La Chronique Agora

"Abraham Lincoln avait tout faux", dixit Bernard Madoff

** Les pressions baissières qui s’exercent sur les marchés actions depuis 15 mois semblent avoir été gelées par la chute des températures dans l’hémisphère Nord… mais les investisseurs ne savent pas trop s’il faut s’enthousiasmer pour le plan de relance sur lequel planche Barack Obama — une promesse d’avenir à 800 ou 1 000 milliards de dollars, voire plus si les prêteurs réitèrent leur confiance dans le dollar ? — ou se passionner pour l’audition de Bernard Madoff.

Les investisseurs du monde entier vont suivre les auditions de celui qui est devenu la référence millénaire en matière de carambouille financière comme s’il s’agissait de la cérémonie d’enterrement des années de brassage d’argent virtuel et de création de fausse valeur à partir de simples manipulations de fichiers informatiques.

La légende voudrait qu’un trader solitaire — appelons-le Jérôme Kerviel — puisse faire apparaître ou disparaître à volonté des milliards d’euros de gains ou de pertes en tapotant à la dérobée quelques lignes de programme sur un misérable clavier en matière plastique, au nez et à la barbe de l’élite de la sécurité informatique et des meilleurs cerveaux recrutés par les instances de régulation internationales.

Mais Bernard Madoff a fait beaucoup plus fort. Il a ridiculisé les dirigeants d’Enron, lesquels étaient parvenus à faisander Wall Street durant une demi-douzaine d’années à coup de fausse comptabilité, de filiales offshore, de cabinets d’audit marrons et de chantage exercé sur les analystes les plus intègres.

Il a même réussi à démentir le postulat d’Abraham Lincoln qui estimait que l’on peut parvenir à tromper un grand nombre de personnes durant peu de temps, ou bien tromper un tout petit nombre de personnes durant très longtemps… mais jamais réussir à combiner les deux à la fois.

Pendant plus de 20 ans, l’élite intellectuelle et financière de la côte Est, de la Floride et de la Californie s’est prosternée devant Bernard Madoff. La SEC n’avait pas à proprement parler embrassé sa cause face aux détracteurs de Madoff, mais l’un de ses plus éminents inspecteurs avait tellement embrassé sa nièce qu’il avait fini par l’épouser.

En moins de 12 mois, quelques baudruches en col blanc "bien sous tous rapports" — et notamment ceux des agences de notations qui attribuaient des triple A aussi bien à Northern Rock qu’à Lehman Brothers, UBS, Hypo Real, Fortis ou Bear Stearns — ont fait vaciller deux siècles de capitalisme et de révolution industrielle. Les plus pessimistes envisagent même comme conséquence ultime une désintégration des démocraties occidentales, tant l’influence des lobbies a pesé lourd dans le processus de dérégulation de l’industrie du crédit avec, comme corollaire, l’explosion des opérations financières impliquant des paradis fiscaux.

** Etes-vous prêts à prendre le pari que la leçon de la crise née du "laisser-faire" a été bien apprise par ceux qui tirent depuis si longtemps les ficelles dans les coulisses du Congrès américain, de l’OMC, de la Commission de Bruxelles ou du parlement de Strasbourg ? Nous entendons déjà l’objection nous opposant la théorie du complot…

Croyez-vous que le personnel politique, devenu soudain incorruptible de Washington à Tokyo, en passant par Londres et Berlin, décrètera le bannissement des paradis fiscaux ? Ou encore qu’il lancera une traque impitoyable visant tous les fraudeurs de type Madoff qui sévissent dans les eaux troubles de Wall Street et du Nasdaq… ou chassent leurs proies des îles Caïmans aux Antilles néerlandaises ?

Croyez-vous que les centaines de milliards de dollars fraîchement imprimés par simple décret du Congrès sur proposition de la Fed et du Trésor US vont être confiés à une nouvelle génération de banquiers et de politiciens formés à l’école de l’intérêt du "peuple souverain" et des millions d’individus enfermés dans le piège de la dette ?

Croyez-vous que Barack Obama, en dépit des formidables espoirs qu’il incarne, a le pouvoir de préserver la crédibilité du dollar papier ? Ou encore celui de modifier radicalement le partage des fruits du travail entre salariés (qui devraient enfin payer un peu moins d’impôts dès 2009) et actionnaires (qui bien souvent n’en payent plus depuis des lustres, parce que fiscalement apatrides) ?

Si vous avez répondu oui à chacune des questions qui précèdent, alors dépêchez-vous de récupérer toutes les liquidités déposées sur votre livret A avant que sa rémunération ne chute de 150 points d’ici fin janvier. Puis réinvestissez les yeux fermés sur toutes les valeurs qui ont chuté de 60% ou plus en 2008 avec le secret espoir de décupler votre mise d’ici 2028. C’est ce qu’ont fait ceux qui ont placé leur épargne en Bourse au début des années 80… pour prendre leurs bénéfices avec le basculement des Etats-Unis sous administration républicaine à l’automne 2000.

Vous nous imaginez peut-être plus cynique que nous ne le sommes mais nous parions que le prochain piège haussier fera un plus grand nombre de victimes encore. L’homme est ainsi fait qu’il préfère s’accrocher au moindre espoir de se refaire et d’effacer une partie des pertes qu’il a subies plutôt que de remettre en cause la structure de son épargne, convaincu que les moins-values boursières ne sont qu’un bref orage ponctuel dans un ciel d’un vert (la couleur de la hausse) immaculé.

** Ledit vert était d’ailleurs encore au rendez-vous à Paris à l’issue de la seconde séance de l’année. Il n’a fait sa réapparition qu’au cours de la dernière demi-heure (+0,31%) de la séance, en grande partie grâce au rebond des indices américains. Le S&P est en effet pratiquement revenu à l’équilibre vers 17h30 et le Nasdaq ne perdait plus que 0,3% après un recul initial de 1,2%. Paris a aussi été entraînée dans son sillage par le dollar qui s’est littéralement envolé de 2,5% à 1,3550 euro.

La devise américaine profite des espoirs de rebond de l’activité économique aux Etats-Unis en cas de succès du plan de relance de Barack Obama. Il est fondé sur des efforts de rénovation des infrastructures publiques et des allègements fiscaux (à concurrence de 310 milliards de dollars). Cette nouvelle mesure est destinée à fournir très rapidement (à partir du début du deuxième trimestre 2009) un surcroît de pouvoir d’achat aux ménages américains.

A ce propos, il faudrait qu’ils se dépêchent de reprendre le chemin des agences immobilières car les dépenses de construction se sont contractées de 0,6% en novembre aux Etats-Unis. En outre, la hausse de 1,4% des dépenses publiques n’a pas pu compenser la baisse de 1,5% observée dans les dépenses privées.

L’annonce d’une forte baisse des recettes fiscales aurait pu peser sur le billet vert mais, comme nous l’avons expliqué en préambule, les intempéries actuelles semblent également geler le potentiel haussier de l’euro, du franc suisse et du yen. C’est d’autant plus vrai que le pétrole grimpe en parallèle (vers 48 $ le baril) avec la devise américaine.

Quand nous vous affirmions lundi que la baisse des prix à la pompe était probablement terminée sur le Vieux Continent, nous n’espérions pas une confirmation aussi rapide. Mais l’année 2009 est comme ça : tragi-comique. N’est-ce pas… M. Madoff ?

Philippe Béchade,
Paris

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