La Chronique Agora

Les accords gagnant-gagnant

Voici un extrait du dernier livre de Bill, Un-Civilizing America: How Win-Win Deals Make Us Better.

« Un médecin ne peut guérir le malade s’il ignore les causes de certaines affections du corps, pas plus qu’un homme d’Etat ne peut aider ses concitoyens s’il ne peut savoir comment, pourquoi ou par quel processus chaque événement s’est produit. » – Polybe

A un moment donné de sa courte vie, Jésus a été invité à prendre le contrôle du gouvernement. Le pouvoir politique, le pouvoir d’imposer aux autres des accords « gagnant-perdants », lui a été offert.

Luc 4:5–8:5. « Le diable, l’ayant emmené sur une haute montagne, lui montra en un instant tous les royaumes du monde…

 Et le diable lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et leur gloire ; car elle m’a été remise, et je la donnerai à qui je veux.

 Si donc tu veux m’adorer, tout sera à toi.

 Jésus lui répondit : Retire-toi, Satan ; car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » 

Qui offre le pouvoir politique ? Le diable lui-même ! Pas les électeurs. Pas l’aristocratie. Ni Dieu. Au contraire, le Diable dit clairement que le gouvernement lui appartient, et qu’il peut en faire ce qu’il veut. Et si Jésus le veut, il n’a qu’à adorer celui qui le lui a donné : Satan.

Nous avons entendu des sermons de toutes sortes, dans les grandes villes et dans les petites églises de campagne… que les églises soient catholiques, baptistes… Et presque tous les ministres, prêtres et prédicateurs que nous avons entendus croient que Dieu est bon et qu’Il attend de nous que nous soutenions les bonnes causes, privées et publiques. Souvent, ils croient entendre nos dirigeants politiques parler au nom de Dieu lui-même. Ils nous disent de soutenir l’aide gouvernementale aux personnes démunies, de limiter nos émissions de carbone, ou d’aider davantage les Amérindiens.

Mais il n’y a pas de « nous » dans l’Evangile. Pas d’appel à des intérêts particuliers ou au bien commun… ou à la justice collective, à la vertu partagée, au patriotisme ou à l’économie sociale. Pas de tribus. Pas de sectes. Pas de drapeaux. Pas de credo. Pas de partis politiques. Ni pharisien, ni sadducéen. Il n’y a que l’individu, seul… et son Dieu.

Ce n’est qu’une fois, dans une petite église de campagne en Normandie, qu’un prêtre a repris cette idée : « Dieu ne vous demande pas de changer le monde, a-t-il dit. Il vous demande de faire quelque chose de beaucoup plus difficile : vous changer vous-même. »

C’est difficile, parce qu’il s’agit de changer son propre logiciel, faire une mise à jour, bouleverser une programmation qui est en place depuis des milliers d’années. Bien sûr, il est beaucoup plus simple de demander aux autres de changer. Changer sa religion ! Changer son comportement ! Changer de gouvernement ! Changez la façon dont il dépense son argent… la façon dont il traite les autres… la façon dont il boit… la façon dont il travaille ! Faites en sorte que ses femmes retirent leur hijab. Que ses hommes récitent l’Ave Maria.

Mais attendez. Et s’il ne veut pas changer ? Il s’opposera à l’augmentation des impôts. Il se plaindra des nouvelles réglementations. Il voudra conserver sa religion. Il résistera à vos grands projets pour un monde meilleur. Marcher vers Moscou en hiver ne fait pas partie de ses volontés. Vivre dans un bidonville parce que les chefs du parti l’ont décidé non plus. Que faire ? Que feraient Attila, ou Adolf ? Forcez-le à coopérer, et faites ce que vous voulez ! Vous savez ce qui est le mieux pour lui. Vous savez ce qui est le mieux pour le monde. Forcez-le à le faire !

Jésus savait que cela ne marcherait pas. Il n’a jamais suggéré que les dirigeants romains s’occupent des pauvres. Il n’a jamais laissé entendre qu’il incombait à Ponce Pilate de s’occuper des infirmes de Judée ou de fixer le prix de l’agneau au nom des bergers juifs. Dans la parabole du bon Samaritain, un voyageur a été battu, dépouillé de ses vêtements et laissé pour mort au bord de la route. Il n’a pas été secouru par l’armée, ni par les collecteurs d’impôts, ni par les organismes d’aide sociale de l’époque. Même le prêtre est passé devant lui. C’est un Samaritain – membre d’un groupe que les Juifs méprisaient mutuellement – qui l’a aidé.

Cette histoire a été racontée par Jésus en réponse à une question. Lorsqu’on lui a dit qu’il fallait « aimer son prochain », un avocat lui a demandé : « Mais qui est mon prochain ? » Il aurait pu demander : « Qui est ce ‘nous’ ? »

Jésus a expliqué que cela n’avait rien à voir avec l’appartenance à un groupe ou la responsabilité d’un groupe… ni le « bien commun »… ni le bien que le gouvernement peut faire avec une planification centrale et des conseils d’experts. Peu importe la race, la croyance, la religion ou le sexe que vous avez coché. « Aimer son prochain » était une idée radicale à l’époque, une mise à jour majeure de notre logiciel. Elle l’est toujours. Pour beaucoup, elle suggère que tout l’édifice de la morale chrétienne est construit sur l’amour. Nous pensons pour notre part qu’il repose sur des fondations plus solides – deux piliers solides : la peur et l’intérêt personnel. Quoi qu’il en soit, la responsabilité incombe à l’individu et non au groupe.

Cette nouvelle religion a fait bien plus qu’annoncer un nouveau « code moral », ou une « bonne idée ». Elle a aussi décrit les transactions d’une économie moderne de croissance, et anticipé les codes de la civilisation moderne.

Il n’y a que deux sortes d’accords : les accords coopératifs et volontaires… ou les accords conclus sous la menace d’un fusil. Dans une économie figée, sans croissance, la violence est presque le seul moyen d’avancer. L’idée qui prévaut est que l’on ne peut obtenir davantage qu’en prenant des parts de marché à quelqu’un d’autre. C’est la raison pour laquelle le meurtre et le vol étaient si fréquents dans le monde antique : il y avait peu d’alternatives pour les personnes ambitieuses.

A l’époque, l’idée du « bien commun » avait un sens. La vie tribale était, par la force des choses, collective. Le bien « commun » était le bien de la tribu. L’ethnologue Richard Dawkins décrit l’être humain comme une « machine à survivre ». Mais il est plus probable que la machine de survie était en fait la tribu. L’individu n’était qu’une pièce détachable. Les individus étaient sacrifiables. La tribu ne l’était pas.

Le « bien commun » n’était pas universel. C’est pourquoi l’Ancien Testament se concentre sur une tribu – les Juifs – et sur ses progrès. La tribu pouvait bénéficier, par exemple, de l’extermination d’une tribu rivale. Elle pouvait en bénéficier en repoussant une autre tribu de ses meilleurs terrains de chasse ou en capturant ses jeunes femmes lors d’une razzia. La richesse était limitée. En général, elle ne pouvait pas être augmentée. Elle ne pouvait être déplacée que d’une tribu à l’autre.

L’individu n’avait guère la possibilité de réaliser un quelconque « progrès » ou de rechercher le bonheur à sa manière. Il pouvait chasser. Il pouvait cueillir. Il pouvait se battre. Il pouvait transmettre ses gènes à une nouvelle génération. Ce qu’il pensait n’avait probablement pas beaucoup d’importance. Ce qu’il voulait n’a probablement jamais été évoqué dans les conversations. Il était probablement très rare que les membres de la tribu s’assoient autour du feu de camp et discutent de leurs troubles alimentaires, de leurs préférences politiques ou de leurs aspirations professionnelles. L’individu ne comptait pas pour grand-chose.

Les sociétés modernes retombent parfois dans cette pensée tribale. « Ein Volk, ein Reich, ein Führer », comme l’a dit Hitler. L’idée était assez simple : il traiterait le peuple allemand comme s’il y avait un « nous », membres d’une même tribu avec un « bien commun », que l’on pouvait obtenir en obéissant au chef.

Il n’y avait qu’un seul Reich (gouvernement), mais il y avait de nombreux Volk (peuples) différents en Allemagne. Mais alors que le « nous » d’une tribu préhistorique était un « nous » naturel, authentique et pouvait bénéficier des protocoles gagnant-perdant, le « nous » de l’Allemagne nazie était faux. Il va sans dire que tous les Allemands ne partageaient pas le même enthousiasme pour la réussite d’une race soi-disant supérieure. Finalement, presque tous – les Juifs, les Tziganes et les membres du parti nazi – ont souffert d’accords gagnant-perdant, dans ce qui était essentiellement devenu un monde gagnant-gagnant.

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