois ans. Ce dispositif des OMT avait surtout pour but de casser la spéculation visant certaines dettes publiques d’Etats fragiles de la Zone euro. Ces achats potentiels n’auront finalement pas eu besoin d’être activés jusqu’à présent grâce à l’arrêt de la spéculation.

▪ Forward guidance, késaco ?
Durant l’année 2013 les stratégies de communication vont être institutionnalisées avec ce que l’on appelle dans le jargon des marchés financiers la forward guidance. Cela consiste pour la banque centrale à s’engager clairement sur la trajectoire future des taux directeurs et donc à désamorcer toute spéculation.

– "Open-ended guidance", adoptée notamment par la BCE depuis juillet 2013 et qui consiste solennellement à annoncer que les taux directeurs resteront bas pendant une très longue période.

– "Time-contingent guidance", qui consiste à indiquer une date avant laquelle un changement de politique monétaire devrait intervenir (histoire là encore de préparer les marchés et d’éviter les krachs d’actifs financiers).

– "State contingent threshold based guidance". Cette stratégie consiste à fixer un seuil pour certains indicateurs. Par exemple le taux de chômage de 6,5% pour la Fed et de 7% pour la Banque d’Angleterre, seuil en-deçà desquels une inflexion de la politique monétaire est censée intervenir.

Il y a également incertitude sur les indicateurs qui sont réellement considérés comme prioritaires dans le suivi de la politique monétaire

Mais il y a également incertitude sur les indicateurs qui sont réellement considérés comme prioritaires dans le suivi de la politique monétaire. Il semble aujourd’hui qu’une statistique telle que les capacités de production inemployées de l’économie intéresse plus les banquiers centraux que le seul taux de chômage (le niveau d’utilisation des capacités de production serait un bon indicateur avancé de l’inflation future).

En tout cas, malgré la forward guidance il n’est pas forcément évident de savoir quand les banques centrales rendront leurs politiques monétaires vraiment un peu plus restrictives dans le futur — si tant est qu’elles le décident — et elles auront en réalité beaucoup de difficultés dans leur communication, comme nous le verrons demain.

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