Les Zimbabwéens ont fait grimper leurs actions de 600% pour éviter la chute de leur monnaie… nous dirigeons nous vers le même scénario ?
Parmi les nombreuses curiosités, contrecoups et ironies du monde financier, on note le phénomène suivant : les actions peuvent grimper, même lorsque l’économie se dégrade. Récemment, un chiffre en provenance du Zimbabwe est sorti dans les médias. Bloomberg rapporte :
« Les Zimbabwéens font grimper leurs actions de 600% pour éviter la chute de leur monnaie.
Les Zimbabwéens se tournent souvent vers les actions pour échapper à l’effondrement de leur monnaie et aux épisodes d’hyperinflation, comme ce fut le cas en juin 2020, lorsque le taux d’inflation a atteint 837%. La Bourse de Harare, la capitale, a brièvement interrompu ses activités mardi lorsque la hausse de l’indice boursier a dépassé la limite de 10% introduite en avril, pour la deuxième fois. »
Comme pour de l’héroïne, une fois que l’on a pris l’habitude d’imprimer de l’argent, il est difficile d’y renoncer. Cela ne veut pas dire que vous ne prévoyez pas de le faire, que vous ne promettez pas de le faire ou même que vous n’essayez pas de le faire. Mais en fin de compte… vous ne voulez pas vraiment y renoncer. Le Zimbabwe lutte contre l’inflation, la dépression et l’hyperinflation depuis près de 20 ans. Aucun signe de victoire pour l’instant !
Du grenier à la corbeille
Le Zimbabwe était autrefois le « grenier de l’Afrique », avec ses riches champs de blé et de tabac… qui étaient au centre d’une économie agricole florissante. Et le Zimbabwe a prospéré même après avoir obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1979.
Mais au début des années 1990, la politique a pris le dessus. Le gouvernement de Mugabe a lancé son propre programme de réparations, saisissant les terres des fermiers blancs pour les distribuer aux amis de Mugabe. Les blancs ont fui. La production alimentaire a chuté. Le chômage a grimpé à 80%. Les recettes fiscales ont chuté… et le gouvernement s’est tourné vers sa planche à billets. Les prix à la consommation ont augmenté.
En 2007, le gouvernement a pris des mesures fortes contre l’inflation. Non, il n’a pas cessé d’imprimer de l’argent. Mais, il a déclaré qu’il était illégal d’augmenter les prix. Les dirigeants d’entreprise qui tentaient de suivre l’inflation en augmentant les prix ont été emprisonnés.
Cette mesure a eu pour effet d’arrêter la production. L’activité commerciale s’est déplacée vers le marché noir. Une miche de pain, par exemple, pouvait être achetée, légalement, pour environ 500 millions de dollars zimbabwéens. Sur le marché noir, qui était le seul endroit où l’on pouvait trouver du pain à des prix raisonnables, le prix était de 10 milliards de dollars zimbabwéens. En juillet 2008, le taux d’inflation était estimé à 250 millions de pourcents.
Bien entendu, il était alors impossible de suivre l’évolution des prix. En effet, il n’y avait plus grand-chose à quoi attribuer un prix. En 2009, le dollar zimbabwéen a été complètement abandonné.
Pas de nourriture, pas de carburant, rien du tout
Les choses se sont calmées. Les affaires ont repris, avec le dollar américain comme monnaie de substitution. Mais, en 2018, les autorités ont repris leurs vieilles habitudes. Un nouveau dollar zimbabwéen a été introduit. Un an plus tard, le taux d’inflation aurait dépassé les 500% et, aujourd’hui, les prix augmentent d’environ 200% par an.
Pendant longtemps, j’ai gardé avec moi un souvenir de cette période d’hyperinflation : un billet zimbabwéen d’une valeur estimée à 100 000 milliards de dollars. Avec ce billet et 5 dollars américains, nous aurions pu acheter une tasse de café à Harare, la capitale du pays. Mais il n’y avait pas de café à Harare. Ni nulle part ailleurs dans le pays, car personne ne voulait accepter de monnaie zimbabwéenne en guise de paiement. Les rayons des commerces ont donc été vidés. Bientôt, il n’y eut plus de nourriture. Plus de vêtements. Plus de carburant. Presque rien.
C’est alors que Gideon Gono, directeur de la banque centrale du Zimbabwe, a fait la découverte qui risque d’empêcher les Etats-Unis et bien d’autres pays de s’attaquer franchement au fléau de l’inflation. Il a raconté cette expérience à notre vieil ami Doug Casey, des années plus tard.
« Oui, bien sûr, nous aurions pu arrêter d’imprimer des quantités ridicules d’argent », a-t-il expliqué, « mais les gens avaient besoin de plus en plus d’argent juste pour acheter des produits de première nécessité. La situation était terrible. Mais elle aurait été encore pire – une guerre civile aurait pu éclater – si nous n’avions pas continué à faire imprimer des billets ».
Dans la douleur
Ce que M. Gono décrivait alors n’était autre que le stade avancé du dilemme que nous appelons « l’inflation ou la mort ». En d’autres termes, une fois que l’on est accro à l’inflation, il peut être très difficile d’y renoncer. Le cours des actions, les bénéfices des entreprises, les revenus des ménages… riches et pauvres – tout dépend de l’augmentation de l’argent. Il faut continuer à gonfler la monnaie, sinon tout s’effondre.
Même un politicien honnête y réfléchit à deux fois avant de supprimer ce que tout le monde souhaite le plus : plus d’argent. L’arrêt brutal de l’inflation est douloureux. Il est beaucoup plus facile de continuer à imprimer de l’argent.
Cette situation est particulièrement dangereuse lorsque la société est sous l’emprise de bâtisseurs d’empire, comme c’est le cas actuellement des Etats-Unis. Nous avons souvent évoqué le triste cas de Takahashi Korekiyo. Il était responsable de la banque centrale du Japon dans les années 1930, lorsque la sphère militaro-industrielle du pays visait à s’emparer de toute l’Asie de l’Est. Ce devait être une « zone de coprospérité », alliant la gestion et le capital japonais, et la main-d’œuvre et les matières premières de la Chine, de la Corée, du Viêtnam et de l’Indonésie.
Mais la machine de guerre coûte de l’argent. Et, lorsque Korekiyo a tenté de l’arrêter, en 1936, il a été assassiné.
L’expression « l’inflation ou la mort » doit parfois être prise au pied de la lettre.